Claviers Intimes

Claviers intimes est un espace de réflexion sur la pratique du journal en ligne (traditionnel ou "blog") dont les articles sont écrits par des diaristes et des lecteurs.

Ce site est une copie du webzine original, aujourd'hui disparu. Certains articles sont malheureusement indisponibles. Les liens externes sont pour la plupart devenus invalides également. Vous pouvez utiliser Archive.org pour retrouver les sites originaux.
Cette restauration a été effectuée par BohwaZ pour Journal Intime.com.

Les auteurs :

 

Numéro 1

Avril 2002

Edito
Pourquoi écrire en ligne ? (Thématique)
Carnets de Voyage
Pratique du Journal
Bibliothèque
  • Journal (volumes I, II et III) de Fabrice Neaud (publié chez Ego comme X) par Vani

Regards sur le journal en ligne

Par l'Idéaliste

Il était question depuis quelques mois, dans le petit monde du "diarisme virtuel", de créer une nouvelle formule d'un magazine qui se pencherait sur cette pratique qui se développe rapidement. Ecrivants (diaristes ou "blogueurs"), mais aussi lecteurs, nombreux sont ceux qui ont envie de porter un regard sur le journal en ligne.

Une vingtaine de personnes se sont intéressées à la naissance de ce magazine, et la plupart ont eu un rôle actif dans son élaboration. Chacun a apporté ses idées ou ses compétences, avec une répartition des tâches. Le pari n'était pas gagné, puisque nous devions nous coordonner alors que la plupart d'entre nous ne se connaissaient pas et qu'il était impossible que nous nous rencontrions. Par le biais d'une liste de discussion, et surtout de "réunions de travail" sur un canal Chat, nous avons pu échanger nos idées, discuter, élaborer le projet, dans un enthousiasme fécond.

Ce premier numéro est un coup d'essai que nous espérons réussi. Nous pourrons parfaire la formule au fil des parutions, prévues à un rythme bimensuel. D'ores et déjà nous avons opté pour une formule qui comprendra des rubriques régulières, ainsi qu'un thème particulier par numéro. Le premier thème aborde la problématique de base : « pourquoi écrire en ligne ? »

Notre volonté est d'ouvrir ces pages à des intervenants multiples : diaristes, lecteurs, mais aussi sociologues, chercheurs, qui s'intéressent à cette pratique du journal en ligne. Parmi les diaristes, nous essaierons de laisser l'expression à des "plumes" variées, afin que toute la diversité des écrivants puisse se reconnaître. Ce magazine est prêt à accueillir tous ceux qui ont envie de s'y exprimer.

Enfin, il ne sera sans doute pas superflu que nous portions un regard critique mais approfondi, afin d'éviter que l'éternel "cliché" des journaux intimes en ligne, prétendument nombrilistes et exhibitionnistes, ne soit présenté de façon caricaturale et simpliste par ceux qui ne consacrent que trop peu de temps pour analyser ce phénomène. Bon nombre de journalistes en particulier. Ce magazine devra donner une vision un peu plus approfondie et lucide. Un bon positionnement sur les moteurs de recherche pourrait lui permettre d'offrir ce regard au plus grand nombre.

Avec pour corollaire éventuel... un engouement pour de nouvelles vocations ?

Dis maman, et pourquoi que... ?

Par Marylène

Une chose est sûre : si le coffre à instants (que je ne ressens pas comme un journal, mais plutôt comme un... scrapbook. Pas encore trouvé de mot français qui aille aussi bien que scrapbook) n'avait pas été en ligne, et donc susceptible d'être feuilleté par d'autres personnes que moi, il n'existerait plus depuis lurette... Il aurait fini comme tous mes vieux carnets, pourtant choisis avec soin et démarrés avec ferveur : aux oubliettes.

Il faut dire que mes premières tentatives tenaient vraiment du 'journal intime' comme je le concevais à 12 ans, et donc consistaient à patauger désespérement dans mes états d'âme, ce qui me laissait vite écoeurée... non non non ! Pas devant tout le monde ! Cette fois-ci, j'avais juste envie de me laisser parler de tout ce qui pouvait me passer par la tête, ou plus exactement : de lever le nez de mon quotidien pour voir tout ce qu'il contenait de beau.

Soi disant c'était pour moi... mais j'en ai vite parlé à des lecteurs potentiels ! Ils ont aimé ou pas, mais l'idée que quelqu'un d'autre m'attende a été un moteur certain pour continuer. Faire rêver/rire/pleurer d'autres que moi avec ma petite vie... quel vertige !

Avoir un retour de mots sur mes propres mots, c'était inespéré, grisant. Et puis ça m'est monté à la tête, c'est devenu un piège. Non pas l'Autre, mais l'idée que l'Autre puisse ne plus me trouver intéressante ou quoi que ce soit du même genre.

Ecrire vite une autre page avant que l'Autre ne zappe. Ecrire comme la fois où l'Autre a tellement aimé qu'il me l'a écrit.

Ne pas écrire sur l'Autre même si j'en sens le besoin (c'est mon journal à moi oui ou non ?) parce que je sais son regard par dessus mon épaule.

Ca ne serait bien entendu pas arrivé avec un carnet à spirales...

Fin de boucle, étouffement : les gens grâce auxquels je prenais le temps de m'arrêter un instant et de regarder autour de moi, ces gens-là m'auraient confinée dans un rôle ? mais quelle prétention de ma part...

Non, personne n'attend quoi que ce soit de moi. Après quelques semaines de flou, de non-envie de continuer, j'ai fini par conclure qu'écrire en ligne est pour moi une forme d'écriture sous contrainte (le regard de l'Autre... quel aiguillon !), c'est-à-dire qu'elle peut donner de beaux moments à condition de la maîtriser, et non de la subir ou de se laisser submerger. J'ai ré-appris le plaisir de poser des mots en ne pensant qu'à moi, à mon rythme. A recevoir les passages, comme les mots-réponse des autres, en cadeau. Sans me sentir redevable envers eux, parce qu'ils ne sont là que pour la gratuité du geste.

Pourquoi j'écris en ligne

Par l'insomniaque

Pourquoi écrit-on son journal en ligne ?

Ou plutôt :

Pourquoi J'écris en ligne ?

C'est une question que je me pose à l'occasion depuis trois ans. Et c'est facile d'y répondre de façon automatique. Un peu comme tous les chanteurs ou les musiciens, les auteurs, qu'on interroge publiquement sur leurs motivations. Ils ont toujours un petit discours touchant, plus ou moins original, qui explique comment tout cela a commencé, comment, depuis leur tendre enfance, ils ont voulu jouer, écrire, chanter ou danser.

Mais tout le monde peut jouer, écrire, chanter, ou danser... pour lui-même. Non ? La vraie question ne serait-elle pas pourquoi vouloir le faire sur le web ? Pourquoi, non seulement ce besoin de produire quelque chose, mais aussi, ce besoin que j'ai d'être lue. Ce besoin d'intéractivité. Parce que c'est clair pour moi que chaque fois que je poste des mots dans mon journal, il y a "risque" de retour. Dernièrement Sally nous confiait que le meilleur lecteur est celui qui reste anonyme et silencieux. Je me suis surprise à trouver cela admirable mais à m'avouer aussi que pour ma part, le lecteur anonyme et silencieux, malgré le respect qu'il m'inspire, n'est pas ma motivation première.

Alors quoi ?

Je crois que c'est d'abord et avant tout un besoin d'être reconnue dans ce qui est fragile en moi. Lorsque j'ai commencé La page de l'insomniaque, à l'hiver 1999, j'étais dans un état de décristallisation intérieure prononcé. Et ma vie terrestre [1] suivait le même mouvement. Toutes mes certitudes, celles auxquelles j'avais tenté d'adhérer par dépit, se désagrégeaient lentement mais sûrement. Et un vide se créait peu à peu : Si ce n'est pas ça, alors c'est quoi ? Tranquillement, maladroitement, des éléments se sont mis à émerger des profondeurs. Des idées qui revenaient de loin. Des sentis que j'avais enfouis depuis longtemps, pensant qu'ils ne serviraient jamais.

Mon lieu d'écriture m'a permis de les aider à retrouver la lumière du jour. Mais c'étaient encore de pâles éléments qui ne savaient pas trop comment prendre leur place au soleil. Un petit froncement de sourcil, à peine, et je les chassais à nouveau dans le repaire aux chimères, bien vite.

Mais peu à peu, sans que je ne l'aie vraiment vu venir, des mots sont surgis de l'autre côté de mon écran. De petits et de grands messages, qui s'adressaient à moi en reconnaissant cette personne que j'avais tant de mal à voir, qui ne la questionnaient même pas. D'abord ça m'a fait tout drôle, j'avais presque l'impression de mentir, de ne pas me montrer sous mon vrai jour. Et pourtant je n'inventais rien, je ne faisais que laisser monter, enfin. Au fil des mois et des années (ouille), j'ai senti de plus en plus fort la force d'être simplement qui je suis. Cette force a été nourrie d'abord par des mots ; les miens et ceux que je recevais, ensuite j'ai pu poser des gestes concrets, mettre des choses en place dans le terrestre**, puis soutenir des regards et puis finalement le mien.

Ce que je veux dire exactement c'est que l'écriture en ligne de mon journal intime a servi de renforcement à ce qui avait besoin d'émerger à une certain moment de ma vie. D'abord le courage d'exprimer, ensuite le retour des lecteurs, puis la force de bouger. Et tout ceci dans un mouvement spiralé.

Alors oui, l'écriture est un moyen pour moi, comme d'autres la peinture ou la musique, mais dans mon journal elle a servi de catalyseur à un mouvement intérieur. Pour moi l'écriture intime est d'abord un outil, ensuite une forme d'expression artistique. Bien sûr il m'arrive de jouer avec les mots et d'en tirer un plaisir certain, mais l'essence n'est pas un jeu. C'est d'avancer. Toujours un pas de plus.

Je sais bien que sans mon journal en ligne j'aurais avancé quand même, mais je crois profondément qu'il a été les ailes qui me manquaient.

Depuis quelques temps je ne suis plus certaine de vouloir continuer mais je touche encore certaines fragilités en moi. Certains jours j'ai l'impression d'en être au début du vrai travail. Mais je suis aussi consciente que ça peut devenir un piège, ou une béquille. Alors je me dis que ça finira un jour, qu'il y aura un point qui se posera aux Insomnies chroniques, en temps et lieu.

À certains moments je sens que ma présence est familière, que je viens écrire pour donner de mes nouvelles, j'ai même commencé à utiliser le vous, parfois presque le tu... Ces jours-là je me dis que le voyage achève. Mais à d'autres moments, il y a de nouvelles questions qui surgissent, comme si j'avais mûri suffisamment pour commencer la vraie démarche. C'est la spirale.

Donc, d'une fenêtre sur le monde, mon journal est peu à peu devenu un lieu d'expérimentation privilégié, un lieu de renforcement et une pierre de gué pour ma traversée. Je commence à savoir nager, je ne coule plus sans les flotteurs, mais j'ai encore besoin de ce regard.

Voilà pourquoi j'écris en ligne.

[1] La vie terrestre est un concept que j'utilise pour décrire mon quotidien hors du virtuel. Je n'aime pas utiliser le terme vraie vie parce que cela présuppose une fausseté dans le virtuel qui ne me correspond pas. Je pense qu'on peut être vrai comme faux, et ce, dans le virtuel autant que dans le terrestre. C'est un choix.

Donner la clé...

Par Ophélie

J'ai commencé à écrire un journal intime vers l'âge de 10 ans. A l'époque, j'écrivais dans un petit cahier muni d'un cadenas, dont je gardais la clé bien cachée au fond d'un tiroir. Malheureusement je n'ai pas retrouvé ce premier journal, j'aurais bien aimé le relire, mais peu importe, mes souvenirs sont suffisamment précis pour me rappeler que j'y consignais quelques notes sur mes activités de tous les jours et particulièrement le récit de mes premières expériences amoureuses. Toutefois je prenais la précaution d'inscrire des pseudonymes au cas où ma mère ou une de mes soeurs commettrait l'indiscrétion de le lire. Justement, l'une d'elle s'amusait à brandir ledit journal comme une arme contre moi, pour m'agacer, pour me faire courir et surtout pour provoquer ma colère. Et elle y parvenait à tout coup. Parce que la seule pensée que mes amis découvrent que j'écrivais un journal m'intimidait. Déjà je sentais que cet univers m'appartenait et je tenais à préserver mon secret.

Ecrire a toujours été pour moi la meilleure façon de me retrouver, de m'accorder du temps et d'apprivoiser mon monde intérieur. Ce monde que j'ai trop souvent négligé, oublié, pour me consacrer aux autres, à mon travail, à mon conjoint, à ma famille. Tout au long de ma vie, ce sont les périodes où je vivais des émotions intenses et des situations difficiles qui m'ont ramenée à l'écriture du journal. Dans ces moments-là, j'éprouve le besoin de me centrer sur moi, d'exprimer par écrit ce que je ressens, peut-être pour adoucir la peine, pour mieux comprendre, pour me convaincre que je serai assez forte pour traverser la tempête. L'écriture du journal assure une continuité à un dialogue intérieur qui devient essentiel à toute démarche de retour à soi. J'ai accumulé de nombreux cahiers dans mes tiroirs, dans lesquels l'amour, la peine et la quête de mon identité se dégagent comme thèmes principaux.

La découverte des journaux intimes en ligne a suscité chez moi une vive curiosité et j'ai tout d'abord abordé ce monde en tant que lectrice. J'ai été profondément touchée par certains écrits, par la sincérité et la beauté de ce partage qui insufflait un nouvel élan à ma propre démarche, au point de semer en moi l'envie de m'exprimer aussi par le biais du journal en ligne. Alors je me suis lancée. Le moment était propice. Je vivais une déchirure qui a déclenché chez moi une remise en question profonde de ma façon d'aborder la vie et particulièrement l'amour et j'avais besoin d'exprimer mes états d'âme. J'avais aussi besoin de me convaincre que tout finirait par aller mieux. En publiant, j'espérais secrètement que des lecteurs seraient touchés comme j'avais été touchée moi-même en tant que lectrice, et que ceux-ci m'apporteraient des encouragements ou à tout le moins un écho positif.

Pour faire connaître mon journal, il me fallait communiquer, ouvrir la porte sur mon petit monde jusque-là demeuré secret. Ensuite, je devais attendre les réactions. Celles-ci n'ont pas tardé et ont été très stimulantes au début. Quelques membres de la Communauté des écrits virtuels m'ont souhaité la bienvenue et mes amis ont été nombreux à m'écrire pour me faire part de leurs commentaires. Mais le courrier le plus émouvant provenait de ma soeur, celle-là même qui s'amusait à me chiper mon journal quand nous étions enfants. Tous ces courriers m'ont rassurée et réconfortée et je me sentais un peu moins seule à partager ainsi ce que je vivais avec des gens que je connaissais et avec d'autres que j'espérais connaître. L'envie d'échanger et le besoin de partager sont pour moi des raisons importantes qui m'ont poussée à publier mon journal et à mettre le pied dans l'engrenage. Parce que maintenant, je me sens responsable de la continuité de ce journal et cette responsabilité devient une stimulation supplémentaire.

Si je n'avais jamais publié ce journal sur Internet, j'aurais probablement abandonné mon cahier jusqu'à la prochaine crise. Mais cette fois-ci, j'avais envie de ne plus arrêter, de vaincre cette paresse intellectuelle, de me motiver à poursuivre au quotidien l'écriture qui me rappelle à moi. Même si parfois j'ai l'impression de ne pas avoir grand chose à dire, chaque fois que je termine une page, que j'effectue le transfert et que je la vois s'afficher à l'écran, j'éprouve la satisfaction d'avoir accompli quelque chose. Chaque fois j'espère que ce que je viens d'écrire sera lu et que peut-être quelqu'un se reconnaîtra, sera touché suffisamment pour prendre le temps de m'écrire et de partager ses impressions, ses propres interrogations.

Voilà pourquoi je publie mon journal sur Internet : parce que j'ai besoin d'écrire, parce que je ne veux plus me perdre de vue et parce que je veux entendre l'écho des autres et faire partie d'une famille.

Voyage autour des mots, des images et des terres

Par Eva

Taper "Carnets de voyage" dans un moteur de recherche, je n'y avais jamais pensé pendant toutes ces années de vagabondages internautiques, jusqu'à ce que, l'autre jour, de retour d'un grand voyage, l'idée me vienne de mettre en ordre mes notes pour rédiger le récit de mes vacances. Etrangement, alors qu'il m'est facile d'écrire presque quotidiennement, toute l'année, bien qu'il ne se passe rien de particulier dans ma vie (ou si peu), je me suis heurtée à des difficultés j'ai essayé de mettre en mots un quotidien qui soudain se trouvait chamboulé, mais aussi, paradoxalement, merveilleusement riche et multicolore. Peut-être est-ce parce que ce n'est pas la nouveauté et le changement qui font écrire, mais la rassurante habitude. Celle-ci institue un rapport familier et apprivoisé avec les mots, alors que ceux-là nous incitent à les nier, nous attirant vers l'aventure et la découverte, bien plus que vers la réflexion.

C'est ainsi que je me suis tournée vers les carnets de voyage, découvrant là un vrai monde. Je connaissais Montaigne tenant le journal de son voyage en Italie, ou bien Flaubert racontant ses balades en Bretagne. Mais tous ces récits là appartiennent à ces bons vieux siècles où l'on ne connaissait que le papier et le crayon. Qu'est-ce que cela peut donner aujourd'hui, à l'heure non seulement de la photo, mais aussi des sons et des images, bref du multimédia ? Certes, on ne peut pas coller ses tickets de bus ou fixer des grains de sable sur l'écran de son ordinateur, mais avec les multiples possibilités de l'informatique ne peut-on retenir tous ces souvenirs de façon tout aussi puissante ?

La première impression que j'ai eue en me lançant dans cette recherche, c'est d'abord la rencontre d'une impressionnante profusion : 33400 liens proposés en tapant simplement "carnets de voyage" dans Google ! Mais bien des carnets sont en fait regroupés dans des sites constitués exprès pour cela : Uniterre, Ivoyage (dont le slogan annonce sur un goût douteux que le site regroupe "ceux qui ne reviennent pas de voyage comme ils reviennent des toilettes " !), ou encore Carnets de voyages. Certains de ces sites présentent des récits assez basiques, où la mise en page est déjà donnée et où le voyageur n'a qu'à raconter en quelques mots et à montrer en quelques photos ce qu'il a vécu. Mais ils donnent aussi et surtout des liens vers de vrais sites, faits entièrement par des internautes. Ces pages ou ces liens sont la plupart du temps regroupés par continents. On n'a qu'à cliquer sur "Afrique" ou "Asie", selon que l'on veuille se laisser entraîner vers la solitude des déserts sahariens ou la luxuriance des rizières de Chine. Malgré le côté pratique de cette classification, j'ai été pourtant d'abord déçue par les pages sur lesquelles je suis tombée par hasard. Beaucoup se contentent simplement de mettre en ligne quelques photos, réduisant leur texte à de simples légendes assez lapidaires. D'autres se transforment en véritables guides touristiques, multipliant les adresses et les "bons trucs". C'est certes particulièrement utile lorsque soi-même on prévoit d'aller dans le pays présenté, mais ce ne sont pas des informations que je recherchais - simplement des impressions, des émotions, des commentaires complètement subjectifs et personnels en fin de compte.

Mais au fil de mon voyage internautique, j'ai découvert des sites plus élaborés. Certains sont simples, et pourtant complets et intéressants. C'est ainsi que Jean-Christophe Godot met en ligne ses "carnets" aussi bien asiatiques (Japon, Chine, Sri-Lanka, Inde...) qu'américains (Canada, Etats-Unis) ou européens - ce baroudeur semble avoir tout visité. Comme il le dit dans son introduction, ses carnets sont "surtout des impressions, sans prétention". Il y fait le "descriptif de [s]es parcours", alliant à la fois des textes personnels, des photos, et même les pages de son passeport scannérisées. Il explique ensuite que ses voyages les plus anciens sont "reconstitués sur la base de notes, des guides utilisés, du parcours photographique", tandis que les plus récents sont rédigés "rapidement après [s]on retour". Voilà qui répond donc à une des mes interrogations : le globe-trotter ne part pas avec son ordinateur sous le bras, comme le voyageur "traditionnel" qui a son carnet de croquis ou de notes dans la poche de son sac à dos, mais il "reconstitue" tout à son retour. Mais où sont les impressions immédiates, alors ? Il est certain qu'on ne décrit pas de la même façon un pays le premier jour où l'on débarque de l'avion et on l'on a encore un regard naïf et crédule, et le dernier jour, une fois que ce qui était inconnu est devenu plus familier. Que devient donc la spontanéité et la progressivité de l'écriture diaristique ?

Un site propose pourtant une vraie écriture de la quotidienneté du voyageur. Il y a quelques années, quatre étudiants ont fait un tour du monde pendant six mois. Ils ont emporté un ordinateur portable (surnommé le Barakouda), un appareil photo numérique, et, après avoir cherché quelques sponsors, ont décidé de faire partager leur voyage sous forme de "reportages", écrits chaque semaine. Le voyage est maintenant terminé depuis longtemps, mais on imagine que les lecteurs de l'époque ont pu en temps réel suivre le parcours des baroudeurs. Immédiateté de la communication des écrits, récits ouvertement considérés comme subjectifs et personnels, interactivité des lecteurs... n'est-on pas ici tout proche des journaux intimes on line ?

Le pari est toutefois difficile à tenir : chacun n'a pas un ordinateur portable et une connexion à internet dans ses bagages (ou si c'est le cas, ce n'est pas si évident : ce journaliste raconte ainsi que les quelques mails qu'il peut envoyer du Vietnam sont tous passés au crible de la censure). A moins d'être installé dans le pays étranger - comme cette Française expatriée à Rome qui envoie tous les quinze jours des chroniques sur sa nouvelle ville et les impressions qu'elle lui inspire - il est difficile techniquement d'accompagner les découvertes et les aventures vécues de leur mise en mots et de leur communication immédiates. Un certain nombre de globe-trotters essaient tout de même d'envoyer régulièrement leurs récits pendant leur voyage. La multiplication des cyber-cafés à travers la planète, permettant d'envoyer des e-mails relativement facilement, rend possible cette communication. Par ailleurs, le voyage, même s'il est long (certains tours du monde sont faits en une année), a nécessairement un début et une fin. Il a en lui-même une unité qui impose des bornes au récit. Celle-ci ne peut se poursuivre indéfiniment, comme le journal à proprement parler qui peut, lui, se continuer à l'infini et qui se moque de la structure narrative. D'ailleurs, même si tous les carnets sont différents, la plupart commencent de façon analogue, par le récit des préparatifs et du départ dès l'aéroport, et finissent par des conclusions similaires sur les meilleurs ou les pires souvenirs du voyage. Au fond, la forme est relativement fixe, imposant d'elle-même sa chronologie.

Toutefois, même s'il s'agit de récits rétrospectifs, après coup, une fois qu'on est de retour chez soi, devant son bon vieux ordinateur, beaucoup de sites sont merveilleusement bien faits. Certains parce qu'ils ont une grande maîtrise technique - l'utilisation de Flash par exemple. D'autres parce qu'ils sont fondés sur des récits vivants, drôles ou émouvants. D'autres encore qui réunissent ces deux qualités et un vrai talent de conception et d'imagination.

Finalement, la principale différence entre le carnet de voyage et l'écriture diaristique plus "casanière", c'est que l'écrivant, au lieu d'être tourné vers lui-même et sa propre intimité, est davantage ouvert vers l'extérieur. S'il décrit ses émotions et son ressenti, c'est moins pour se comprendre lui-même que pour mieux saisir le monde qu'il découvre autour de lui. La communication de ses impressions est destinée à donner une meilleure approche du pays. L'intimité qui apparaît alors n'est pas refermée sur elle-même, mais est toujours donnée comme un moyen d'accès aux autres. Dans ce don par l'écriture des aventures personnelles, il y a toujours cette dimension de partage et d'ouverture à l'autre que l'on trouve dans l'écriture diaristique. C'est ainsi ce que dit Eric à ses lecteurs, de retour d'un grand voyage autour du monde que sa femme et lui ont raconté par le biais de mails envoyés et publiés sur leur site : "à travers ce site, nous avons voulu vous donner des nouvelles, vous apprendre des petites choses, vous faire (un peu) réfléchir, vous distraire (souvent) et surtout nous avons cherché à toujours vous faire rire. Nous nous sommes sentis privilégiés, et il eût été injuste de ne pas partager cette aventure avec ceux qui le souhaitaient". Le voyageur ne dit pas "Regardez qui je suis !", mais simplement "Regardez ce que j'ai vu !". Ce cri touche moins à sa vie secrète et personnelle. C'est d'ailleurs pour cette raison que presque tous les internautes qui mettent en ligne le récit de leurs voyages ne se soucient pas d'anonymat (ni dans leur nom, ni sur les photographies). Il s'agit de voyages autour du monde, au cours desquels, par le biais de rencontres, on se découvre parfois soi-même. Mais la découverte de soi est indirecte. Ce n'est pas le but recherché. Le voyageur veut d'abord fixer ses souvenirs, ne pas oublier toutes ces images qui l'ont ébloui ou tous ces visages qu'il a rencontrés. Le net devient alors, en plus d'une zone de partage, une boîte à souvenirs, où le temps qui passe est sinon arrêté, du moins rappelé à la mémoire. C'est ce qu'expliquent Rachel et Yvan dans leur site "Prochaines escales", dans lequel ils font paraître régulièrement, depuis leur départ en Thaïlande en février dernier, des petits messages intitulés "Kroniks & klichés" : " ce site n'est pas un journal de bord ", disent-ils, en ajoutant que leurs chroniques communiquées au fil du temps " ne relatent pas l'histoire chronologique de [leur] virée. Il s'agit plutôt d'évoquer des rencontres, des événements, des faits et des émotions ponctuels, témoignages sur le vif, regards subjectifs sur notre quotidien de voyageurs. Quelque chose dans le genre "carte postale", dans l'instantané, dans l'anecdotique parfois, un peu en vrac."

Les carnets de voyage sont peut-être peu riches sur le plan de l'analyse de soi et la contemplation intérieure (on donne moins de soi), mais en même temps, sans totalement faire abstraction du regard subjectif, ils sont fondés sur un désir de partage et ils offrent ainsi une agréable bouffée d'oxygène et d'énergie. Et finalement, donner envie de voyager, n'est-ce pas là leur principale qualité ?

  Voyages et butinages...

En plus de ceux cités plus haut, voici en complément une liste de liens, avec quelques commentaires, pour vous convier dans un voyage à travers Internet. Cette liste ne se veut en rien exhaustive, et surtout ne représente pas nécessairement le meilleur du net. Il faudrait passer davantage de temps à naviguer sur les sites pour avoir une vision plus large de tout ce qui est publié. Il s'agit là simplement d'un point de départ pour un embarquement immédiat...

  Répertoires de carnets de voyage et webrings sur le voyage :

-  Uniterre
-  Ivoyage
-  Le Guide du Routard
-  Carnets de voyages
-  Les Liens Web du voyage (webring)
-  Around the worlds (en anglais et en français)

  Sélections de quelques sites :

-  Montpellier-Dakar en acadiane : Site ouvertement annoncé comme "autobiographique", est "dédicacé à tous les aventuriers ou les futurs baroudeurs du désert qui vont, qui aimeraient ou qui l'ont déjà fait". Dans une interface très agréable (en Flash), il décrit, souvent avec humour, le trajet jusqu'au Sénégal d'un jeune couple dans une vieille bagnole qui tombe en panne... dès l'autoroute !

-  http://www.teaser.fr/ vdisanzo/voyage.html : De beaux carnets de voyage, avec des textes très complets sur l'Egypte, l'ouest américain, le Népal et le Mexique. Une longue liste de liens intéressants.

-  http://www.imaginet.fr/terminus/ Le projet de deux jeunes journalistes qui ont fait une enquête on-line sur les systèmes éducatifs primaires de dix pays asiatiques et qui en ont profité, munis d'un ordinateur portable, pour faire le récit de leurs découvertes (carnets de bord surtout à base d'informations pratiques et de "bons trucs").

-  Carnet de voyage d'une jeune femme découvrant la Tunisie agrémenté de photos, de cartes postales et surtout de croquis faits au crayon. Pour le moment sur le site de Carnet de voyage, mais bientôt sur son site personnel.

-  Nomades on line : Un site très complet et d'une belle maîtrise informatique de deux jeunes gens partis autour du monde dans un but humanitaire. Ils mettent en ligne régulièrement des reportages tirant parti du multimédia (textes, photos, mais aussi sons et vidéo) et des carnets de route.

-  La mer d'Aral par Guillaume Reynard : Carnet de route presque essentiellement à base de dessins au crayon et aux encres sépias.

  Pour se lancer soi-même dans la conception d'un carnet de voyage :

Le site Uniterre donne à cette adresse quelques brefs conseils et présente un mode d'emploi de la conception du carnet : Patrick Colcomb, se dit "professeur de carnet" et donne des indications pour réaliser des carnets (sur papier, et non pas sur ordinateur cependant). En fait, il montre surtout quelques pages de ses propres carnets, toutes très belles, avec des aquarelles, des collages, des photographies. Un vrai talent artistique.

  Blogs ?

Il serait intéressant de voir s'il y a des carnets de voyage publiés sous forme de blogs : la souplesse technique du weblog et la mobilité qu'il permet résolvent bien des difficultés que présentent l'instantanéité du récit de voyage. Donc, à suivre...

A titres indicatifs

Par Vani

Comment le titre est choisi, pourquoi, qu'est-ce qui peut motiver un changement de titre, toutes ces questions fort intéressantes ne seront pas abordées dans cette petite étude. Je ne m'attacherai en effet qu'à une observation, un état des lieux, voire un classement des titres choisis, ce qui pourra servir de base de travail pour des questionnements ultérieurs plus approfondis.

N'ayant pas non plus la prétention d'être exhaustive, cette étude se limitera aux titres des journaux (intimes et d'opinion) tels qu'ils sont répertoriés à la CEV, car ce groupement offre à ce jour (6 mars 2002) un échantillon de 159 journaux que l'on peut considérer comme représentatif de ce qui existe sur le web francophone.

Une dernière chose avant de plonger dans cet univers des titres : tout au long de ce travail, je désignerai par "journal intime en ligne" (j'aurais pu dire aussi bien "journaux personnels en ligne") les journaux qu'ils soient dits "intimes" ou "d'opinion", qu'ils se présentent sous forme traditionnelle ou sous forme de blog. Ce qui compte, c'est qu'ils se considèrent comme "journaux intimes en ligne" puisqu'ils se sont inscrits à la CEV dont les critères de sélection sont très clairs (d'où l'intérêt de s'en tenir à ce groupement, CQFD) [1].

  1. Trois mots-clés : journal - intime - en ligne

Bon, eh bien allons-y, plongeons ensemble, mais pas la tête la première. Réfléchissons : a priori, vous vous attendez sûrement comme moi à trouver une majorité de titres qui incluent le mot "journal". Et puis le mot "intime" aussi, même si cette notion appliquée au web est discutable (et c'est pourquoi je parle plutôt de journal personnel). Et enfin, pourquoi pas, un mot qui rappelle le monde du web.

Et qu'est-ce qu'on constate sur le terrain ? Oui, le mot "journal" (ou "diary" pour 2 cas) est présent dans une bonne trentaine de titres, soit dans 20% des cas environ. A noter : un pluriel pas très orthodoxe avec "journals".

Quant au mot "intime", tenez-vous bien, on ne le trouve que... 3 fois ! soit dans moins de 2% des cas ! Et le plus amusant, c'est que sur ces 3 cas, 2 n'emploient ce mot "intime" que pour le minimiser : Un journal pas très intime, Un journal(très peu) intime, bref, pour faire comme s'il fallait d'emblée l'oublier.

Enfin, des titres qui font référence au web, on en trouve 3 exemples seulement, donc à nouveau moins de 2% des cas : "instant clic - net journal", "cyberjournal"... et un très curieux Mon journal intime sur le web.

Pourquoi très curieux ? Observez-le bien... encore mieux... vous avez remarqué ? Eh bien il est le seul titre où l'on trouve nos trois mots : "journal", "intime" et "web" ! Un seul titre sur 159 ! En pourcentage, c'est un pouième : 0.63% environ. Voilà qui mérite que l'on s'y arrête : ce qu'on pensait être banal est en fait rarissime.

Etendons alors notre notion de "journal intime en ligne" à d'autres mots que nos trois mots-clés..

  2. La pratique du journal

Si le mot "journal" n'est présent que dans 20% des titres, c'est qu'il faut peut-être chercher dans les autres titres des références soit à l'idée d'écriture, soit à l'idée de jour (un journal est censé être entretenu tous les jours) ou de toute autre périodicité, soyons encore plus larges.

Le vocabulaire de l'écriture est bel et bien présent sous des formes variées, parfois inattendues : "page(s)", "écritoire", "mots", "apostrophe" (comme chez Pivot !) [2] "encre", "letters" et "newsletter", "plumes" et même "main" (gauche !). On peut aussi inclure à cette liste les mots "gouttes" (qui sont "de lune", mais aussi d'encre ?), "didascalies" (référence à l'écriture théâtrale), et puis "concerto" (car l'écriture musicale, c'est bien de l'écriture). En tout, une douzaine de titres sont concernés, c'est-à-dire 7.5% des cas. Ce n'est pas si mal.

Mais c'est qu'on oubliait le mot "chroniques" ! il est présent 5 fois (y compris dans ce joli jeu de mots qu'est Insomnies Chroniques). On pourrait garder ces 5 cas pour l'idée de périodicité, mais ils sont quand même ici plus proches de l'idée d'écriture : donc le pourcentage se monte maintenant à... 10.7% C'est mieux !

Allons-y maintenant pour l'idée de périodicité, et plus largement de temps : on compte 2 "jours", ce qui n'est pas beaucoup, mais aussi 3 "quotidien", 1 "semaine", 3 référence au cycle de la journée avec Le bon matin, Je vais me coucher (donc a priori le soir) et Diurne/nocturne. Quant à l'idée de temps (qui passe), on le trouvera sous diverses formes : Temps-présence, J'étais, je suis, je serai (les fautes de conjugaison étant ici corrigées), hier, aujourd'hui, demain et pourquoi pas Flux. Quant au mot "vie", on en parlera plus loin si vous le voulez bien. Bon, donc cela fait un total de 13 titres concernés, soit 8% environ.

On peut donc réviser à la hausse notre pourcentage de titres où l'idée de "journal" est présente : 20+10.7+8= 38.7%, voilà qui commence à devenir significatif ! Mais enfin, qu'à peine plus d'un tiers des journaux avoue son statut de journal a de quoi surprendre, non ?

  3. L'intime dans tous ses états

J'en reviens à ce surprenant "journal intime sur le web". J'étais tellement intriguée par le choc frontal entre "intime" et "web" dans le même titre que j'ai écrit à son auteur(e), laquelle m'a gentiment répondu qu'il fallait peut-être désormais entendre "intime" comme "intimité" (je me raconte) voire "intimiste" (une relation très personnelle de soi au lecteur).

D'accord, d'accord... Alors allons-y pour traquer l'intime au sens le plus large d'intériorité donnée à voir.

C'est ici qu'on peut placer le mot "vie" (9 fois). En y ajoutant les mots "quotidien", "jours" et tout ce qui se rapporte au temps, oui, je sais, on les a déjà mis ailleurs, mais ici aussi ils vont très bien, non ? donc, disais-je, en ajoutant tous ces mots-là, on se retrouve avec une petite vingtaine de titres qui expriment l'idée d'exhibition de soi au jour le jour, du récit de son quotidien, soit 12.6% des cas.

Cette exhibition peut être plus poussée : je ne fais pas que me montrer, je me découvre, je me dévoile, je montre ce qui se trouve en moi. Exhibition du moi intérieur, en somme. Et alors là, accrochez-vous, il y en a des mots divers pour exprimer cette idée-là ! Entre ceux qui font référence à une intériorité physique que l'on décortiquerait presque au scalpel avec les mots "tête", "yeux" (mais aussi "regards" et "miroirs") voire "cérébral", et ceux qui font référence à un monde intérieur secret mais enfin ouvert au lecteur, avec les mots "âme", "monde" (pensez aussi à ceux qui ont donné un nom à leur monde intérieur : la Slabovie par exemple), "univers", "pays virtuel", "songes", "pensées", "réflexions", "idées", "imagination", et puis un "tunnel" et des "absences souterraines", et même une "île secrète" et un "lagon", plus imagés. J'aime aussi beaucoup le néologisme "narcissite". Et puis plus simplement les deux ou trois journaux qui vous invitent "chez..." Et ça fait combien tout ça ? Grosso modo une trentaine de titres concernés, car je ne les ai pas tous cités, soit environ 20%.

Sans oublier que parfois on confie d'emblée au lecteur un état d'esprit : Sentimentalement démissionnaire, "à quoi bon ?", "seule", "allégresse", "paranoïa"... quand on ne l'invite pas à assister (voire à participer ?) aux changements qui sont appelés à survenir : "états", "métamorphoses"... Bref, le lecteur est invité à lire l'histoire d'une vie en construction : Il était une fois moi le dit très bien, et tous les journaux qui mentionnent le pseudo du diariste encore mieux, de Azulah et voilà à Maudit français, de La luciole électrique à Géradon... etc. Et voilà 5 à 10 % de plus dans notre escarcelle.

Nous totalisons autour de 40% de journaux qui font référence à l'intime, c'est-à-dire à peu près autant que ceux qui signalent plus ou moins leur état de journal. La proportion serait-elle comparable en ce qui concerne l'idée de journal "en ligne" ?

  4. Des journaux à lire

Allons, allons, vous avez la mémoire bien courte : souvenez-vous qu'on n'avait compté que 3 titres faisant référence au monde du web. Certes on peut y ajouter tous ces titres qui parlent du/au lecteur : quand on choisit pour titre (...) Un signet dans ta vie [3] ou À qui de droit, c'est qu'on envisage d'avoir au moins un lecteur, et un titre comme À quoi bon ? est pour le lecteur une question que lui adresse directement le diariste (en plus de se l'adresser à lui-même). Mais ça ne fait toujours pas beaucoup, tout ça. A vue de nez, moins de 10 titres sont concernés.

C'est qu'il faut peut-être regarder surtout du côté de tous ces (nombreux) titres inclassables de Wash à Orangekaki en passant par Treize, bref, tous ces titres originaux tels ceux de romans [4], autrement dit des journaux à lire : en gros, une quinzaine de titres concernés, donc on obtiendrait au total 25 titres, soit 15% des journaux. Hum, assez ridicule, comme s'il ne fallait pas penser au lecteur (alors que les diaristes en ligne en sont généralement obsédés, sisi ! on en reparlera à l'occasion d'un autre article).

Or si on les écrit, ces journaux, c'est pour qu'ils soient lus, j'insiste, et s'ils ne sont pas publiés en version papier, ils le sont sur le net parce que... parce que quoi, justement ?

Pourquoi diable mettre son journal en ligne ? Réponses prochainement sur vos écrans dès que les articles sur la relation diariste-lecteurs et sur la différence journal papier - journal en ligne seront pondus !

NB : Les très probables imperfections de cette étude :

-  Je n'ai pas parlé des quelques journaux qui annoncent un programme au lecteur, qui accordent une finalité à leur existence : faire un "diagnostic", se vider dans un "exutoire" ou tout simplement respirer (Breathing under water)... etc, pourtant je crois que c'est une piste intéressante à explorer. J'aurais même pu les ranger avec les journaux qui s'adressent au lecteur (fin du 4è point).

-  Il aurait été intéressant également de lier chacun de ces titres au sous-titre, voire au préambule (ou introduction, ou avertissement au lecteur...) qui l'accompagnait parfois, mais quel boulot !

-  Je n'ai pas non plus présenté la liste exacte des journaux de la CEV telle qu'elle était constituée le jour où je l'ai étudiée (07.03.02) ; à ce propos, refaire la même étude dans 20 ans pourrait être intéressant, pour voir si les proportions changent... ou alors appliquer cette étude à des journaux d'autres langues...

-  Je me suis sûrement trompée par-ci par-là dans mes comptes, et en plus vous allez m'objecter que tout est faussé par le fait que certains titres entrent dans plusieurs catégories (y en a pas des masses, quand même). Mais je doute que ce soit si important que ça, il ne s'agissait pas de faire des statistiques exactes mais de dessiner un profil à grands traits.

Il y en a sûrement d'autres encore, des imperfections : sachez que j'attends impatiemment que vous les releviez !

J'espère surtout que cette petite étude vous aura donné des pistes à explorer ou qu'elle vous sera utile pour compléter les vôtres.

[1] On explique aussi pourquoi la distinction intime et d'opinion nous paraît discutable dans notre journal, entrée du 9 février 02.

[2] Bernard Pivot a longtemps animé à la télévision française une émission littéraire qui s'appelait Apostrophes.

[3] Evidemment, entretemps, Henri s'est dépêché de changer le titre de son journal : un vrai phénomène à étudier, ce journal au titre instable !

[4] Il serait d'ailleurs particulièrement intéressant de demander aux auteurs de ces journaux comment ils ont choisi leurs titres.

Ce site est optimisé pour... la lecture !

Par Eve

Journal intime  : Pratique d'écriture, une des plus communes qui soient dans notre société, mais qui n'a encore été que peu étudiée. [...] Est-ce dû au fait que la plupart des journaux intimes échappent à toute investigation, dans la mesure où ils ne sont jamais publiés ? [...] (d'où c'est tiré ?) [**]

Le journal intime existe sous sa forme d'autoanalyse depuis la fin du XVIIIe siècle. C'est dire qu'il s'en est écrit des pages depuis ce temps ! Le jugement inconstant du genre a fait que le journal intime a peu été étudié. En effet, il a été considéré, à la fois ou tour à tour, comme forme d'expression pour adolescents, forme d'écriture accessible à tous, genre qui ne demande aucune notion d'esthétisme (soit privilégier la forme dans l'écriture) et exercice d'écriture sans but de publication, donc non littéraire. Aujourd'hui, qu'en est-il ? L'histoire du journal intime a tourné une page, toute virtuelle soit-elle : on voit dans son avenir un charmant mélange de secret et de publicité...

Cette grande révolution historique passe en grande partie par le web. Grâce à ce médium, cette publicité/publication de journaux intimes devient possible facilement, à peu de frais et dans des délais très courts. Mais qui dit nouvelle utilisation de ce médium dit apprivoisement de celui-ci. Quand un diariste écrit dans son journal papier, rien ne l'empêche d'écrire à l'encre invisible ou de noter un mot par page si cela lui chante ! Mais essayez ces techniques en ligne, et le bénéfice que peut vous apporter la mise en ligne de votre journal (lecture par autrui, partage de vécu, etc.) disparaîtra en un clic de souris. Plusieurs éléments facilitent la diffusion de ce que vous écrivez.

  Moi, auteur ?
La première idée à garder toujours en tête : vous êtes maintenant un diariste publié ! Ceci n'est pas une incitation à transformer vos vies en une rocambolesque suite de chamboulements aussi incroyables les uns que les autres, mais plutôt une prise de conscience ; chaque mot écrit sera lu par un oeil extérieur au vôtre, qui sera au départ neutre devant les penchants de votre plume. À vous de faciliter la lecture de ce qui est si important pour vous.

  Action, Réaction
Le web a cette particularité de permettre au lecteur de prendre sa place près de vous, dans ce que vous vivez, au moment où vous le vivez. La meilleure écriture en ligne est celle qui réussit à faire une petite place au lecteur à travers ses lignes, de façon à ce qu'il ait le désir de non seulement lire, mais d'agir (vous écrire, réfléchir à votre entrée, entreprendre une action, etc.). C'est bien sûr un jugement de valeur de la part du lecteur qui joue ici. Vous pouvez toutefois agir sur ce jugement en utilisant quelques techniques suivantes :

-  contraste des couleurs de fond et de celles du texte (et éviter les couleurs complémentaires)
-  taille des caractères
-  un maximum de 3 polices différentes
-  lignes de texte entre 50 et 70 caractères
-  utilisation espacée de l'italique et des lettres capitales
-  taille des pages (préférablement courtes)

  <A href>
Une autre particularité du web : sa non-linéarité. Eh oui, si vous ne l'aviez pas remarqué, le web permet de se promener de lien en lien ! Autant il faut exploiter les forces du papier dans un texte papier, autant on ne peut laisser de côté les particularités du web, alors que c'est le médium. Et quels sont les avantages de la non-linéarité du web ? Cela permet au lecteur de prendre une pause dans votre texte, soit pour aller prendre davantage d'information sur un site spécialisé, pour visualiser ce dont vous parlez ou pour visiter un autre journal auquel vous référez, par exemple. De l'autre côté de l'écran, cela vous permet de ne pas copier-coller un site entier ou d'en faire un résumé. Les statistiques montrent qu'un internaute passe en moyenne 1m25s sur une page. Et que 80% des internautes balaient la page qu'ils ont devant les yeux. Une longue description est alors beaucoup plus fastidieuse pour eux qu'un petit clic à faire pour tout comprendre en un instant, et revenir à vous par la suite, l'esprit aussi clair qu'au tout début. Bien sûr, cela demande plus de temps de votre côté. C'est à vous de voir !

  La simplicité, ça paie !
Au-delà de la non-linéarité, il faut savoir présenter les éléments qui composent votre site web de façon à optimiser les plus du web. Savoir rendre la navigation agréable, facile, rapide, ce ne sont que des incitatifs, pour un lecteur, à rester davantage longtemps dans votre journal. S'il perd déjà 30 secondes à chercher le lien qui mène à votre journal, il ne lui reste statistiquement qu'une minute à lire vos écrits. Créer un trio parfait composé de votre site (médium), de vous (auteur) et du lecteur, voilà l'idéal. Un bon truc pour y parvenir : analysez vos habitudes de lecteur, sur un site extérieur, n'importe lequel. Qu'est-ce qui vous plaît le plus ? Qu'est-ce qui vous déplaît le plus ? Vos goûts risquent d'être les mêmes chez d'autres, alors tentez d'adapter votre site à votre optimisation en tant qu'internaute. Pensez ''simple''. Créer une navigation aisée ne demande que de la logique et la connaissance de ce que vous voulez faire passer comme messages, non pas des dons de programmation ou de rédaction.

Prise de conscience de la présence des lecteurs (vous êtes publié !), principes de lisibilité, utilisation de la non-linéarité de web et design de navigation simple. Entre ces quatre principes de base, il reste tout un monde à concevoir, le vôtre...

  Saviez-vous que...
Le web est considéré comme un médium oral autant qu'un médium écrit ? Les écrivains du web utilisent fréquemment des conventions de la langue orale pour se faire entendre. De plus, le web est considéré évanescent comme peuvent l'être les paroles. Enfin, les signes typographiques utilisés à d'autres fins que dans la forme papier (ex. : * * pour signifier l'italique, __ pour indiquer le soulignement, etc.) et l'utilisation des binettes (smileys, normalisé par l'Office de la langue française !) suppose la rapidité du langage parlé.

  Références

-  Writing In Cyberspace, par Pixie Ferris
-  Quelques recommandations pour la rédaction de contenus Web, par Christian Bastien
-  Y a-t-il une écriture spécifique au Net ? , par Claude Leblanc
-  Les écritures en ligne, par Ève Jardel

[**] Cela provient du Dictionnaire des genres et notions littéraires, Encyclopaedia Universalis, Albin Michel, 1997

Numéro 2

Juin 2002

Edito
  • Inséparable, encombrant... Et quoi d'autre encore ? (indisponible) par tehu
Mon journal, cet ami inséparable et encombrant (Thématique)
En Images
  • Intimité : analogie en 6 étapes (indisponible) par l'Incrédule
Pratique du Journal
Interview
Bibliothèque

Mon meilleur ami ?

Par Azulah

Mon journal, cet ami fidèle, celui qui me suit partout, qui m'empêche de dormir la nuit, qui me tient compagnie lorsque je me réveille à 4h du matin. Celui que j'écris dix, vingt fois, dans ma tête, en me couchant le soir, et que je ré-écris une fois le matin, assise ici en buvant mon café. Témoin depuis longtemps des jours heureux, des hésitations qui marquent mes jours, des ennuis qui parcourent ma route, il est là. Patient. Silencieux. Exigeant. Il attend tout de moi. Il veut tout savoir, il lit entre les mots.

Mon journal est aussi nocturne que moi. Il appartient à ce temps, juste avant l'aube, où le ciel est d'un bleu vermeil, où les gens honnêtes ne sont pas encore debout. Je lui dévoile mon âme. Ensuite je fais le tri. Il saura tout, mais ne partagera pas. D'ailleurs entre les mots confiés en pensée au journal, et ceux qui y feront leur apparition, tout un monde existe. Un monde qui respire, qui bouge, qui anime mes passions et mes peurs, ma vie de tous les jours. Le journal sert à constater ces faits, parfois à les analyser, souvent à les clarifier. Toute ma pensée pré-écriture est machinale et indépendante, souvent même, inconsciente. Les réflexions se font, comme une conversation entre... moi et moi. Je lui raconte mes gestes quotidiens, sachant que derrière chacun des gestes posés, qui paraissent bien innocents, tout un monde peut être interprété.

Je sais que ce journal est lu, mais je sais qu'en bon ami fidèle, il gardera mes secrets, ne répétera pas tout. On n'y lira que ce que les doigts auront bien voulu laisser transparaître. Ensemble nous parcourons lui et moi ces lignes que je lui confie, et nous décidons. Pas de l'importance des mots, il n'y a aucun doute là-dessus. L'importance du silence aussi. Les mots et les silences. Comme avec un ami en chair et en os. Ce journal a sa personnalité, sa vie presque en dehors de moi. Sans moi, il n'existerait pas, mais comme un enfant à qui on a donné la vie, il existe par et pour lui-même maintenant.

Parfois j'écris d'un trait, comme si de raconter cette vie qu'est la mienne devait se faire sans hésitation, sans regard en arrière, sans prendre le temps de respirer, et d'y penser. Je laisse les doigts se promener sur le clavier, comme bon leur semble, et les mots viennent et se posent, s'imposent. Ne plus écrire est impossible. J'ai besoin de ce confident muet et sans jugement. Il me suit partout. Un carnet dans le fond d'une poche, le dos d'une enveloppe, ou tout simplement ces mots gravés dans ma mémoire, pour ressortir plus tard lorsque je m'installe ici.

Et le voilà donc devenu ami encombrant... Car il faut bien sûr que ces confidences demeurent un secret entre lui et moi. Que personne ne sache que j'occupe une partie de mon temps à écrire mon journal. Et pire encore, à mettre ce journal à la disponibilité de quiconque aura envie de le lire, en furetant sur internet. Encombrant parce que je ne peux plus ne pas écrire. Lorsque j'ai envie de prendre du recul, de m'éloigner un peu, de regarder tout ça d'un oeil objectif, et de me dire que dans le fond c'est bien futile, je me rends compte que la futilité est plutôt dans l'idée de ne plus écrire.

Il me semble que tout cela est contradictoire. À cet ami, je confie beaucoup. J'allais dire, tout. Mais il y a des choses, des pensées, qui restent sous-entendues, que je me dois de garder au plus profond de moi. J'aime parfois doser les mots pour que l'histoire reste vague. Pas tout à fait incompréhensible, mais pas entièrement définie.

Parfois que je me dis que tout ça importe bien peu, que nous ne sommes que des poussières dans l'univers, que ça ne changera rien en tout et partout, et donc pourquoi se casser la tête avec ces chimères ? Mais ce besoin d'écrire est plus fort que moi. Et aussi, je suppose, ce besoin d'être lue. Mais à un degré moindre. Une fois que les mots ont été engouffrés par le ftpiseur, et se sont envolés vers ce monde des journaux on-line, je dois faire confiance à l'ami à qui je viens de dévoiler mon âme. Et savoir que cette confiance n'est pas mal placée.

Comment un journal intime peut-il le rester sur Internet ?

Par !Béo!

De mémoire, j'ai toujours tenu un journal intime. Sur papier bien sûr, bien caché des regards et souvent je retournais me relire et c'était agréable - parfois moins - mais surtout : c'était MOI.

J'ai souvent fait des pauses ou le temps me manquait, l'envie aussi...

Ce journal intime sur support papier était vraiment un ami encombrant car je n'aurais pas voulu que quelqu'un le lise et de ce fait me juge....

Voila toute la différence avec le journal intime diffusé sur Internet. Le but étant qu'on nous lise !

Ayant délaissé le support papier depuis 4 ans et ayant un site Web depuis le même temps, j'avoue qu'au début c'est sans même me rendre compte que mon site a pris la forme d'un journal intime !

J'ai eu bien des critiques de la part de ceux qui sont affligés de la paresse du lecteur ...

Mais en majorité ceux qui apprécient mon site y viennent soit pour prendre de mes nouvelles, soit pour relire mon aventure et y faire référence pour leur propre cheminement ( je crois toucher ici le point le plus sensible d'un journal intime diffusé sur le Net... )

Et bon, y a les surfeurs qui arrivent à mon site par les liens ou moteurs de recherche.

Une chose est certaine : je relis toujours de 2 à 3 fois avant de diffuser ayant toujours en tête que je serai lue..... est-ce que ça annule la définition intrinsèque du journal intime ? Car évidemment je m'auto-censure.... car je n'ai aucune envie de blesser les gens que j'aime.... les autres non plus tiens !

Au bout du compte, je suis bien fière de mon site et de sa forme à la manière d'un journal intime. Et j'avoue que je fais tout ce que je peux pour pas qu'il devienne un ami encombrant ! Pour finir, il est différent des sites mis à jour pratiquement quotidiennement car mon but est de tenir à jour ma nouvelle vie en Suisse à un rythme plutôt annuel.

PS : A propos des critiques journalistiques qui décrient la diffusion de journaux intimes sur le Web, c'est à se demander s'ils réalisent que chacun de leur papier pourrait tenir la comparaison tellement certains s'épanchent avec un certain nombrilisme dans leur chroniques...Voilà !

J'ajouterai que la satisfaction personnelle vaut bien des critiques !

Soyez fiers (ères) de votre journal intime !

Indispensable, mais pesant : le regard sur le journal

Par l'idéaliste

Je n'aurais jamais pensé à qualifier mon journal d'ami. Un ami je le vois comme quelqu'un avec qui on communique, qui nous renvoie à nous-même à travers lui. D'aussi loin que je me souvienne, en remontant à mon premier journal-papier, jamais je n'ai écrit à une entité, un équivalent de la "Kitty" d'Anne Frank, qui pourtant a été ma première inspiratrice. Jamais même je n'ai dit tu comme le font certains diaristes sans que l'on sache s'ils s'adressent à leur journal, une personne en particulier, ou au lecteur qu'ils individualisent.

Ce journal que je tiens, je ne lui parle pas : je parle à travers lui. C'est un média qui me permet de communiquer. D'abord avec moi, au présent. Long monologue avec moi même révélé par les mots qui doivent transcrire une pensée tapie, difficilement accessible si on ne fait pas l'effort de la débusquer. Ensuite avec moi au futur. Je garde trace de celui que je suis pour être lu un jour, éventuellement, par celui que je serai. Et surtout, particularité du journal en ligne, je m'adresse désormais à des personnalités qui, elles, peuvent devenir des amitiés. Mais pas le journal en lui-même, non. On ne devient pas l'ami de lignes et de mots qui ne sont qu'une émanation de soi. Cela tiendrait du narcissisme ou de l'illusion d'une présence fictive.

Si je devais trouver une image pour décrire ce journal en ligne, ce serait "glace sans tain". Parce que c'est moi que je scrute et découvre, à travers mes mots, tout en sachant que je suis vu de l'autre coté de l'écran.

Au dela de ce coté anecdotique des mots pour décrire la relation qui existe entre le diariste et son journal, la question est d'évaluer la dépendance que l'on peut avoir vis à vis de cet exutoire. Or je dois bien reconnaître que je ne me suis pas projeté dans l'avenir pour savoir si je pourrais me séparer de lui. Sans doute parce que pour le moment cette forme d'expression m'apporte une satisfaction. D'une part j'aurais bien du mal à abandonner tant il a une fonction de révélateur plus efficace que l'écriture solitaire, mais surtout je ne m'en sentirais pas le droit. Parce que je suis lu, que je fais partie d'un cercle de personnes qui s'entre-lisent et que je ne veux, ni ne souhaite m'en extraire. Objectivement, pourtant, je sais que je pourrais prendre une certaine distance avec le journal, retrouver une autonomie en espaçant davantage mes entrées...

Et c'est là que je prends conscience du coté encombrant. Justement parce que je me donne certaines contraintes : fréquence, régularité, contenu, diversité. Le fait d'être lu implique que l'on ait conscience du lectorat. Mais ces contraintes ont un certain poids ; elles brident une part des idées, en stimulent d'autres.

Pour autant, jamais je n'ai perçu ce journal comme étant en lui même quelque chose d'encombrant. Ce ne sont que les contraintes inhérentes à l'écriture en ligne qui peuvent l'être.

Cette dépendance vis à vis du lectorat se manifeste aussi d'une façon peu visible : devenir prisonnier d'une certaine routine. On a beau écrire quelque chose de différent chaque jour, vient un moment où les réflexions se croisent, se recoupent... à tel point qu'une lassitude pourrait apparaître tant chez le diariste que chez le lecteur. Faut-il alors changer ? De style, de préoccupations ? Oui, mais avec le risque de ne plus correspondre aux habitudes du lecteur. Envie de se renouveller mais sans perdre la bienveillance des habitués. Encombrante, l'image que l'on a donnée de soi ?

En fait, si quelque chose est inséparable et encombrant, ce n'est pas le journal : ce sont ces regards portés sur lui.

Mon journal est-il cet ami inséparable et encombrant ?

Compte-rendu d'enquête auprès des diaristes

Par Eva

Il nous fallait vérifier la validité de notre thématique, somme toute paradoxale. Afin de mesurer le bien-fondé de notre question, nous avons posé une série de questions aux diaristes actuels du web. Une vingtaine de personnes, d'horizons différents, ont répondu au questionnaire que nous leur avons proposé. Il est toujours difficile de synthétiser des perspectives diverses. Mais c'est pourtant à travers les divergences qu'on apprend le plus. Avions-nous raison de traiter le journal on-line d'ami inséparable et encombrant ? Voici la réponse à notre interrogation, à travers une tentative d'interprétation des résultats de notre enquête.

Un ami inséparable et encombrant… Trois termes pour qualifier le journal intime publié sur internet. Trois termes pour tenter de cerner la proximité parfois embarrassante, souvent ambiguë et toujours irremplaçable qu'un diariste peut avoir avec son journal intime. Trois termes lancés comme une problématique incongrue et énigmatique : comment un journal, objet inanimé doué d'aucune autonomie, pas même spirituelle, peut-il être jugé comme un ami ? Plus encore, comment ce qui est inséparable, c'est-à-dire intimement lié à notre existence quotidienne, peut-il être en même temps ce qui nous encombre ?

  Mon journal, mon ami pour la vie ?

Personnifier son journal ne va pas de soi pour la plupart des diaristes. Presque tous refusent de le considérer comme une entité indépendante qui mènerait une vie spécifique à l'insu de son créateur. Certes, le TabulaWriter reconnaît que son Ecritoire est comme un monde, mais ce monde n'a pas l'aspect concret d'une existence matérielle. Marie dit ainsi que tout se passe comme si un fantôme habitait son journal : il est vivant mais irréel, avoue-t-elle. Si un journal a une vie, celle-ci est plutôt le reflet de celle de son auteur. Par conséquent, le journal est avant tout un objet, et non pas un sujet : il n'a pas de liberté propre et c'est à lui de s'adapter aux envies de son créateur, comme le dit Aria. Certains comparent cet objet à un cahier, ou plutôt à un scrap-book - un livre aux pages blanches dans lequel on peut coller des photos, des images, des tickets de métro, comme le disent tout à la fois Marylène et Eve. Mais les contraintes de l'informatique qui rendent le contact avec l'écran un peu froid font que, même sous forme de cahier, le journal apparaît comme un lieu un peu abstrait, comme le définit Ophélie. C'est un lieu qui permet de se retrouver soi-même. C'est dire si ce qui prime est d'abord sa dimension utilitaire. Le journal est ainsi avant tout un média : un moyen pour autre chose, et non pas une fin en lui-même. C'est un outil s'accordent à dire bien des diaristes, comme Frédéric qui prononce le mot support.

Le journal n'est donc pas une personne. Peut-on alors le considérer comme un ami ? Rien n'est moins sûr. Une minorité de diaristes (25 %) acceptent ce qualificatif pour désigner leur journal. L'Idéaliste reconnaît que les mots qu'il écrit sur son site sont des confidences qu'[il] ne peut faire qu'avec des personnes dont [il se] sent proche et il ajoute qu'il tient au retour de lecture 'amical' qu'il reçoit des lecteurs. Mais s'il y a un ami dans cette relation, c'est alors le lecteur, plutôt que le journal. C'est à ce dernier qu'on se sent d'abord lié, à tel point que lorsque le diariste n'écrit pas pendant longtemps c'est essentiellement à l'égard de celui-ci qu'il se sent coupable. Si 75 % des diaristes refusent le qualificatif d'ami à qui l'on ferait des confidences pour désigner leur journal, c'est que, malgré la présence – plus ou moins implicite – des lecteurs, il manque la dimension essentielle définissant l'amitié : la réciprocité, ou, comme le dit Ophélie, l'intéraction. Mon journal n'est pas comme un ami, écrit Frédéric, parce qu'il ne peut pas comprendre quand je pleure, ou quand je suis malheureux, qu'il ne peut pas me répondre. Tout simplement qu'il ne m'écoute pas. On ne peut pas parler de réelles confidences amicales, car il manque l'aspect de double sens comme le dit Clarine. Ecrire son journal, ce n'est pas se confier à un ami bienveillant qui vous donnera ensuite des conseils ou qui se permettra de vous juger. D'ailleurs, c'est tout l'intérêt du journal : on peut lui dire bien plus de choses qu'à un ami, s'exclame Marylène. En effet, il vous interrompt pas, il opine toujours quand vous avez fini, socket connected et tout et tout montre-t-elle. Lorsque l'on écrit son journal, on parle d'abord à soi-même : c'est un monologue, comme l'affirme Sally. Un discours à une seule voix qui, certes, peut avoir de l'écho, mais qui jaillit toujours à partir du silence et de la solitude. C'est un acte d'écriture, c'est cracher son âme sur du papier ou un écran, c'est un acte solitaire dit tout à la fois Sacha.

Cependant, refuser de considérer le journal comme un ami, n'est-ce pas alors nier la dimension d'intéractivité propre au média qu'est internet ? N'est-ce pas réduire le journal on-line à une simple reproduction du journal papier ? Certainement pas et il suffit de regarder qui sont ceux que les diaristes considèrent comme destinataires de leurs écrits pour s'en convaincre. Seuls 15 % d'entre eux n'affirment n'écrire que pour eux. Pour plus de 50 %, c'est aux lecteurs qu'ils s'adressent d'abord. Ceux-ci sont soient connus (comme c'est le cas pour le TabulaWriter qui avoue s'adresser d'abord aux lecteurs lui ayant déjà écrit), soient invisibles, un petit peu comme le public d'une représentation théâtrale. Cette image du monde du spectacle revient plusieurs fois : Aria dit ainsi s'adresser souvent aux Messieurs-Dames, parce que c'est poli et un peu théâtral, alors que Vani confie s'adresser à un lectorat complètement anonyme, comme à un public qu'[elle] ne pourrait pas voir depuis la scène, mais dont [elle] devine[rait] les réactions. C'est bien aux lecteurs qu'on s'adresse, mais sans [s]'adresser directement à eux (Ophélie). Le contact direct avec le lecteur a même tendance à rendre méfiant certains diaristes : je préfère ne pas avoir de nouvelles des lecteurs, préférant ne pas devenir dépendante de leurs critiques ou même encouragements dit ainsi Sally. C'est certainement une des raisons pour lesquelles 35 % des diaristes considèrent ne s'adresser à aucun destinataire en particulier : l'ensemble formé par les lecteurs est trop vague pour avoir une véritable identité, et même simplement une présence aussi réelle que celle d'une personne physique.

Par conséquent, le journal n'est pas un ami à proprement parler. Notre premier qualificatif convient donc mal. Celui d' encombrant est-il plus approprié ?

  Cher Journal, tu m'encombres !

Seuls 20 % des diaristes refusent de voir un quelconque aspect encombrant à leur journal. C'est le cas par exemple de Myali : je n'en fais pas une obsession, je ne tiens pas à le garder secret de personne, je ne m'impose aucun rythme d'écriture écrit-elle. Cependant, si une grosse majorité d'écrivants répond que leur pratique diaristique est parfois encombrante, ce n'est en réalité pas le journal en lui-même qui les dérange réellement : c'est plutôt, pour 40 % des cas, son aspect technique, strictement informatique. Ophélie révèle ainsi son exaspération à dépendre d'un serveur qui a ses caprices, qui nous impose des publicités absolument inutiles (que personne ne lit) et qui n'est pas toujours efficace. Quant à Vani, elle rappelle la nécessité de penser à une sauvegarde efficace, par peur de perdre toutes ces pages par une malheureuse erreur de manipulation platement technique.

Contrairement à ce que l'on pourrait spontanément penser en ayant en tête l'accusation-cliché d'exhibitionnisme, ce n'est pas l'aspect intime du journal qui gène le plus le diariste : seulement deux diaristes ont donné cette réponse lorsqu'on leur a demandé ce qui les dérangeait le plus dans leur journal. Cependant, si Sacha dit maîtriser le jeu de cache-cache tacite, beaucoup de diaristes ressentent malgré tout un certain malaise à trouver le ton qui convient toujours le mieux. Ainsi le TabulaWriter avoue souvent biffer des paragraphes entiers de peur d'aller trop loin ou d'avoir des propos inintéressants. L'Idéaliste, lui, reconnaît avoir l'impression souvent d'en avoir trop dit et de ne pas savoir [s'il] doit ou non [s]e censurer. Mais ici deux tendances propres au diarisme semblent s'opposer : certains, comme Myali ou Stéphanie, considèrent leur journal comme un défouloir et disent ne jamais se censurer, ne jamais s'embellir (Myali). D'autres, au contraire, reconnaissent qu'ils ne peuvent absolument tout dire : soit par réticence à embarquer les autres dans un récit dans lequel ils n'ont pas cherché à être acteur (Frédéric), soit pour ne pas blesser ceux qui lisent le journal qu'on écrit (Clarine), soit parce que ce que l'on vit n'est pas toujours très intéressant et qu'il faut faire des coupures dans le texte de sa vie. Mesurer ce que l'on peut dire ou pas, ce que l'on doit avouer ou pas, est souvent ce qui pose le plus de difficultés.

A cette façon de doser l'intimité de sa propre écriture s'ajoute l'aspect moins stylistique du rythme de composition à suivre. Pour 20 % des diaristes, c'est là que se situe l'aspect encombrant du journal. Pour beaucoup, comme Myali, écrire doit être un besoin et non pas un devoir : on écrit quand cela s'impose comme une nécessité. Ainsi, Vani, comme 55 % des diaristes, avoue que ne pas écrire dans son journal pendant une longue période ne la fait pas culpabiliser : quand je ne suis pas inspirée, quand je n'ai rien à dire, je ne dis rien, par simple respect pour le lecteur. Ou alors j'ai trop de choses à dire, mais je n'ai pas envie d'écrire quelque chose de trop brouillon, alors j'attends que ça décante. Ou alors il se passe quelque chose dans ma vie mais je n'ai pas envie d'en parler, tout simplement.

Enfin, pour seulement 15 % des diaristes, la présence des lecteurs peut s'avérer encombrante. Certains souffrent de leur silence (quelque part je souffre de ne pas savoir s'ils aiment ce que j'écris, confie Frédéric), d'autres, au contraire, de leur trop grande présence. Lulu déclare ainsi que la réaction de certains lecteurs vis-à-vis de ce qui est écrit et leurs extrapolations, ne sont pas toujours très réalistes et la dérangent. Quant à Marylène, elle avoue que les lecteurs encombrants ne sont pas ceux qui restent silencieux, mais ceux qui écrivent : parce qu'à un moment, certains se transforment en lecteurs qui empêchent d'écrire. Elle parle ici des lecteurs avec qui elle instaure des relations : parfois, au lieu de bondir à leur sujet dans mon journal pour me mettre les idées en ordre, je suis obligée de me taire dans ce qui est a priori un espace de liberté pour moi, pour ne pas blesser ces lecteurs là… ça, c'est vraiment poison.

On peut donc effectivement dire que bien souvent le journal est encombrant à son propre créateur. Mais est-ce au point que ce serait là une des raisons pour laquelle celui-ci pourrait s'en passer ?

  Je ne peux pas vivre sans toi !

Il semble que, malgré tous ces défauts, le journal soit pourtant inséparable. 55 % des diaristes disent n'avoir encore jamais songé à arrêter leur journal. Si, parfois, l'idée de cesser d'écrire leur a traversé l'esprit (20 % de ceux interrogés), cela n'a été qu'une étape, rapidement dépassée. Marylène montre qu'elle a un jour voulu arrêter le Coffre à instants, ressentant le rythme d'écriture comme un engrenage, mais ce sentiment ne l'a pas poursuivie longtemps : l'impératif de l'écriture est revenu, car collectionner les moments qu'[elle] vit est la meilleure façon de ne pas les traverser sans les voir.

Finalement, il est difficile d'abandonner son journal. Même quand on ne l'écrit pas et quand on vit sa vie de tous les jours, on y pense. Frédéric avoue songer à ce qu'il écrira dans son journal même lorsqu'il danse en discothèque ! En général, ce ne sont pas toujours des phrases bien précises ou du moins quand on se met à les écrire, elles ne ressemblent pas toujours au texte que l'on avait écrit dans sa tête, même si Zuby estime qu'à 75 % du temps ses billets sont composés avant d'être écrits. Il est certain que tout ce que l'on vit quotidiennement est une matière d'inspiration intarissable : Aria parle ainsi de caméra dans [s]es yeux qui captent toutes les images du monde – images qu'elle transmet ensuite à ses lecteurs.

Alors finalement notre paradoxe initial est-il levé ? Je ne crois pas. On ne dit pas à son journal je te hais, donc je t'aime. Et pourtant, pourquoi pas ? Toutes les contraintes du journal (la régularité de l'écriture, la présence des lecteurs, la nécessité d'approfondissement et de clarification de la pensée et de l'émotion…) sont autant de preuves de la grande liberté qu'il donne à son créateur : le journal donnera d'autant plus de fierté qu'on aura su vaincre ces impératifs indispensables et indépassables. Tout ce qui rend le journal inséparable et qui fait son intérêt, c'est justement ce qui peut, à certains moments, encombrer. Si les lecteurs ne venaient pas parfois déranger le diariste, celui-ci ne s'appliquerait pas autant. S'il n'y avait pas la volonté d'écrire régulièrement de façon soutenue et intéressante, certainement tout effort aurait déjà été abandonné.

C'est parce qu'il est encombrant que le journal est indispensable. Et c'est parce qu'il est indispensable qu'il est, sinon un ami, du moins une présence amicale irremplaçable.

Paradoxe sous enquête

Quelle idée, un journal intime en ligne ! À première vue, oui, cela peut sembler farfelu, paradoxal. Mais cette forme d'expression personnelle nous permet de mieux nous définir, davantage nous connaître. Cela par deux voies : nous par rapport à notre journal, et les lecteurs par rapport à nos écrits.

Par Eve

  Paradoxe
Le web, c'est public. À moins de restreindre l'accès au site par un mot de passe, tout le monde peut le parcourir. Comment peut-on justifier l'appellation de journal intime ?

En redéfinissant l'intimité. Tout ce que nous disons, tout ce que le lecteur doit lire à demi-mot, ce qu'on cache, en annonçant qu'on cache un fait. Chaque diariste a sa norme d'intimité. Ce n'est plus la société qui vient dire que tel fait est privé, aucune pression n'arrête un diariste d'écrire ce qu'il pense, alors qu'il ne peut/devrait pas dans une société telle qu'aujourd'hui. Chaque site a une norme d'intimité, la norme de l'auteur, la norme réelle, telle qu'elle devrait être dans la vie terrestre (emprunt à L'insomniaque !) de l'auteur.

En même temps, le diariste peut viser un but différent (avoué à lui-même ou non) que celui de se confier dans des pages adressées à lui seul : il y a ceux qui se créeront une identité fictive pour vivre une réalité atténuée. Et ceux aussi qui se confieront dans le but d'aider d'autres personnes qui vivent les mêmes choses qu'eux.

  Le diariste en ligne et son journal
En réalité un assortissement de codes informatiques, notre site personnel peut être vu comme un ilôt virtuel, une partie de pays qui nous appartiendrait à nous uniquement. Un lieu où nous pouvons être nous-même, isolé malgré tous les autres ilôts tout autour. Et comme nous nous voyons chez nous sur cet ilôt, même s'il n'a ni rideaux ni même murs ou cloisons, nous pouvons nous permettre de faire de cet endroit un lieu intime.

En l'habitant du mieux que nous pouvons, du plus profond de nous, nous contribuons à rendre notre ilôt davantage utile à notre vie. Comment ? Parce que nous apprenons à mieux nous connaître à travers tous nos efforts pour mettre à notre main notre site. Cela prend en considération le ''décor'', bien sûr (bleu ou jaune pâle, ce mur ?), mais aussi le côté organisationnel du site (notre prédisposition à la loi du moindre effort ou à la chasse au moindre grain de poussière), et bien sûr tout ce que nous laissons ''traîner'' un peu partout, soit nos idées notre vie intérieure, nos humeurs, etc. (parallèle ? eh bien, nos livres sur la table de chevet ou les émissions surlignées dans le guide horaire, par exemple !).

  Le lecteur et les écrits du diariste en ligne
Un site personnel est également une aide à mieux se connaître à travers les autres. C'est pourquoi nous indiquons une adresse où nous joindre, pourquoi nous parlons aux lecteurs spontanément. Tout en voulant écrire notre journal, indépendamment, nous désirons que les lecteurs continuent à suivre nos écrits, qu'ils nous répondent, même, pour se définir par l'autre, sortir de l'individualité (est-ce que je suis le seul à me sentir ainsi, à penser ainsi, etc.). La preuve que nous désirons un contact : les cercles de diaristes, les adresses de courriel sur notre page, l'indexation à travers le web, entre autres.

Souvent, il est question du rapport voulu avec le lecteur, quelle que soit sa forme. Parce que chaque visite sur le site est propre à transformer l'auteur des mots lus et le lecteur. Lorsqu'un lecteur visite nos pages, il fait du site un endroit habité. Et quand l'auteur lui-même parcourt ses mots ? Il a accès à sa vie. Telle qu'il la voit, telle qu'il la vit. À partir de lui-même, il peut tirer des conclusions, arriver à changer une part de lui. Comme un lecteur anonyme qui tirerait un enseignement des écrits de quelqu'un d'autre. Ça coûte moins cher qu'un psy, non ? !

  Saviez-vous que...
Les mots que nous mettons à la page d'accueil démontrent en quelques lignes la relation que nous désirons instaurer avec les lecteurs ? En effet, certains site pourront avoir comme phrase introductrice un mode d'emploi pour les visiteurs, une explication du pourquoi de ce journal, une interpellation directe aux visiteurs ou bien une annonce du thème principal du journal. Remarque : ce ne sont que des exemples parmi tant d'autres !

  Références

-  Les homepages, nouvelles écritures de soi, nouvelles lectures de l'autre, par Anne Klein

-  Les pages personnelles comme nouveaux lieux de soi, entre espace public et espace privé. Comment se sentir chez soi sur internet ?, par Anne Klein

Suivre ou ne pas suivre les règles

Toutes les formes d'écriture ont leurs règles. Quelles sont celles du journal intime sur Internet ? Comment les appliquer ou comment les contourner ? Quelques questions et quelques réponses pour orienter le diariste sur le chemin de la rédaction.

Par Ophélie

La rédaction du journal intime est souvent décrite comme un exercice d'écriture spontanée, où il s'agit avant tout de s'exprimer librement en utilisant un langage personnel qui ne doit pas nécessairement se conformer aux règles inhérentes à la publication. Cependant, toute pratique d'écriture comporte ses règles. Libre à l'auteur de les suivre ou de les transgresser, mais encore faut-il qu'il les connaisse suffisamment pour arriver à les contourner. Justement, il serait intéressant de s'interroger sur les contraintes auxquelles le rédacteur doit se soumettre s'il souhaite publier son journal. En effet, le journal publié exige une certaine rigueur dans l'écriture, puisqu'il ne s'adresse plus uniquement à son auteur mais aussi à un éventuel lectorat qui souhaitera comprendre et être considéré. Parce qu'écrire pour soi est une chose mais publier en est une autre, bien différente à certains égards.

  Qui suis-je ?

Pour faciliter la compréhension de ses écrits et situer le lecteur, le diariste pourra choisir de dresser un portrait de lui-même et de présenter les personnages qui évoluent autour de lui, puisque ceux-ci feront très souvent partie du récit de son quotidien. Plusieurs opteront pour une page de présentation sommaire : quelques lignes sur leurs occupations, leurs goûts, leurs passions et leurs habitudes. D'autres préféreront se laisser découvrir au fil du temps, à travers les pages qui s'inscriront jour après jour, laissant ainsi le lecteur s'approprier de leur univers à mesure que les événements et les réflexions surviendront. Donc ici, pas de règles précises, bien que la plupart des diaristes, sans dévoiler tous leurs secrets, rédigent une page de présentation sous une forme ou une autre et ouvrent la porte à la communication en laissant une adresse de courriel pour ceux qui souhaiteraient apporter des commentaires ou échanger des impressions. Là encore, les possibilités du Web sont infinies : forum de discussion, chat, livre d'or etc.

  Où suis-je ?

Le journal impose nécessairement la présence de l'auteur, puisqu'il sera toujours le sujet principal ou à tout le moins un narrateur qui fait partie de l'action. Si l'auteur d'une oeuvre de fiction jouit de toutes les libertés, le diariste est limité dans le choix des positions qu'il peut adopter face à son récit. Pour dépasser ces limites il devra user de subterfuges. L'usage du pseudonyme, pratique courante chez la plupart de ceux qui publient sur Internet, permet à l'auteur de se distancier, de se créer un double, de projeter sur l'écran une image de lui-même qu'il sera en mesure d'observer. Ainsi pourra-t-il s'adresser à cet autre, l'interroger et même parfois s'étonner de ce qu'il raconte. Certains, plutôt rares, iront jusqu'à substituer le il ou elle au je pour devenir narrateur des aventures de ce personnage qu'ils se sont créé pour mieux se regarder vivre. Ils raconteront alors, comme le ferait un romancier, l'histoire vraie d'un personnage inventé pour mieux se reconnaître. Nous voilà déjà entrés dans un univers créatif qui semble élargir les horizons du simple journal quotidien qui ne fait que relater des événements au jour le jour.

  Fiction ou réalité ?

Si le lecteur du roman accepte d'emblée d'être trompé et d'entrer dans un univers totalement imaginaire, sans exiger aucune forme de vérité, celui du journal intime est en droit de s'attendre à entrer dans l'intimité de l'auteur, à entendre ses confidences, à devenir témoin de son cheminement intérieur et à partager ses émotions. Mais surtout, il doit s'attendre à la vérité. Le diariste évolue dans le monde du réel, le romancier dans celui de l'imaginaire. Si le je de l'auteur de fiction peut-être trompeur, celui du diariste doit être révélateur. Nous voilà donc contraints à une certaine forme de sincérité qui elle aussi impose ses limites. Ce qui nous amène à nous interroger sur l'aspect créatif du journal.

  Créativité

Sans verser dans la fiction, puisqu'il n'a pas la liberté d'inventer, le diariste peut emprunter certaines techniques au romancier pour rendre ses écrits plus captivants mais également pour s'offrir le plaisir d'exprimer sa créativité et même parfois certains élans littéraires. Parce qu'écrire un journal, un poème ou un roman, est avant tout un acte d'expression qui permet à l'auteur d'ouvrir les portes de son imaginaire pour partager une vision de son monde intérieur, du monde qui l'entoure ou de tout autre sujet qui aura suscité son intérêt. Le rédacteur soucieux de raffiner son style pourra consulter les différents ouvrages qui traitent de l'art d'écrire où il apprendra les règles de la description, du portrait, du dialogue , des différents types de récits et de la narration, autant d'éléments qui permettront une plus grande aisance dans l'écriture et une approche moins conventionnelle. Pour sortir des sentiers battus et échapper aux clichés, il faut des outils et ceux-ci sont disponibles en grand nombre pour qui se donne la peine de les chercher.

  A l'aide !

Finalement, faut-il parler d'orthographe ? Même si le sujet est épineux il n'en demeure pas moins qu'une certaine importance devrait être accordée à cet aspect de l'écriture. Il suffit de songer un seul instant à ce qu'il adviendrait de nos textes si nous devions les soumettre à un éditeur par exemple. Publier sur Internet est la façon la plus facile de s'exprimer et d'être lu par un large public sans passer par un comité de sélection. Mais jouir de cette liberté est un privilège qui ne devrait pas nécessairement permettre d'exclure un minimum de respect de l'usage d'une langue et d'envoyer promener ses règles établies bien avant notre naissance. Bien sûr le souci de l'orthographe représente une contrainte majeure pour plusieurs personnes, mais là encore des outils sont disponibles pour assister les rédacteurs, que ce soit un simple dictionnaire intégré à un logiciel de traitement de texte ou encore un logiciel de correction plus sophistiqué. L'utilisation de la bonne vieille grammaire et des dictionnaires spécialisés (difficultés, synonymes, expressions) peut également s'avérer très fructueuse.

  Conclusion

Bien entendu chacun entreprend l'écriture de son journal selon ses propres règles. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que la publication, sur Internet ou ailleurs, ne peut se passer d'une certaine considération des éléments essentiels qui contribueront à donner naissance au dialogue, tacite ou manifeste, entre l'auteur et le lecteur. Un langage clair, une description détaillée des lieux et des événements, une orthographe soignée et un style pas trop hermétique sont des éléments parmi tant d'autres dont on ne doit pas minimiser l'importance et qui ne deviendront pas nécessairement des empêcheurs de s'exprimer librement.

Bonne écriture.

Jérôme Attal - Journal (1998-2002), le diariste qui aimait les femmes

En survolant de très haut le journal égotiste de Jérôme Attal, on pourrait ramener son auteur à quelques clichés commodes. Et pourtant, ce journal est devenu plus qu'un divertissement. Une oeuvre tellement étoffée qu'elle a perdu sa linéarité, elle absorbe le temps.

Par tehu

Et loin de déplaire, la démarche séduit. Cet entretien permet de rappeler ce constat : tenir un journal en ligne sans anonymat possible reste une entreprise périlleuse.

Malgré tout, on voit que Jérôme sait aussi garder ses secrets. A la question "Aura-t-on un jour la chance de pouvoir lire le chapitre 16 ?", celui-ci a répondu : "Je ne pense pas. Parfois il faut savoir faire des cadeaux... intimes."


(tehu) Le journal égotiste était au départ le journal d'accompagnement de ton groupe : on y relevait des anecdotes et des aphorismes. Puis il est devenu un objet littéraire à part entière, avec l'ajout de nouvelles, de souvenirs autobiographiques. Est-ce que la transition s'est faite naturellement ? Ou bien était-ce une démarche volontaire ?

(J.A.) Je tiens un journal intime depuis 1991, sur des cahiers. Par goût - littéraire - pour la forme d'expression. Quand j'ai créé ce site consacré à mon activité musicale l'idée était de trouver quelque chose d'original qui permettrait aux visiteurs de revenir fréquemment. Le journal s'est imposé car c'était un exercice qui m'avait toujours intéressé en tant que lecteur et auteur, et parce qu'il offrait pour les gens qui me découvraient en concert la possibilité de prolonger l'univers des chansons. Je pense que le Journal s'affranchit de l'aspect musique dans les périodes ou la musique elle-même devient trop accaparante pour que j'ai envie d'en rajouter quand je me retrouve devant l'écran, ou à l'inverse tellement désolante que le Journal est un bon moyen de s'en échapper.

Ensuite, il y a eu un glissement comme tu l'as remarqué. Le Journal est devenu un support au même titre qu'une chanson ou une nouvelle. Un support supplémentaire, voire complémentaire, pour traduire et travailler une émotion. C'est-à-dire que maintenant quand j'ai envie de travailler sur une émotion, d'en finir avec une anecdote ou de la prendre sous tous les angles possibles, pour l'épuiser en quelque sorte ou la retenir, la transfigurer, j'ai plusieurs possibilités, plusieurs cadres de jeu.

Pour le Journal, en raison du volume d'entrées qui existe depuis qu'il est en ligne, j'ai conscience qu'il ne peut que prendre maintenant une forme labyrinthique - au contraire de la linéarité auxquels les gens associent trop souvent ce genre de pratique, mais la vie elle-même est tout sauf linéaire, c'est un jeu d'ondes, de courbes, de zigzags, de correspondances, de cercles concentriques, de coups de foudre en dents de scie, de sauts à l'élastique sentimental et de retours de boomerang - et j'essaie de jouer là-dessus, avec des thèmes récurrents, des trappes, des clins d'oeil comme des fils d'Ariane pour le lecteur. Sur la distance, je compte autant sur ma mémoire que sur la mémoire du lecteur.

Peux-tu laisser une période de latence entre un fait et le jour où tu l'évoques ? Peux-tu laisser "échapper" un sujet que tu souhaites traiter ? En quoi le fait de savoir que ton entourage peut te lire influence ton écriture ?

Les périodes de latence s'imposent parfois du fait que je n'ai pas de pseudo derrière lequel me cacher. Donc, pour ne pas blesser des gens je laisse parfois passer du temps avant de relater certaines soirées, certains événements, ou bien je brouille les pistes en mêlant deux événements dans la même entrée. Il va sans dire que ces précautions sont la plupart du temps inutiles, les gens qui veulent se reconnaître se reconnaissent aisément, et en dehors des personnes désignées nominalement certaines sont même plusieurs à se reconnaître pour - et revendiquer - une seule et même personne !

Autrement, un jour une lectrice m'a envoyé un long mail à la fin duquel elle disait : "J'aime beaucoup ce personnage qui s'appelle X".

Pour les proches qui lisent mon Journal, j'évalue les limites des dégâts que je peux causer - dont je peux causer - au moment de l'écriture ; de toute façon, à la moindre remontrance d'un tel ou d'un autre j'arrête instantanément d'en faire mention dans mon Journal - mon clavier est mal tempéré - et ce qui est terrible, particulièrement égotiste, c'est que je m'aperçois que j'arrête également de fréquenter (dans la vie) la personne qui m'a fait des reproches sur sa présence dans le Journal. C'est terrible cette tyrannie, mais en même temps ça fait de la place dans mon agenda ce qui est toujours salutaire au bout d'un certain temps.

L'avantage est que comme j'encours à tout moment la possibilité d'être lu par une personne dont je parle, je suis tenu à la vérité. Du moins à une version des faits qui tient la route. Qui ne peut pas être remise en cause. Même si, après, j'explore le moment, je le retourne en tout sens pour en faire tomber quelque chose. J'aime beaucoup ce mot à propos de Saint-Simon : "Injuste, mais pas faux".

Je pourrais répartir ton lectorat en 3 familles : d'abord les proches qui ont un prénom voire un rôle récurrent comme Christian ou David ; ensuite l'entourage anonyme désigné par des initiales X, Y, Z ; et enfin les lecteurs internautes.

Au moment d'écrire, est-ce que tu sens que tu peux être compris différemment par ces lectorats ? Est-il possible que tu t'adresses (inconsciemment ou pas) à un cercle de lecteurs particuliers ?

Je crois qu'il est intéressant pour un auteur d'essayer non pas de prévoir mais du moins d'envisager tous les niveaux de lectures. J'aime aussi l'idée qu'il y ait plusieurs niveaux de lectures dans ce que j'écris. Que le Journal soit assez ouvert pour y admettre tout lecteur et assez serré pour qu'il n'y ait que des malentendus heureux.

Même si tu es présent sur le net via ton site, tes relations avec les lecteurs transparaissent très peu. Du fait de ton activité, il t'est impossible de te cacher sous un pseudonyme pour écrire. Est-ce que cette situation t'a pesée à certains moments ?

J'ai des lecteurs qui m'écrivent fréquemment, de courtes phrases, des réactions, ou de plus longs échanges, de l'ordre de la confession, et je fais en sorte de respecter la confidentialité de nos échanges. Je ne m'en fais pas le relais sur le site. Et surtout j'essaie que mon écriture dans le Journal ne soit pas happée, détournée par l'emprise de leur présence sans que je reste le meneur de "je".

Tu as écrit une fois que ton journal semblait épouser les contours des arrondissements parisiens, ne pas dépasser les frontières de certains d'entre eux. Tu accepterais qu'on te dise que ton journal est le reflet d'une génération, d'une ville, d'un quartier ? Imagines-tu poursuivre ce journal dans une autre ville que Paris ?

Paris est la ville où je vis et où je me sens le mieux au monde. Je ne peux pas quitter Paris bien longtemps. Et je pourrais en dire de même de l'écriture. L'écriture est mon pays, et il se trouve que Paris en est la Capitale.

Mais à y réfléchir, je pourrais très bien écrire dans une autre ville qui me plaise autant, encore faudrait-il que j'y trouve mes marques, des amours qui me plaisent autant, une histoire intime, des nostalgies et des espérances. Ça peut très bien arriver mais, pour le moment, Paris a le monopole des possibles.

A combien estimes-tu le noyau dur de tes lecteurs réguliers ? As-tu établi des relations suivies ou épisodiques avec certains d'entre eux ? De quelles origines viennent-ils ? Reçois-tu des demandes particulières à propos de ton journal ?

Hum, pour un littéraire, c'est dur de donner des chiffres ! Et puis j'ai des lecteurs très délicats qui aiment l'idée qu'ils sont seuls à me lire ;-)

Ils viennent d'horizons divers et éclectiques, ce qui est très réjouissant.

Quand je vais boire un café (noisette) avec une lectrice ou un lecteur, la réaction est souvent de leur part un soulagement de me trouver beaucoup plus accueillant, moins cassant, intransigeant ou tourmenté que ce qu'ils imaginaient à la lecture de mon Journal. En même temps je voudrais dire qu'il n'y a que les rustres pour être cassants, intransigeants ou tourmentés en buvant un café (noisette) en bonne - pour la plupart du temps - compagnie.

Avec le temps, est-ce que tu considères ton journal comme le générateur ou le réceptacle de ton inspiration artistique ?

Pour être exact, le Journal agit à la fois comme générateur et réceptacle. Ecrire pratiquement tous les jours est un exercice, une gymnastique qui simplifie les choses ensuite lorsqu'on veut s'attaquer à l'écriture de nouvelles ou de romans. Enfin, quand je dis : qui simplifie les choses, c'est une façon optimiste de parler.

Est-ce que tu revendiques une influence littéraire sur la forme de ton journal ? Quel serait l'artiste dont tu rêverais de découvrir demain le journal en ligne ?

J'aime beaucoup le Journal Intime en tant que genre littéraire : Jean-René Huguenin, Hervé Guibert, Charles Juliet, Jules Renard, les Carnets de Joseph Joubert ou de Cioran, Gabriel Matzneff etc. etc.

Les artistes dont je rêverais de découvrir le Journal Intime : aucun, car la plupart des artistes que j'aime ont mis l'intime au coeur de leur oeuvre, s'ils n'ont pas eu la nécessité de tenir ou de publier un Journal en tant qu'oeuvre c'est qu'ils ont placé le travail de leurs émotions, la reconstruction d'un moment ou d'une anecdote sur un autre support.

Merci à J.Attal (pour sa patience).

Fumer de l'argent rend pauvre, de Rémi Malingrëy (ed. Verticales)

Par Vani

En guise d'introduction, voici, sans le dessin qui l'accompagne, le très joli texte de la quatrième de couverture : "Ceci est un journal dessiné. Je l'ai écrit quand tout le monde dormait, je l'ai dessiné quand personne ne me regardait et j'y raconte la vérité qui m'arrange. Après ça je m'étonne que les libraires ne sachent pas sur quelle étagère le ranger". Avouez qu'avec un titre et une quatrième pareille, ça donne envie de voir ce qui se cache à l'intérieur.

Curieux, on feuillette donc rapidement l'ensemble : les pages de gauche sont blanches, et sur celles de droite sont imprimés dessins et textes sur fond de lignes horizontales de ce qui devait être le bloc-notes de l'auteur. On a presque l'impression d'être tombé par mégarde sur un document privé, et c'est fait exprès, bien entendu. Un dessin (scène ou portrait, rarement un paysage) qui occupe presque toute la place, un texte généralement bref, qui peut tout de même faire une à...16 lignes, et parfois un titre au jeu de mots rigolo comme "Le jour avant après-demain", "Hors-je" ou "Plaie station", mais jamais de date, ce qui n'empêche pas le lecteur de suivre l'enchaînement des saisons comme des événements, avec leurs progressions et parfois leurs répétitions. C'est aérien et aéré, on croit à de la légèreté, et on se trompe... à moitié.

Rémi Malingrëy raconte ce qu'il voit, la pluie qui tombe ou les seins d'une voyageuse, ce qu'il sent, l'huile chaude qui saute de la poêle ou la nature qui prend ses aises dans le jardin, et ce dont il se souvient, comme ses délices à être petit auprès de son papa. Il raconte sa vie professionnelle par bribes, visite chez le banquier ou chez l'éditeur, mais surtout sa vie familiale : il voue une passion farouche à sa femme et à ses trois enfants, et l'évolution de la maladie de "Quentin bel enfant" est notée, jour après jour, dans des pages à la poésie douce-amère : "Cette année, le Père Noël nous a apporté une épée de Damoclès". Rémi Malingrëy est pudique : il peut être joyeux, féroce, conquérant ou malheureux, mais toujours derrière un écran de crayon et de papier.

Dessins et textes, loin de simplement s'illustrer ou s'expliciter l'un l'autre, se répondent et se complètent, mais il faut l'avouer : Rémi Malingrëy, qui est pourtant illustrateur de métier, est plus doué pour les mots que pour le dessin... Or l'ensemble est à prendre ou à laisser. Alors prenez. Sans hésiter.

Avant ce volume, Malingrëy en avait publié un premier intitulé Chagrin mode d'emploi. Sa technique n'était pas vraiment au point... A éviter donc.

Numéro 3

Septembre 2002

Edito
Les relations entre diaristes et lecteurs (Thématique)
Billet
Pratique du Journal

"Sache lecteur que j'écris d'abord pour moi-même"

Vous l'avez souvent lue, cette phrase. Vous avez peut-être même souri devant cette demi-vérité. Ou alors celle-ci, dans le même registre : "Je ne savais pas que j'avais autant de lecteurs.", l'oeil fixé sur la crête des statistiques. Plus que des alignements de chiffres, c'est souvent le premier courriel d'un lecteur qui provoque une prise de conscience du diariste.

Par tehu

Ça ressemble à une évidence, mais il faut bien admettre que c'est la capacité du lecteur à réagir (ou ne pas) qui vient perturber la donne. Le lectorat, c'est un peu la partie cachée de l'iceberg dans le journal en ligne. Et c'est peut-être ce qui rend ce genre unique.

Les auteurs expriment très souvent leurs sentiments vis-à-vis du lecteur. On le flatte, on le remercie, on l'implore, on l'interpelle, quelquefois même on lui cède un pouvoir de décision ("Qu'est-ce que vous feriez à ma place ?"). À l'inverse, d'autres continuent comme s'il n'était pas là.

Pour ce numéro de Claviers Intimes, nous avons reçu des témoignages de lecteurs. Nous tenons d'ailleurs à remercier ceux qui nous ont fait confiance. Cela montre bien que la réflexion existe des deux côtés, et que la relation diariste/lecteur reste complexe à analyser. Il est fort possible que certaines prises de positions vous surprendront.

Reste à dégager le portrait du lecteur idéal. Existe-t-il seulement ? Avec l'émergence des journaux au format blog, la tendance actuelle voudrait que le lecteur se transforme en supporter. Mais dans les ambiances plus feutrées, le lecteur aime endosser le costume de l'agent bienveillant.

La sortie du troisième numéro de Claviers Intimes sera l'occasion de faire un mini-bilan. Je rappelle que nous cherchons toujours des collaborateurs, et notamment des gens qui souhaitent écrire des billets ou des chroniques sur l'actualité diaristique. Si vous voulez participer (même modestement) à l'aventure du webzine, contactez-nous.

Le diariste caché

Claudio est un diariste qui a choisi de restreindre l'accès à son journal aux seuls lecteurs qui lui en avaient fait la demande alors que son journal était encore public. Son expérience est donc singulière.

Par Claudio

J'ai découvert les premiers journaux en ligne en juillet 2000 et presque naturellement, sans trop me poser de questions, j'ai commencé le mien un mois plus tard... J'ai toujours eu envie de tenir un journal. Le problème, c'était de pouvoir le faire de façon sécurisée, sans que mon entourage puisse le lire. L' informatique, et les précieux mots de passe, m'ont permis de franchir cette barrière. J'avais également besoin de parler de mes problèmes personnels, d'échanger des points de vue, de recevoir des conseils, voire des critiques, dans la mesure où elles sont constructives.

Hélas, je suis... un homme ! Or, le milieu masculin est un milieu où l'on se confie rarement. Un homme parlera beaucoup plus facilement avec une inconnue qu'avec son meilleur ami. J'ai donc essayé d'instaurer ce genre d'échanges par l'intermédiaire d'internet, au gré de rencontres plus ou moins hasardeuses sur des forums ou des sites de rencontres. Mais il fallait à chaque fois que je recommence le même discours, le même récit de ma vie. Je me suis lassé très vite. Aussi, lorsque j'ai découvert l'existence de journaux intimes sur internet, j'ai compris que c'était LA solution. Cela allait me permettre de me confier et de donner naissance à des correspondances enrichissantes. Et j'ai très vite senti que le fait d'avoir un lectorat allait me pousser à écrire régulièrement, contrainte à laquelle je n'avais jamais pu faire face auparavant. Tout s'est passé comme je l'espérais. Très vite, des lecteurs m'ont écrit spontanément, et je corresponds encore aujourd'hui avec certains d'entre eux. La plupart étaient des femmes (ce qui ne me surprit guère) et je n'ai jamais eu de messages agressifs ou négatifs.

Néanmoins, quelques mois après le début de mon journal, ce lectorat que je souhaitais tant, a commencé à me faire peur. Car les lecteurs sont anonymes. Même s'ils vous parlent d'eux, parfois avec une grande sincérité, ils ne sont jamais qu'un pseudo et une adresse. Alors, inévitablement, on se demande si derrière ces anonymes ne se cachent pas... des proches ! Je sais que statistiquement, c'est pratiquement impossible. J'avais à l' époque une trentaine de lecteurs (d'après mes estimations) et il existe des millions d'internautes, rien qu'en France. Et même si quelqu'un de mon entourage avait l'idée de chercher l'existence de mon journal (personne ne sait que j'en tiens un ), il en existait à l'époque une centaine, inscrits à la CEV, donc il était peu probable qu'il tombe sur le mien.

Je savais pertinemment tout ça, mais j'avais quand même peur. J'ai donc décidé de cacher mon journal. J'ai tout simplement déménagé mon site, sans en donner la nouvelle adresse. Je suis parti du principe que seuls les lecteurs qui avaient envie de me lire feraient l'effort de me demander ma nouvelle adresse. Je savais que cela me ferait perdre une grosse partie de mon lectorat, mais ça avait aussi l'avantage de savoir exactement qui me lit... Aujourd'hui, j'ai 8 lecteurs inscrits sur ma liste de diffusion, et d'après mes statistiques, ils sont 10 ou 12 à connaître mon adresse et à me lire. C'est peu, c'est vrai, mais je connais très bien ces 8 personnes. Certains sont diaristes, d'autres simples lecteurs. Certains sont même d'anciens lecteurs devenus diaristes. Et quelques-uns sont devenus des amis. J'ai même fini par révéler certains « secrets » à deux lectrices avec qui ma correspondance a été très riche.

Lorsque j'écris mes chroniques, j'ai l'impression de m'adresser à un groupe de personnes pas vraiment anonymes. Je connais beaucoup de détails de la vie de certains, puisqu'ils sont aussi diaristes, j'ai donc le sentiment d'échanger simplement des confidences, comme on pourrait le faire avec des amis. Bien entendu, la comparaison s'arrête là, car on ne voit pas le visage et les réactions des autres. La plupart du temps, je ne reçois aucun message en rapport avec mes entrées, sauf dans les moments difficiles... Et c'est là qu'on prend conscience de la richesse que constitue ce lectorat...

Suis-je un diariste paranoïaque ? Sans doute, mais je crois qu'il est un peu légitime de l'être quand on confie son intimité à d'autres. Ce qui est certain, c'est que je ne regrette pas d'être devenu un diariste caché. Cela m'a permis d'être plus libre et d'aller plus loin dans mes confidences. Je sais que ceux qui me lisent m'apprécient et je ne crains plus de les choquer. Ils me connaissent, savent quels sont mes défauts et mes qualités. S'ils continuent à me suivre malgré mes 3 ou 4 déménagements ( je ne compte plus) c'est qu'ils m'ont accepté tel que je suis. Il s'est donc instauré une relation de confiance réciproque.

Malgré tout, je sais qu'écrire caché n'est pas non plus la meilleure façon de tenir un journal intime. Je passe peut-être à côté de nouvelles rencontres très enrichissantes. Mais dans la mesure où mes relations actuelles me satisfont, je ne ressens pas vraiment le besoin d'en connaître d'autres.

Dans quelques années, lorsque je n'aurai plus que 3 lecteurs, je songerai peut-être à inscrire à nouveau mon journal à la CEV...

Claudio

Le plaisir de mes lectures

Par Emma (lectrice)

Je suis une lectrice assidue, bien que silencieuse, de journaux intimes "online" depuis plus d'un an et demi.

Tout au long de ces mois, je suis restée silencieuse, bien qu'ayant parfois souhaité intervenir. Je ne l'ai jamais fait, pour des raisons que je détaille un peu plus loin.

J'ai toujours aimé lire. Je passe encore maintenant, avec passion, des heures dans une librairie, à feuilleter romans, nouvelles, essais, biographies et autres correspondances d'auteurs tant contemporains que disparus depuis des siècles.

Ce que j'aime tout particulièrement, c'est rentrer dans un univers qui m'est tout à coup offert, et dans lequel il m'arrive de puiser allègrement pour me distraire, sécher mes larmes, me donner du courage ou tout simplement rêvasser pendant des heures à une terrasse de café.

Il était inévitable qu'un jour je découvre les journaux en ligne.

J'ai tout d'abord lu les journaux en ligne comme je lisais des autobiographies ou des journaux édités. Puis je me suis rendu compte de la différence : ce que je lisais se déroulait, à quelques heures près, en temps réel, et leurs auteurs m'ont semblé tout d'un coup tellement proches !

Les journaux intimes "online" sont donc devenus pour moi source de plaisirs et d'interrogations, au même titre que ces chers bouquins qui envahissent mon appartement.

Globalement, je choisis les journaux que je lis sur des critères d'âges ou de situations professionnelles ou sociales similaires aux miennes. Puis je fais confiance à l'auteur du journal, et utilise les liens vers d'autres diaristes qu'il met à la disposition de ses lecteurs. Je suis rarement déçue. J'apprécie la forme de journal "littéraire classique". J'ai personnellement un peu de mal avec les blogues, par manque d'habitude probablement. Il m'est difficile de lire les entrées de bas en haut. Cela m'a parfois découragée de lire les archives complètes d'un journal depuis sa création.

Ce qui m'intéresse, dans un journal intime contemporain, c'est de croiser des personnes qui se trouvent confrontées aux mêmes interrogations que moi, et parfois les abordent de façon différente, le tout dans un contexte manifestement similaire au mien. Le fait qu'il soit "online" me donne une forte impression de proximité, notamment par un côté "temporel" très puissant : On a le même lundi (qu'est-ce que je faisais, ce lundi-là ?), le même mardi, une perception des saisons similaire, etc... Les diaristes peuvent réagir en même temps que moi à l'actualité, par exemple, qu'elle soit politique, musicale ou scientifique.

J'aime quand le journal parle de son auteur, de ses sentiments, de son ressenti, qu'il n'est pas seulement une simple description factuelle. Dans ce cas, les incohérences et illogismes sont tout à fait légitimes. Il est même parfois touchant de lire une entrée qui en contredit une autre, parfois d'un jour sur l'autre. N'est-ce pas ce que nous faisons dans notre vie de tous les jours, parfois au cours d'une même conversation ?

Toutefois, à mon sens, l'anecdotique à petite dose est nécessaire, de façon à savoir où placer la réflexion de l'auteur des pages. Il est très difficile d'exprimer des sentiments, ou d'interpréter ceux qui nous sont confiés si l'on n'a pas de référence biographique (j'apprécie beaucoup les textes de présentation).

Il m'arrive parfois de retrouver une certaine similitude dans les entrées, sur une courte période, de différents diaristes : un journal qui en cite un autre, un lien qui renvoie à une page précise, des sujets similaires abordés. Je sélectionne bien souvent les journaux que je lis grâce à ces liens, et j'aime tout particulièrement les petits clins d'oeil qui apparaissent parfois.

Les seules critiques qui me viennent à l'esprit sont principalement sur la forme du journal. Je ne lis pas les journaux dont la mise en page ne me plaît pas, ou me semble trop lourde. Globalement, la plupart des journaux respectent les principes de base graphiques. Après, c'est une question de goût.

Certains, très simples d'apparence, sont en fait techniquement complexes. Ma méconnaissance totale des techniques graphiques m'empêche souvent d'en apprécier la forme à sa juste valeur. Mais, à force de les lire, je m'aperçois que certains sont plus confortables à lire que d'autres, et je me doute alors qu'il y a un énorme travail derrière tout cela (que je salue bien bas).

Sur le fond, j'émets rarement des commentaires : si ce qui est narré dans le journal ne me concerne pas, ne m'intéresse pas, ou si les préoccupations de son auteur me semblent sans aucun rapport avec les miennes, je ne le lis pas : c'est aussi simple que cela.

Il m'arrive pourtant de lire des journaux dont le contenu, ou l'auteur, me semble fort éloigné de mes préoccupations, ou de mes envies : je me trouve dans ce cas là en face de personnes tellement différentes de moi, qu'il me semble apprendre quelque chose, malgré l'agacement que certaines entrées me procure.

Quant aux journaux que je lis régulièrement, je n'ai jamais écrit à leurs auteurs (en fait, je commence seulement). Pas parce que je n'ai rien à dire sur leurs entrées, comme je vais vous l'expliquer, mais plutôt parce qu'une certaine réserve, d'une part, et une conviction personnelle, d'autre part, me l'interdisent.

Je ne souhaite pas intervenir : je ne le fais jamais, dans ma vie, lorsque quelqu'un m'accorde sa confiance en me faisant des confidences. Ou, tout au moins, je tente d'agir de cette façon. Je ne donne mon avis qu'à un proche, qui me connaît bien. Je me dis alors que, peut-être, éventuellement, mon expérience, mon type de raisonnement, ou ma façon de voir les choses (qu'il connaît, ou apprécie), lui apporteront quelque chose. Ou quand il me le demande directement.

Au cours de mes lectures, il m'arrive parfois d'être tout particulièrement touchée par une entrée : je peux avoir les larmes aux yeux, ou, tout au contraire avoir envie de sourire ou de pester.

C'est dans ces moments-là que j'ai envie de réagir, d'écrire au diariste : "Mais pourquoi ne fais-tu pas...", "As-tu pensé à...", "Moi, je pense que...", "Ne t'inquiète pas, tout se passera bien". Et puis je repense à ce que j'ai écrit un peu plus haut, mâtiné d'un "Mais de quoi tu te mêles ?" retentissant.

Pour expliquer ma prise de position, ou mon conseil, il faudrait que j'en explique le cheminement, que j'indique quelles sont les similitudes entre nos deux vies qui font que son entrée me touche, et pourquoi je souhaite y mettre mon grain de sel.

Bref, il faudrait que je raconte un petit bout de ma vie.

Je me vois mal expliquer en quelques lignes mon point de vue. Il me faut argumenter, tout en restant dans l'objet "intime" de l'endroit où je me trouve. Je ne vois sincèrement pas comment je pourrais donner mon avis sur un sujet si personnel (quel qu'il soit) à une personne qui ne me connaît pas.

La personne ne me connaît pas : il faut donc que je parle (un minimum) de moi.

Ceci me semble impossible dans un simple mail. À moins de rédiger mes "Pensées, Mémoires et maximes" et de les envoyer au diariste. Ce dernier s'en trouvera fort probablement embarrassé, dans la mesure où ce n'est pas ce qu'il a sollicité. L'autre solution serait de mettre moi-même mon journal en ligne. Mais je vous avoue que cela ne fait pas pour le moment partie de mes priorités.

Je décide alors de ne pas écrire, ne souhaitant en aucun cas envoyer un message de quelques lignes guère propice au dialogue (ni spécialement enrichissant pour son destinataire).

J'avoue me sentir parfois frustrée de cela : Les personnes dont je suis le journal sont forcément des gens qui me semblent intéressants, ou sympathiques, ou dont le propos me semble pertinent ou enrichissant. Certains diaristes parlent de leur plaisir à correspondre avec leurs lecteurs, et décrivent parfois ce que ces échanges leur apportent (satisfaction, comparaison, etc...).

D'autres ne veulent pas lire un seul commentaire sur leurs écrits. Pour ceux-là, je suis la lectrice idéale.

Pour les autres, je me dis parfois que je pourrais faire un petit effort, ne serait-ce que pour les remercier pour les bons moments que je passe à les lire. Serais-je une lectrice dinosaure, finalement ? S'agit-il d'un nouveau type de relation auteurs-lecteurs (au sens le plus large du terme, d'ailleurs) ?

Le simple plaisir de la lecture me suffit : Je ne chercherais pas à nouer un lien intime avec l'auteur du journal, bien qu'en sachant souvent plus à son sujet que certaines connaissances réelles. À mon sens, cette connaissance de "l'autre" développe chez moi, non pas de l'attachement, de l'amitié ou de l'amour, mais plutôt un grand respect, beaucoup d'admiration, et parfois une forte compassion.

Les diaristes virtuels sont bien éloignés des noms écrits en première page de mes chers bouquins. Pas en talent ou en créativité, entendons-nous bien. Non, plutôt par une forme nouvelle d'écriture, et, pour moi, d'un autre rapport à la lecture.

Et si tu n'existais pas... dis-moi pourquoi moi j'écrirais ?

On a beau dire que l'on écrit pour soi, s'il n'y avait pas de lecteurs, écrirait-on quand même ?

Par Azulah

Lorsque j'ai commencé cette aventure quasi quotidienne d'écrire mon journal "online", je ne savais pas trop à quoi m'attendre. Allait-on me lire ? Allait-on m'écrire ? Allait-on me juger ? Allait-on m'aimer ? Pourtant, écrire son journal n'est pas participer à un concours de personnalité, ni du meilleur auteur, de la plus belle mise-en-page, la vie la plus palpitante. Écrire son journal varie d'un diariste à l'autre. Nous avons tous une histoire à raconter, la nôtre, et nous le faisons tous, chacun à notre façon. Certains sont plus introspectifs, d'autres racontent surtout un moment précis de leur journée, d'autres encore partagent des photos. Tous, ou du moins la plupart, ont des lecteurs.

Est-ce le but premier du journal, que d'avoir des lecteurs ? Bien sûr je ne peux parler que pour moi. Bien sûr, je veux des lecteurs. Bien sûr, j'aimerais parfois qu'ils se manifestent. Sans le lecteur, continuerais-je à écrire ? Oui. Mais peut-être pas "online". Je sais que j'ai des lecteurs : Je vois leur adresse sur la liste de diffusion. Et comme la plupart des diaristes, j'ai un compteur qui me prouve bien que quelqu'un est venu me rendre visite, au moins une fois aujourd'hui. Mais, mes lecteurs sont, pour la plupart, très silencieux. Ils donnent rarement signe de vie. Ils sont là, ils surveillent. Ils lisent, discrètement. Que pensent-ils exactement ? Je ne sais pas. J'ai parfois reçu des mots d'encouragements. Un petit sourire dans ma boîte à mails. Des mots touchants, et précieux, parce que rares. Des mots qui ne demandaient pas de réponses de ma part. Un signe de la part d'un lecteur pour dire, allez courage on est là, de coeur.

Il faut dire que mon journal n'est pas très interactif. Je n'écris pas pour avoir une participation du lecteur. Je ne la demande pas, même si mon adresse email est assez en évidence. Ce n'est pas que je ne tienne pas compte du lecteur, même si je m'adresse très rarement directement à lui. Mais je ne peux pas dire que j'écris pour le lecteur. J'écris pour y voir clair. Pour tenter de comprendre ce qui m'arrive, pour exorciser aussi les mauvais esprits. Pour me souvenir et ne pas commettre la même erreur de parcours trop souvent. Pour me souvenir et pour en rire aussi. Et si quelqu'un peut bien vouloir me lire, pour ses raisons bien personnelles, c'est un cadeau grandement apprécié.

Attention ! Ne me comprenez pas mal. Je tiens beaucoup à mes lecteurs. J'apprécie qu'ils prennent le temps de venir s'enquérir de mes nouvelles, et je suis déçue si je constate que quelqu'un qui me lisait a retiré son nom de la liste de diffusion. J'ai l'impression d'avoir manqué mon coup, et de ne plus savoir capter l'intérêt inconditionnel du lecteur. De l'avoir déçu en quelque sorte. Mais aussi quelle douceur d'apercevoir un nouveau nom, sur cette même liste de diffusion. De se dire que ce qu'on partage peut être d'un intérêt pour un inconnu, et souhaiter pouvoir les toucher autant que nous le sommes nous-mêmes parfois, à la lecture du journal d'un autre.

J'aimerais parfois recevoir une correspondance quelconque, un message d'un lecteur, entamer une relation un peu plus approfondie avec ces gens qui, somme toute, connaissent assez bien la partie de moi que je veux bien leur dévoiler. J'aimerais en savoir un peu à leur sujet. Qui sont ces personnes ? Pourquoi me lisent-elles ? Mais elles choisissent de rester dans le noir. Et moi je choisis de continuer à écrire.

Et puis, ce n'est pas un secret, non seulement j'écris, mais je lis aussi. Et là, mea culpa, je suis comme mes lecteurs : Moi non plus je ne donne pas signe de vie. Ou alors, très rarement. Je n'ose intervenir dans le quotidien des autres diaristes, qui pour la plupart ne savent peut-être même pas que je les lis. Timidité ? Pudeur ? Paresse ?

Par contre, avec certains, dès le premier message envoyé, quelque chose a "cliqué", une connexion s'est faite. Nous avons commencé à nous écrire, à faire connaissance par un autre moyen que le journal. Nous avons constaté que nous sommes de vraies personnes de l'autre côté de ces écrans, et que nous avons des affinités, qui n'ont pas été nécessairement évidentes à la simple lecture du journal. Ces diaristes, dont je suis une lectrice, et qui me lisent eux aussi, sont devenus des amis. Nous discutons parfois de nos vies, telles que présentées dans nos journaux respectifs, mais souvent nous discutons de tout autre chose, comme le feraient des amis qui s'écrivent. Parfois le contact se fait de façon régulière, plusieurs fois dans la même semaine, puis, selon l'emploi du temps de chacun il peut se passer plusieurs semaines avant un autre message. Comme dans la "vraie vie" quoi, la vie terrestre comme dit Lou, l'éternelle Insomniaque.

Qu'est ce qui fait qu'un lecteur aura un contact avec un diariste ? Je ne sais pas trop. Il faut qu'il y ait ouverture des deux côtés je crois. Une acceptation de se voir, et de se montrer sous un autre jour, de façon plus complète. Dans mon cas j'ai peu de contact avec mes lecteurs qui ne sont pas eux aussi diaristes. S'ils ne m'écrivent pas, comment leur répondre ? Mais comme je semble me comporter tout à fait comme mes lecteurs à moi, c'est à dire, que je n'écris pas moi non plus à ces diaristes que je lis assidûment, je ne peux rien reprocher à mes lecteurs. Au contraire. Je sais qu'ils sont là, qu'ils me lisent. Ça fait chaud au coeur.

Ai-je répondu à la question ? Sans le lecteur, j'écrirais encore ? Sûrement. Mais je me chercherais des lecteurs, j'en suis certaine.

(Faut-il le dire ?) Le masculin est utilisé pour simplifier l'écriture, mais bien sûr inclut le féminin. Je n'ai pas que des lecteurs, je sais que j'ai aussi des lectrices.

Intime idée

Par Philippe (lecteur)

Le premier journal que j'ai lu fut celui de Sophie. Etant homme, sujet à toutes les cochonneries que cela suppose, j'ai été, plus tard, surpris d'apprendre que sa démarche était pratiquement similaire : écoeurée par les liens envoyés lorsqu'elle tapait sur un moteur de recherche "Érotique", elle avait entrepris d'écrire le journal qu'elle aurait aimé lire. Même si la recherche est peu flatteuse, ce qui m'en est resté, de manière significative, c'est l'attrait irrépressible pour ce qui est bien écrit. Et, de plus en plus, le zapping des journaux pas assez soignés à mon goût.

J'ai flashé sur le journal de l'Incrédule. D'abord à cause des BDs, ce qui est assez rare et original pour être souligné. Puis j'ai dévoré l'ensemble de sa vie et je me suis passionné pour ce travail extrêmement fouillé et consciencieux qu'elle fait sur elle-même. Je la tiens pour une authentique mutante du 21ème siècle, avec une demi-douzaine à une dizaine d'années d'avance sur ses contemporains. Si, si. Dut sa webcam en rougir.

Je lis fidèlement le site de Mellia. Ça fait belle lurette qu'elle a abandonné les atours coquins qui avaient fait son succès. Petit à petit, elle s'est confiée, et j'ai découvert une petite fille fragile si attachante que je ne regrette en rien tout ce qu'elle a supprimé en recouvrant sa pudeur, même si elle a tellement besoin qu'on l'aime, qu'elle semble avoir du vague-à-l'âme à l'idée de ne plus être aussi lue qu'autrefois.

Au hasard de la relation par l'Incrédule de sa rencontre avec la Pouette et l'Insomniaque, j'ai accroché sur le site de la première et pas sur celui de la seconde. Mystère. Je crois surtout que je n'ai pas trop de goût pour les personnages secondaires qui font le quotidien des diaristes, ses enfants, son homme, dans le cas de l'Insomniaque, non plus que pour les amitiés virtuelles et / ou les rencontres réelles entre diaristes.

C'est peut-être pour ça que je suis un fan de Jérôme Attal : Chez lui, pas beaucoup de références aux autres diaristes, pour la bonne raison qu'il se brouille facilement avec eux. Jérôme est un cas à part d'abord parce que son statut de chanteur lui interdit l'anonymat, ensuite parce qu'il use et abuse des X et Y pour désigner les protagonistes de ses histoires, ce qui renforce l'universalité du propos, enfin parce que son image publique le contraint à prendre un recul insensé sur ce qu'il vit. Tout cela, allié à sa grande culture, son amour de l'art, pousse son journal vers le haut. En contrepartie, il fait montre d'une intransigeance qui confine à la cruauté dans ses jugements sur ses contemporains et les diaristes en particulier.

Je me cantonne donc à la lecture de quatre, cinq journaux, toujours les mêmes. J'ai suivi un lien menant du site de Mellia à celui d'Azulah, celui de Jérôme à celui de Frannie, à La chambre des demoiselles... Toujours une histoire de bouche à oreille. Pour l'instant, sans succès, pas le truc qui me fasse envie de lire plus régulièrement. Toujours ce fichu microcosme à assimiler pour m'intéresser...

Quand je m'intéresse, c'est à fond. J'ai horreur des jugements à l'emporte-pièce basés sur la page du jour, je reprends le plus souvent le journal depuis le début pour me faire une opinion. Les henriettes peuvent en témoigner : il faut lire tout le journal d'Henri le diariste pour l'apprécier (j'ai triché, puisque c'est Jérôme lui-même qui m'a invité à le lire, et ce après avoir été démasqué, je savais donc exactement à quoi m'en tenir ; avec le recul, peu m'importe vraiment qu'il s'agisse d'une imposture et d'un journal imaginaire : Sophie elle-même, en interview, décrivait son personnage comme un être virtuel).

Qu'est-ce qui me motive ? Pratiquement toujours d'en apprendre un peu plus sur moi-même et sur l'univers en lisant les autres. Entendre Pouette crier sa colère parce qu'on a abattu une ourse qui a attaqué une célèbre marathonienne canadienne, laquelle avait commis l'erreur de courir sur son territoire, avec en plus un baladeur sur les oreilles, alors que l'animal avait des petits et que son instinct lui commandait de les protéger contre celle ressentie comme une intruse. Me demander comment un mélo tel que celui de Mellia peut encore être possible aujourd'hui. Suivre pas à pas l'Incrédule dans sa quête d'elle-même parce que c'est l'enjeu du troisième millénaire. Me laisser bluffer quand Jérôme, accusé de ne parler que de filles dans son journal, entame un exposé minutieux sur les rapports entre la peinture de Van Gogh et celle de Francis Bacon. Je ne cherche pas forcément ceux et celles qui ont une vie similaire ni différente de la mienne, je vous renvoie à la définition ultra-poétique et hyper-réaliste de Nilda Fernandez : "L'Autre n'est pas un miroir, c'est un écho tout proche".

Philippe G.

Se frotter aux lecteurs : Passer de la spontanéité à l'authenticité

La présence des lecteurs qui « regardent derrière l'épaule » peut induire une tentation d'écrire dans un sens favorable. Auquel cas le risque est grand de perdre une part de sa personnalité. L'authenticité consistera alors à aborder tous les sujets, même ceux qui pourraient susciter la controverse.

Par l'idéaliste

Récemment je me suis rendu compte que j'avais toujours écrit mon journal-papier en supposant être lu un jour. La supposition est devenue souhait lorsque j'ai entrepris d'écrire en ligne sur internet, puis certitude quand quelques mois plus tard je me suis inscrit sur le site de la CEV.

Dès les premiers jours sous les regards j'ai senti le poids de cette présence en optant, sans m'en rendre compte, pour un ton inspiré de celui de la lettre collective, m'adressant directement aux lecteurs. J'ai tenté de lutter contre cette tendance spontanée, voulant garder une certaine distance, mais j'ai finalement renoncé devant l'évidence : je m'adressais aux lecteurs autant qu'à moi-même.

Le fait que peu à peu des contacts se soient établis avec certains lecteurs (ou diaristes-lecteurs), n'a fait que renforcer cette tendance. J'ai fini par me rendre compte que j'écrivais en pensant m'adresser à ces quelques personnes que j'identifiais. Ce n'était plus un journal, mais un petit discours de mes états d'âme adressé à une dizaine de confidents. Les contacts ont été suivis, se sont intensifiés ou ont disparu, selon les hasards des préoccupations partagées. Une petite routine s'était alors installée : je délivrais mon message, je recevais parfois des commentaires, et le système tournait bien. Je me nourrissais des réflexions qui m'étaient faites, apportant à mon tour, je suppose, un éclairage qui permettait à mes lecteurs de faire leur propre cheminement.

L'inconvénient de la routine, c'est que peu à peu le côté enrichissant s'éteint. Et c'est ce qui s'est passé sans que je m'en rende vraiment compte. Les commentaires ont été moins nombreux, moins variés. Ils n'avaient plus ce coté découverte, surprise, excitation. Inversement, des relations fidèles et fortes sont apparues, davantage de l'ordre de l'amitié que du simple lectorat.

Je me suis trouvé tiraillé entre deux lectorats différents : ceux que je connaissais (virtuellement parlant), à qui je faisais confiance et pour lesquels j'aurais été enclin à me laisser aller à plus de spontanéité, et ceux que je ne connaissais pas, seulement concrétisés par un indicateur de visites. Des inconnus silencieux qui m'intriguaient. Pourquoi me lisaient-ils ? Qu'y trouvaient-ils ? Qu'en pensaient-ils ?

Autant de questions inconscientes que je posais avec des textes qui étaient censés déclencher des réactions. Positives ou négatives, mais des réactions. Face à leur absence j'essayais d'autres directions, mais toujours infructueuses. Jusqu'au jour où j'ai réalisé que j'écrivais pour le lectorat et que j'avais tendance à m'y perdre.

Depuis cette découverte, encore récente, j'essaie de retrouver ma liberté. Revenir vers moi-même. Ce qui en mon cas impose aussi de me laisser aller vers quelque chose de nouveau : l'authenticité. L'écriture aventurière. C'est à dire me "lâcher" en exprimant ce qui me passe par la tête, sans savoir comment cela peut être perçu par mon lectorat. Ne plus craindre des avis critiques, contradictoires ou franchement opposés. Car si j'ai toujours été sincère, j'explorais surtout, pendant les deux premières années de mon journal en ligne, ce qui me rattachait à mon passé. Journal auto-analytique peu contestable puisque fondé sur mon seul parcours de vie. Ma spontanéité consistait à retranscrire ce dont je prenais conscience peu à peu. Sa liberté consistait à choisir divers chemins tracés dans mon histoire personnelle. Et les lecteurs n'entretenaient l'échange que pour ce qui éveillait un écho particulier avec leur propre parcours de vie. Leurs avis étaient donc davantage un partage d'impressions, concernaient nos similitudes, et avaient peu de chances d'être critiques. De fait, je ne me souviens pas avoir reçu de message exprimant un désaccord.

A présent mon passé est largement compris et exprimé. Mon présent ouvre d'autres perspectives d'interaction avec les lecteurs puisque une bonne part de mes préoccupations sont aussi les leurs : notre société, les rapports entre les gens, le regard que nous nous portons mutuellement.

A moi d'apprendre à me frotter un peu à mes lecteurs, quitte à les surprendre, peut-être les décevoir... ou les enthousiasmer.

L'idéaliste

Fenêtre ouverte ou glace sans tain ?

Par Laure (lectrice)

Chers amis,

Je me permets cette apostrophe alors que pour la plupart vous ne me connaissez pas, mais pourtant, vous faites tous un peu partie de ma vie !

Quand et comment suis-je arrivée au diarisme online ?

Quand, je ne sais plus, mais comment oui : Ce fut par l'intermédiaire d'un article de l'Express, celui même qui fut tant critiqué par les diaristes et pourtant, celui qui fut sans doute à l'origine de l'engouement, tant du côté des lecteurs que du côté des nouvelles plumes. Je suis donc arrivée chez MöngôlO, puis assez rapidement chez la Scribouilleuse. De lien en lien j'ai poursuivi ma quête avant d'aller moi-même pêcher directement dans le vivier de la CEV.

Donc, ceux que j'ai lus et qui aujourd'hui ne sont plus (enfin, leurs journaux bien sûr ! !) : MöngôlO, Scrib (dont au passage j'aimerais tant avoir des nouvelles sans oser les lui demander, de peur d'être indiscrète... Que devient-elle ? Je l'imagine toujours aussi pétillante et je l'espère.)

Ceux à qui j'ai été fidèle et que j'ai quittés, chez qui pourtant je continue souvent d'aller piocher : A quoi bon, L'idéaliste, L'insomniaque.

Ceux à qui j'ai été abonnée sans l'avoir demandé (et que j'ai pris plaisir à découvrir) : Tabulawriter.

Ceux chez qui je butine régulièrement : L'Incrédule, Petite cerise, Jérôme Attal, Henri le Bibi, Pierre-Yves, Sylvia.

Ceux chez qui j'ai voulu m'installer mais depuis que j'ai mis mon adresse dans leur mailing-liste ils n'ont (presque) pas écrit, sniff : L'encre marine, L'Egoïne.

Ceux que je lis dès que je reçois leur avis de mise à jour : Azulah, Ultra orange, Eva (Regards Solitaires), Vani (son cara et ses puces), Ophélie (Instant-clic), Ophélia (L'Immédiate)...

Voilà pour le panel, je ne peux donc parler que d'une expérience qui me lie à ces journaux-là.

  Quelles relations ai-je avec les diaristes ?

Question difficile... Souvent je suis tentée, surtout lorsque je découvre un journal, d'écrire à son auteur pour lui dire "j'aime beaucoup votre écriture, votre mise en page, votre façon de dire et/ou de penser, continuez", et souvent je ne le fais pas ! Même si je suppose que cela fait toujours plaisir de recevoir un compliment, une gentillesse, je me dis : Mais si je n'argumente pas qu'est-ce que cela va bien pouvoir leur apporter, dire juste que j'aime bien, ça sonne un peu convenu ?

Je suis intervenue parfois lorsque des contenus me hérissaient le poil : Mal m'en a pris ! Idéaliste, Scrib et Ophélia s'en souviennent peut-être. En tant que lectrice, je me sentais prise dans un règlement de comptes auquel je n'avais rien à faire, ils se crépaient le chignon les uns les autres par journal interposé. Idéaliste reprochait à Scrib sa superficialité, elle répondait très énervée, l'une reprochait sa hauteur à l'autre, ou je ne sais plus quoi, et moi je me sentais prise en étau au milieu de tout ça, avec mes affinités pour chacun, que je lisais et appréciais pour des raisons différentes. Je ne trouvais plus ma place. J'ai écrit à chacun d'entre eux des courriers que tous ont reçus en copie, tous m'ont répondu en choeur que "mais non ils s'adorent". Leurs pages étaient pourtant gratinées. Je n'ai plus rien dit mais j'ai trouvé que c'était un petit monde qui tournait un peu trop en cercle fermé, si tu n'es pas inscrit à la CEV, si tu n'es pas diariste, tu ne peux pas comprendre. Alors je n'ai plus voulu comprendre, j'ai continué de prendre ce que j'aimais et quand ça m'agaçait je sautais des lignes. Idéaliste avait même proposé (et l'avait fait je crois) de changer de couleur d'écriture lorsqu'il parlait de ses collègues diaristes. Tous m'ont parlé du lien affectif très fort qu'il y a entre eux.

Tous les diaristes (souvent en page d'accueil) vous diront qu'ils ont envie de connaître leurs lecteurs, qu'ils sont ouverts à la critique, que que que etc. Mais là aussi j'en ai fait l'expérience ! Dès lors que vous ne caressez plus dans le sens du poil, même en gantant votre main de velours, en y mettant toute la douceur et le respect possible (puisque vous les lisez, c'est que vous les aimez, un peu quand même !) pour essayer d'émettre une critique sur un texte, oh juste un petit : Attention là le lecteur peut être choqué, surpris ou que sais-je encore ? Ou pas tout à fait d'accord, là, ils vous ruent dans les brancards, ils sont ici chez eux donc ils y disent ce qu'ils veulent faudrait pas l'oublier mais surtout faut pas oublier de réagir, hein, surtout maintenant avec les blogs c'est encore plus interactif ! Mais ô lecteur, si tu t'y aventures, contente-toi de dire que tu l'adores qu'il est génial que tu te prosternes à ses pieds sinon gare à ta boîte à mails...

Bref, tout cela pour dire que j'ai été déçue, je ne crois plus à ce genre de relations où le lecteur pourrait discuter de façon ouverte, respectueuse et constructive avec l'auteur. Alors quand je lis cette invit' à un échange dès la page d'accueil je souris en silence...

Et pourtant je continue de croire aux relations affectives (invisibles !) avec les diaristes : la preuve je suis souvent attachée à leur journal. Quand je rentre de vacances (après une ou plusieurs semaines sans ordi), que j'ai couché la marmaille, rempli des machines, je viens toujours m'installer ici et m'offrir une pause intime, un plaisir égoïste : Lire les pages de ceux qui me touchent, m'accompagnent, que j'ai envie de suivre. Un plaisir décuplé par le manque et le nombre de pages à ingurgiter d'un seul coup. Il y a des auteurs à qui je l'écris, parce que je les sens simples et proches, il y en a à qui je n'ose pas le dire parce que je les sens si loin je crains trop leur réaction, même pour dire du positif, ceux avec qui je n'ose pas comme ça sans raison...

  Où est le plaisir ?

Dans la lecture, l'écriture et le talent de chacun bien sûr, dans cette vie en miroir que parfois l'on trouve si semblable, dans ces interrogations ces propos que souvent l'on partage, il y a des auteurs qu'on aimerait connaître pour de vrai et puis on se protège derrière les 500 km qui au mieux nous séparent quand ce n'est pas un océan, et que de toute façon on se sentirait tellement nulle face à eux (place-t-on donc ces diaristes sur un piédestal juste parce qu'ils ont un clavier qui nous touche ?) Il y a la facilité aussi : on ne prend pas le temps d'écrire, pas le temps de dire tout cela, à quoi bon ?... Les auteurs sont sans doute rassurés par leurs statistiques que tous sûrement ont mis en place, les lecteurs y trouvent leur compte sans nécessairement avoir besoin de le dire...

Ce que Max m'a apporté

Une lectrice témoigne de l'influence directe que la lecture d'un journal a pu avoir dans sa vie.

Par zorbine

J'ai apprécié vraiment le journal Pile ou face. Il m'a appris à réaliser que moi aussi j'étais comme lui, même si je n'en étais pas consciente. Je m'explique : Il m'a fait réaliser que j'étais bisexuelle même si à ce jour je n'ai aucune expérience quelconque avec les filles. J'ai toujours trouvé les filles belles et lire le journal de Max m'a fait réaliser que c'était de l'attirance que j'avais envers les filles.

De plus, j'ai bien aimé la façon dont Max écrivait ses mises à jour. Il y venait à chaque fois que l'envie lui prenait. J'ai lu ce journal pendant un peu plus d'un an et je peux vous dire que lorsqu'il a arrêté de l'écrire ça m'a attristée un peu car c'était le seul et unique journal que je lisais aussi assidûment. Je crois que ce qui m'a plu le plus dans ce journal, c'est que Max a vécu les mêmes expériences que moi. Je me suis attachée à ce jeune homme comme on s'attacherait à un ami.

Finalement, je crois que ce journal m'a beaucoup influencée au point de vue de ma personne car il m'a permis de mieux me connaître. Merci Max d'avoir partagé tes écrits avec nous !

D'une fidèle lectrice, Zorbine

Apprendre à être lue

Ce numéro spécial sur les relations diaristes-lecteurs (ou lecteurs-diaristes), mine de rien, m'a fait beaucoup réfléchir. Bien sûr, il y a tout cet aspect relationnel, ces lecteurs qui se manifestent ou pas, qui deviennent des amis ou qui demeurent des présences rassurantes et lointaines. Mais il y a aussi cette évolution, ce façonnement, que cette présence finit par induire au fil des mois et des années chez le diariste.

Par l'insomniaque

Je me rappelle qu'au tout début je ne m'étais pas arrêtée à la possibilité de recevoir du courriel de ces lecteurs. J'avais envie d'être lue, oui, mais c'était une idée plutôt floue qui, si mon souvenir est fidèle, n'était pas teintée par la possibilité de recevoir en retour, les mots et les idées des autres, encore moins que ces mots et ces idées puissent avoir une quelconque influence sur mon écriture et sur ma vie. Quelle naïve j'étais... Et quelle naïve je suis encore, bien sûr.

Les premiers messages de lecteurs inconnus que j'ai reçus furent pour moi une révélation surprenante. Jusqu'à ce moment, j'avais surtout reçu des petits mots d'amis ou de connaissances de la "vie terrestre" en qui j'avais eu suffisamment confiance pour leur révéler l'existence de mon journal en ligne. J'avais aussi reçu quelques messages d'encouragements de la part de quelques diaristes que je lisais et avec qui j'avais un peu correspondu avant de me lancer moi-même dans l'aventure. Alors, lorsque j'ai commencé à recevoir des messages de lecteurs (diaristes ou pas) qui s'intéressaient au contenu de ce que j'écrivais et, indirectement, à l'être humain qui se cachait derrière les mots, je n'étais pas du tout préparée. Je n'entrevoyais surtout pas le plaisir et, disons-le, la difficulté que ces correspondances allaient apporter dans ma vie.

Plaisir d'abord de se sentir comprise et appréciée. Dans mon cas personnel, les mots écrits avaient toujours été un médium de prédilection, une eau dans laquelle je nageais comme un poisson. Alors, de pouvoir intéragir à partir d'eux avec des gens qui les appréciaient autant que moi, constitua tout de suite un cadeau inespéré. Il faut dire que c'était en 1999, presque la pré-histoire du diarisme ( !) et que les diaristes que je lisais et appréciais alors, parlaient peu de leurs relations avec les lecteurs, encore moins de l'influence que ces relations pouvaient avoir sur leur écriture. Je dois dire que si j'avais à commencer un journal aujourd'hui, je pense que je serais plus aguerrie par rapport à cette possibilité. Pour être complètement franche, je ne sais pas si j'oserais débuter un journal en ligne maintenant.

Je vous surprends ? Je suis moi-même surprise d'en arriver à une telle idée. Je m'explique.

À travers les mots, il y a les images. Chacun possède sa propre imagerie intérieure liée aux mots. Être diariste en ligne conduit à des abus et des lieux communs. Je vous raconte que j'ai fait l'amour hier soir : Vous me trouvez exhibitionniste. Je vous raconte que j'aime acheter du parfum : Vous me trouvez superficielle. Je vous raconte la première journée d'école de mon fils : Vous me prenez pour une super-maman. Je ne parle pas assez de mon aîné : Vous me demandez si je l'aime. Je ne vous raconte rien de tout ça : Vous me trouvez vague et allusive. Je vous montre mon visage : Vous auriez préféré que je reste un mystère ou alors vous voulez en voir plus, plus clairement. Chaque mot que je dépose est soumis à votre bagage de références. On n'y peut rien, c'est comme ça.

Et je ne parle pas encore de tous ces lecteurs qui sont partis des pointillés que j'ai laissés et qui ont redessiné, parfois bien joliment, parfois moins, les contours manquants. Ceux qui ont tenté de s'improviser psychanalystes ou thérapeuthes, envers ou contre moi. De ceux qui ont cru détenir les clés à partir de trois mots, alors que moi je n'y arrive pas, la plupart du temps.

On me dira : Ça fait partie de l'expérience. Et on aura raison. Mais je ne peux passer sous silence cet apprentissage que j'ai eu à faire, parfois difficilement, et l'influence que tout ça a eu sur l'écriture de mon journal. Ce fut peut-être la plus grande leçon de ces 3 ans et demi de diarisme en ligne. Ce que je suis m'appartient et ce que je donne est à ma discrétion. Mon écriture est authentique, dans la mesure où ce que je dis vient de moi et correspond à ma lecture de la réalité au moment où je l'écris. Mais ça demeure partiel et subjectif. De même que ce que mes lecteurs découvrent. Leurs idées sont souvent précieuses, leurs suggestions généreuses et habituellement bien intentionnées, mais la diariste que je suis a appris à les relativiser et ne s'en porte que mieux.

On pourrait croire que je ne suis pas reconnaissante des messages de mes lecteurs, voire un peu amère de certaines relations. Pourtant il n'en est rien. Lorsqu'on m'a reconnue, ne serait-ce que partiellement, et c'est arrivé plus d'une fois, ça m'a donné des ailes et aidée à faire un pas de plus (une habitude fort prisée chez l'Insomniaque ;-) et certaines des relations les plus précieuses dans ma vie terrestre ont été introduites par le biais de mon journal en ligne. Mais j'ai développé une certaine distance saine avec la vision qu'on me propose parfois de moi, dans le positif comme dans le négatif. Ma réalité comporte de nombreuses facettes et c'est une illusion de croire que je donne assez d'informations dans mon journal pour qu'on puisse les entrevoir toutes. Voilà ce que les relations avec mes lecteurs m'ont permis d'apprendre. Et ne serait-ce que pour cette raison, je ne regrette rien.

À la recherche du Lecteur Idéal

Par Vani

Il n'est pas vrai de dire que celui qui tient un journal-papier n'écrit que pour lui. Pour que ce soit vraiment le cas, la seule solution serait qu'il détruise ses pages au fur et à mesure. Combien le font ?

Alors, pour qui écrit-on quand on raconte sa vie à un carnet cadenassé, couvert de petits coeurs et doré sur la tranche ? Pour un soi-même qui, avec le recul de l'âge, pourrait enfin comprendre celui (ou celle) qu'on a été : vous l'avez sûrement fait, ce petit signe discret sur une page lointaine encore blanche, comme un coucou au futur, "toi tu sais déjà ce que je ne sais pas encore", ça ressemble à un appel à un mentor silencieux, on apprend à anticiper en imaginant ses propres réflexions à venir, on n'est plus tout à fait seul. Ou alors, on écrit pour quelqu'un de son entourage, dont on espère un jour une disponibilité parfaite : "Un jour, il saura qui je suis vraiment, et il m'aimera". Ou encore pour quelqu'un qui n'existe pas encore, qu'on n'a pas rencontré encore, mais qu'on attend, tel le messie : "Mes descendants/mon Prince Charmant sauront tout de moi, eux !". Et de les imaginer plongés avec fièvre dans les archives poussiéreuses de cet être exceptionnel que vous avez été et que vous êtes encore...

Et puis voilà, plus envie d'écrire sur du papier, le destinataire imaginaire est quand même trop silencieux. Alors on lance sa bouteille sur les vagues capricieuses de l'Internet. On se met à avoir des "visiteurs", des "correspondants", on reçoit des "critiques", des "encouragements", on vous "linke", on vous "liste", où est-il ce lecteur idéal ? Partout à la fois et nulle part : c'est comme dans la vie, certains vous comprennent quand vous êtes malheureux, d'autres rient à vos facéties, d'autres sont touchés par certaines confidences, le lecteur idéal se trouve ainsi fractionné en des tas de petits lecteurs idéaux...

Et évidemment, ça ne vous suffit pas : vous continuez à chercher l'Ami(e), l'Amant, et à attendre de vos enfants qu'ils se passionnent pour vous quand ils seront plus grands... L'Idéal absolu, quand même, ce serait de croiser un diariste sur la toile qui serait tellement votre virtuelle moitié que vous seriez chacun le lecteur exclusif de l'autre ! Et que vous passeriez votre temps à vous répondre, à vous commenter, à vous recommander... À vous d'imaginer la suite de l'histoire...

Les regroupements de diaristes

Cette scission qui devenait de plus en plus marquée dans les rapports entre diaristes ne m'étonne qu'à moitié...

Par Eve

Les diaristes de longue date se souviennent de précédents sites de rassemblements qui ont soudainement fermé leur porte/serveur, en partie parce que la CEV avait ouvert ses portes et qu'elle répondait de manière simple et efficace à ce à quoi les diaristes rêvaient. Un site dynamique, des fonctionnalités attrayantes, des administrateurs vivants, concernés, disponibles. On est en effet loin des webrings grâce à ce site !

La CEV a grandi, maintenant le seul et presque unique site francophone de ce genre (à ma connaissance), du moins le plus complet encore et toujours, même sans forum. Cette croissance ne s'est pas faite sans heurts. Comme une mère avec son premier enfant, il y a eu des essais réussis, d'autre moins, afin de garder l'esprit de communauté au sein du site et surtout de ses habitants. Et le temps passait, les gens prenaient connaissance du processus de journal en ligne, et en s'y intéressant, croisaient sur leur chemin la CEV, s'y intégraient. Tant mieux, les diaristes se disaient-ils, plus on est, plus on se fait connaître, plus on fait partie d'une communauté vivante. Mais ils n'avaient pas pensé que dans le lot de membres, tous ne verraient pas le diarisme du même oeil, ni ne participeraient de la même manière qu'eux. Il y en a pour qui un regroupement reste une manière de se faire un lectorat, une clientèle ; pour d'autres c'est justement une communauté, et pour d'autres, entre les deux ou toute autre chose. Comme dans la société (car même les diaristes sont humains !), il y a des gens provocateurs, plaisantins, énervés, et aussi des gens calmes et sans remous. Qui habituellement ne se croisent pas, car ils ne sont pas poussés l'un vers l'autre, pour des raisons d'atomes crochus.

Dans la société, nous avons des règles bien établies. Avec un code éthique à respecter, des normes sociales à suivre. Et des lois qui régissent le tout et punissent les contrevenants les pires. Sur Internet, tout reste à faire à ce niveau. La police virtuelle n'est pas encore très puissante (de toutes manières, qui dit virtuel dit...). Alors les « contrevenants » de l'éthique web, peu importe l'écart à celle-ci, sont peu menacés. Ils peuvent se mettre à déranger les membres d'une communauté X sans crainte d'être visés par une quelconque sanction, sauf peut-être un rappel à l'ordre. Et les membres de la communauté X habitée par un tel contrevenant n'ont pas de recours autre que de crier à ce rappel à l'ordre. Ou de passer leur chemin, comme ils éviteraient un clochard assis sur le trottoir. Car le seul point qui les rejoint, ici, c'est le diarisme. Peu importe leurs intérêts, leur vie quotidienne ; le pianiste de concert croisera peut-être une lectrice de partitions, mais aussi un stand-up comique qui rit tout au long de son numéro des pianistes de concert.

C'est comme de penser : tous les auteurs de roman sont faits pour s'entendre, ils écrivent des romans. Donc le lien entre tous les journaux regroupés par exemple sur la CEV est ténu.

Sur le web, le mot clé pour ne pas souffrir de ces plaisantins (qui ma foi ne sont pas très virulents, pour ce qui est des plaisantins diaristes), c'est la tolérance, ou l'évitement. Sinon, l'affrontement. Mais là, c'est aux risques des deux opposants. Tout compte fait, cette scission qui devenait de plus en plus marquée dans les conversations entre diaristes ne m'étonne qu'à moitié...

... Et c'est peut-être pour le mieux, cette explosion des moi autrement que dans les journaux. C'est davantage propice à une discussion sur le phénomène du diarisme, sur l'éclatement du genre, sur ce qui est possible de faire avec son journal, sur ce que vaut un journal à titre personnel et à titre de site web, sur ce que peut apporter un journal sur le web. Tout cela peut-être de deux manières différentes, l'une plus musclée que l'autre, mais sans freiner toujours ces discussions parce qu'on ne s'entend pas sur : Comment débattre. On peut alors fouiller plus loin, repousser les limites, car la scission se fait alors justement un peu plus comme dans la vraie vie : par affinités. Le lien dans le groupe devient alors moins ténu, retenu qu'il est par deux raisons : l'écriture d'un journal en ligne, et une recherche de discussions rassembleuses, où une opinion différente ne sera pas rejetée d'office, mais plutôt débattue.

Tu me prêtes ton nom ?

La définition du mot pseudonyme ramène à la duplicité, au secret. À observer le phénomène, on s'aperçoit que c'est bien la réalité, mais que sur Internet, et encore davantage dans un journal intime sur le web, le pseudonyme revêt une importance et une symbolique encore plus évidente - et positive.

Par Eve

  Dans l'histoire...
Les gens n'ont pas attendu Internet avant de se cacher derrière un nom autre que le leur. Parfois pour le plaisir, ou des raisons de religion, ou une question de sexe. Le phénomène était tellement étendu qu'au XVIIe siècle, une croisade a été menée contre ceux qu'on accusait de ne pas respecter les règles de sincérité et d'abuser de la bonne foi des gens.

Des exemples de pseudonymes utilisés par des auteurs connus ?

-  Wilhem Apollinaris de Kostrowitzky, alias Apollinaire
-  George Gordon, alias Lord Byron
-  Charles Lutwidge Dodgson, alias Lewiss Carroll
-  David Cornwell, alias Jonh Le Carré
-  Samuel Langhorne Clemens, alias Mark Twain

Et vous connaissez Roman Kacew, celui qui s'est suicidé après avoir gagné le prix Goncourt deux fois... sous deux pseudonymes différents ? Romain Gary vous parle davantage, assurément.

  Des raisons !
Pourquoi changer son nom, sur Internet ? Aujourd'hui, se trouver un nickname est un passage obligé, sur le web. Il y a peu de personnes qui écrivent leur journal sous leur vrai nom, et ceux qui le font vont alors avoir un journal que la famille et les amis connaissent. Ce sera davantage un journal rassembleur, donneur de nouvelles, q'un journal portant sur les sentiments de l'auteur.

Alors ceux qui tiennent à écrire leur vie intérieure sur Internet se munissent de tous les atouts possibles. Se faisant, ils peuvent se permettre de transgresser les lois sociales en ménageant les parties offensées. Ils sont cachés... derrière rien. Mais si bien cachés. Pour les lecteurs qui parcourront leurs lignes, rares sont ceux qui attacheront de l'importance à un nom inconnu, même si la personne derrière le nom est connue dans la vraie vie.

Il suffit de bien le choisir, ce nom, car comme votre vrai nom donne des informations de première main à un parfait inconnu, les lecteurs de votre journal passeront par votre nom pour se faire une première idée de votre journal. Que cette idée soit juste ou fausse, vous ne passerez pas à côté !

  La loi du pseudonyme
Vous avez bien lu ! Légalement, du moins en France, le pseudonyme est un droit prévu par la loi.

Tout d'abord, il est reconnu qu'une personne écrivant une oeuvre sous un pseudonyme pourrait sans problème jouir des fruits de cette oeuvre, de façon exclusive durant les 70 premières années. Et si l'oeuvre est échelonnée, tel un journal intime, le délai débute dès le 1er janvier de l'année où le dernier morceau paraît.

Encore selon la loi, française, le pseudonyme n'est pas un faux nom, mais plutôt un nom donné à une personne dans un certain domaine d'activités. Sa naissance légale survient après un usage notoire et incontesté, d'une publicité lui conférant réalité.

Et le top du top, il est même possible de signer votre passeport au nom de votre pseudonyme ! (voir ici les règles à suivre pour que le pseudonyme puisse apparaître sur des pièces d'identité)

  Enfin...
Dans la forme du journal intime, l'anonymat dépend beaucoup de la forme utilisée, et de la culture. Ici, la majorité écrivent sous pseudonyme, mais dans d'autres pays c'est l'inverse, chacun a sa photo et son nom propre affiché ! Mais une fois le pseudo pris, avouez que c'est bien, cette liberté que cela donne...

  Saviez-vous que...
Il existe des trucs pour créer des pseudonymes. En exemple : Eve Tremblay-Emond

-  aligner ses initiales : ete
-  prendre des syllabes au hasard : Evmond
-  substitution ou ablation d'une ou plusieurs lettres : eve-monde
-  les surnoms de son enfance : bellefille, petitcoeur
-  la méthode cibiste (ou irc !) : eveqc76 !
-  ou le hasard du dictionnaire...

  Bibliographie

Pourquoi les écrivains changent-ils de nom ?, Catherine Argand
Les pseudos, Santy
Le pseudonyme, Aline Elorn
Le droit au pseudonyme, Pascale Louédec
De la légitimité des pseudonymes, Lirresponsable

Numéro 4

Novembre 2002 (complet)

Edito
L'autocensure (Thématique)
Billet
En Images
  • Autocensurée (indisponible) par l'Incrédule
Pratique du Journal
Interview

Intériorité censurée ?

Explorons ce qui se cache entre les pages du journal intime en ligne...

Par l'Incrédule

Pour la thématique de ce numéro 4 de Claviers Intimes, nous abordons un des facteurs qui affectent -à divers degrés- probablement tous les diaristes, celui de l'autocensure.

Car il faut bien avouer que ce témoignage public que nous faisons, est constamment soumis aux fluctuations de notre autocensure. Et, parce que nous sommes lus, elle semble inévitable. C'est d'ailleurs souvent elle qui donne le ton à nos écrits, qui oriente le choix des sujets ou qui dose le degré d'intériorité présent dans les différents journaux en ligne. Elle provoque également la diversité entre ceux-ci... Ce qui est tabou dans le journal de certains, sera le sujet principal pour d'autres.

Et... combien d'entre nous n'ont pas, à un moment ou à un autre, éprouvé une certaine frustration devant ce « Cher Écran » ? On s'est installé bien confortablement face au clavier, désireux de se confier, de se libérer et... voilà que se déclenchent les différents mécanismes de l'autocensure (la peur du jugement, la peur de blesser ou encore, la peur de se rendre trop vulnérable en livrant ainsi son vécu le plus intime). Nos doigts deviennent alors hésitants, la pensée s'embrouille, les questionnements pullulent :

« Jusqu'où puis-je aller dans mes confidences ? De quelle façon puis-je les raconter ? Que va-t-on penser de moi par la suite ? Et si quelqu'un que je connais me découvrait ? »

Alors, si certains favorisent l'anonymat pour contrecarrer les effets de l'autocensure, s'adressant ainsi à un public d'inconnus qui auront possiblement le détachement nécessaire en parcourant les écrits, d'autres avouent qu'en réduisant leur lectorat (et donc, en restreignant l'accès à leur site ou encore, en ne faisant pas partie de regroupement tel que la CEV), cela les aide à trouver un ton plus intime, plus propice aux confidences (car ils ont moins à craindre un regard potentiellement hostile) et donc, de se sentir moins soumis à l'autocensure.

Tantôt perçue comme complice d'écriture, d'autres fois comme ennemie qu'il faut combattre, l'autocensure varie d'un individu à l'autre en plus de se manifester de façon tout aussi consciente que... inconsciente (Ah, elle a plus d'un tour dans son sac !).

Voyons voir ce qu'en pense les diaristes chroniqueurs qui ont bien voulu nous offrir leur point de vue à ce sujet...

Vani s'interroge sur ce « moi » que nous essayons tous de dévoiler, de comprendre et d'analyser, et ce, malgré l'autocensure. L'Idéaliste tente de cerner jusqu'à quel point l'autocensure serait volontaire ou inconsciente (les deux à la fois ?) tout en nous démontrant ses répercussions au sein de la liberté d'expression. Azulah explique ce qu'elle a choisi de révéler (et de ne pas révéler) dans son journal et Ophélie raconte à quel point l'autocensure a un impact constant sur ses écrits. Et finalement, ma petite touche personnelle pour illustrer comment l'autocensure entre parfois en conflit avec le désir de mettre à nu son intériorité...

Plus

 Dans la rubrique « Pratique du Journal », Manu élabore « Une démarche qualité dans le journal intime » et Tehu traite des alternatives possibles pour la survie d'un journal intime en ligne quand un diariste décide de l'arrêter.
- Un interview : Marylène sonde les Insomnies Chroniques de Lou.
- Et un billet de Eve qui aborde la polémique suscitée par les concours visant à récompenser les journaux intimes...

N'oubliez pas que l'équipe de Claviers Intimes est toujours à l'affût de collaborateurs (autant lecteurs que diaristes) et qu'il ne faut pas hésiter à prendre contact pour toute suggestion d'article concernant la démarche de l'écriture du journal intime. Je rappelle qu'il existe une liste de diffusion et des rencontres par Chat, des outils qui permettent l'échange d'idées et que nous utilisons pour la préparation de chaque numéro (tout se fait de façon virtuelle... mais il n'en demeure pas moins que le résultat est très concret !). Alors, si vous êtes le moindrement désireux de participer, contactez-nous !

Tourner sept fois sa langue

Par Ophélie

J'ai appris très jeune qu'il vaut mieux tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler. Un jour, je me suis juré solennellement de ne plus jamais prononcer une parole sans avoir évalué sa portée et réfléchi aux réactions qu'elle risque de provoquer. J'ai très peu de souvenirs des circonstances qui ont amené cette grave décision, mais je suppose que j'ai blessé quelqu'un par des paroles irréfléchies qui ont eu de sérieuses conséquences. Alors, faute de pouvoir les ravaler, j'ai pris la résolution de tout mettre en oeuvre pour ne plus jamais commettre cette erreur.

Aujourd'hui, je connais mieux mes limites et j'évalue plus aisément celles des autres. Je suis particulièrement douée pour réfléchir à toute vitesse en ne laissant rien paraître de mon dialogue intérieur. Pendant que chaque phrase est analysée, décodée, corrigée et reformulée si nécessaire avant d'être exprimée, je demeure imperturbable et toute souriante devant mon interlocuteur qui ne remarque rien. La mécanique d'autocensure est d'une efficacité étonnante et presque sans faille. J'élimine le superflu, les mots à double sens et les détails inutiles, mais surtout j'adoucis les expressions un peu trop directes et je freine mes élans trop audacieux. Alors oui, je l'avoue, je m'autocensure constamment et je suis certainement passée maître dans l'art de me critiquer. C'est au prix de tous ces efforts que j'ai trouvé la paix.

Désormais, le contrôle s'opère dans tous mes échanges avec les autres. De toute évidence, mon attitude critique se répercute dans mes écrits virtuels. J'insiste sur le mot virtuel, parce que dans mes écrits intimes, ceux qui ne sont destinés à personne d'autre qu'à moi, je m'abandonne totalement. Sur le cahier, je gribouille, je jure, je rature, je dessine, je pleure et j'enrage, comme une enfant qu'on vient d'enfermer dans sa chambre pour laisser passer la crise. Là, personne n'a le droit de m'arrêter, de me juger, de me corriger ou de me critiquer. Je suis entièrement libre. Là, je suis autorisée à franchir toutes les barrières, à dépasser toutes les limites. Mais je sais très bien que je n'atteindrai jamais cette liberté d'expression dans l'écriture d'un journal intime sur Internet. Premièrement parce que ce n'est pas le but et deuxièmement parce que je ne saurai jamais réellement à qui je m'adresse. Raison de plus pour faire doublement attention à ce que j'écris.

Je me bats constamment entre l'envie de m'exprimer avec plus de sincérité et la nécessité de préserver les secrets de ma vie pour mieux me protéger. Cette dualité, je la vis chaque fois que je m'installe devant le clavier. Je me dis non, très souvent. Je me refuse le droit à la liberté sans surveillance. Je ne souffre pas, c'est une contrainte que j'ai choisie et j'en assume entièrement les conséquences. J'ai moins peur de souffrir de ce que je n'ai pas écrit que des répercussions de ce que j'aurai osé écrire.

J'arriverai peut-être un jour à me sentir un peu forte et à faire preuve de plus de courage. Car il faut une grande force pour défendre ses idées avec conviction et pour cesser de craindre la critique des autres. Parmi ces autres, je suis certainement la pire des critiques envers moi-même. Si je cessais de me critiquer, je saurais certainement éviter la censure. Là où je m'interdis de penser, de dire ou d'écrire, je m'interdis aussi de vivre une expérience. Et je crois encore que c'est l'expérience, bonne ou mauvaise, qui fait grandir.

Se taire, tout dire, ou censurer ?

Tout serait tellement plus facile si dans mon journal je racontais l'histoire d'une autre. Malheureusement, c'est de moi qu'il s'agit...

Par Azulah

Je suis de nature une personne secrète. En groupe je ne parle pas beaucoup. Je préfère écouter les autres et apprendre, plutôt que dévoiler mes pensées à moi. Timidité, pudeur, peur d'ennuyer, peur de choquer... ? Quelle drôle d'idée donc d'écrire un journal étalé là devant les yeux du premier venu. De dévoiler sans pudeur aucune tous mes secrets, mes états d'âmes, mes aventures. Et voilà donc le mystère. Comment dire sans tout dire ? En dire assez, mais pas trop. Jusqu'à quel point se taire ou se révéler ?

Dans ce monde cybérien, je ne dévoile que certains aspects de ma personnalité au lecteur. Je partage un secret, mais pas l'histoire complète. Est-ce que le fait d'éviter certains sujets me rend incomplète aux yeux du lecteur ? Est-ce que cela nuit à la compréhension par le lecteur, des faits et des émotions que j'essaie d'exprimer dans le journal ? Tout d'abord, pourquoi écrire un journal « incomplet » ? Un journal dont on censurerait l'intime, ou l'émotif. Et puis s'aperçoit-on que l'on se censure ? Ou alors le mécanisme d'auto-censure est-il si fort que l'on n'y voit que du feu, et l'on s'imagine tout dévoiler, tout analyser, tout refléter ? Jusqu'à quel point peut-on se mettre à nu devant soi-même, puis ensuite décider de s'afficher « nue » devant ceux qui ont la gentillesse, ou la curiosité, de venir nous lire ? Je n'ai pas les réponses à certaines de ces questions. Je ne sais pas ce que pense le lecteur lorsqu'il me lit. Mais un journal est-il réellement incomplet si on n'y raconte pas « tout » ?

Une conversation avec une collègue il y a quelque temps m'a fait réfléchir sur cette situation un peu étrange. Elle me demandait si lorsque je rencontrais pour la première fois les gens avec qui j'avais fait affaire pendant longtemps sans les avoir jamais vus, ces gens s'attendaient à me voir de telle ou telle façon, et comment je réagissais face à cela. Je lui rétorquai que selon chaque situation nous présentons un aspect différent de la même personne : qu'Azulah au boulot agit de telle façon, qu'Azulah à la danse se comportera de telle autre façon, qu'Azulah et ses amis agira d'une autre façon encore, et qu'Azulah toute seule à la maison sera différente de celle qui participera à une conférence, mais que c'est toujours la même Azulah. Elle ne montre pas les mêmes facettes à tous. Cela veut-il dire que je cache la vraie Azulah aux regards indiscrets ? Ou que je censure certains de mes faits et gestes, parce que je ne montre pas tout, à tout le monde ?

Je sais que je ne raconte pas tout. Ni dans la vie terrestre, et encore moins dans le journal. Je ne creuse pas jusqu'au fond des choses, pour analyser, expliquer, exprimer, pour me présenter en entier. Mais voilà, j'écris d'abord pour moi. Parce que j'aime écrire. J'aime chosisir le mot, l'expression, le son, la note qui expriment le mieux le moment vécu. J'écris presque comme s'il s'agissait de l'histoire d'une autre. Ou de quelques moments dans l'histoire d'une autre. Jamais au grand jamais je ne raconterais des trucs si intimes sur ma vie à moi ! Cette censure se fait donc de façon insidieuse. Si la vie que je raconte n'est pas la mienne, mais simplement une histoire brodée au fur et à mesure, elle n'implique que très peu son auteure. Donc pas de comptes à rendre à qui que ce soit sur la façon dont cette Azulah vit sa vie. Les dangers de se dévoiler au grand public, mais d'abord et avant tout à soi-même sont effacés, puisqu'on ne raconte plus sa vie. Mais le danger de ne plus voir la faible ligne entre réalité et fiction devient de plus en plus grand.

Parce qu'il s'agit bien de ma vie à moi. Parce que si je devais inventer une histoire comme la mienne, il y a longtemps que j'aurais manqué d'inspiration. Donc je raconte, je tisse au fil des jours la réalité qu'est la mienne, en essayant de censurer le moins possible, du moins dans mes pensées. Je vis, et ensuite en pensée je revis les moments forts, les moments tristes, les bons, les mauvais, puis, devant ce clavier, les doigts prennent leur élan, choisissent les mots, racontent l'histoire. Parfois, quelques mois plus tard, je relis, je me souviens, je souris, j'essuie une larme. Et je m'étonne parfois d'avoir choisi de raconter telle chose plutôt que telle autre. Mais, tout compte fait, ça importe peu, on arrive à comprendre quand même. Du moins je l'espère. Je dis certaines choses, je tais les autres, consciente tout de même du non-dit. Consciente de choisir une piste, d'en éviter une autre. Et tentant de rester le plus possible fidèle à moi-même, autant en vivant cette merveilleuse aventure qu'est la mienne, qu'en la décrivant dans le journal plus tard.

C'est cela qui importe le plus, je crois. La fidélité à soi-même. La sincérité de dire voilà, c'est moi. Complète, même dans mes silences.

Cachez ce moi que je ne saurais voir

Par Vani

On a souvent interprété le diarisme en ligne comme une démarche narcissique, pire, exhibitionniste. Ecrire reviendrait tout simplement à parler de soi pour le plaisir de se mirer dans ses propres textes et celui, à tonalité plus malsaine, de se laisser sciemment regarder le coeur mis à nu par des lecteurs étrangers aussi curieux qu'avides de détails croustillants.

Et si dans le fait de s'écrire il s'agissait surtout de se rendre lisible ? Faire l'effort de démêler l'écheveau de ses passions pour les rendre compréhensibles au regard d'autrui et tenter d'avoir soi-même ce regard étranger sur soi : je veux me comprendre, je vais m'étudier comme un objet qu'il m'est donné de bien connaître, je vais faire l'effort de sortir de moi, me dédoubler, imaginer la façon dont on pourrait me percevoir de l'extérieur.

Parler de soi le plus clairement possible et s'écouter parler de la manière la plus objective possible, tel serait l'objet de ce travail de soi sur soi. Car en réalité, le lecteur inconnu, lui, n'a qu'un rôle intermédiaire : il justifie l'effort qu'exige un tel exercice de clarté vis à vis de soi, et c'est tout. Il est même une sorte d'alibi : je vais vous dire, à vous qui m'écoutez... mais celui que cela intéressera le plus, c'est bien sûr cet autre moi qui veut savoir de quoi je suis fait.

Ce n'est pourtant pas si simple encore. On dit qu'il est plus facile de se livrer à des inconnus qu'à des familiers, mais avec cette instance omniprésente et omnisciente qu'est l'autre moi, le moi scrutateur et interrogateur, toujours à lire par-dessus l'épaule du scripteur et à juger et à s'introduire entre les lignes pour en recueillir la moindre goutte d'aveu caché, comment ne pas avoir peur de trop en dire, justement ? Et si en voulant me faire du bien je me faisais du mal ? Suis-je vraiment prêt à tout dire, à tout entendre de ma propre bouche ?

Et voilà le processus de l'autocensure qui se met en place. Car se censurer, n'est pas seulement se mettre en scène (ou en valeur ?), mentir un peu pour rendre sa vie plus attrayante, maquiller un peu son personnage et en lisser les contours, en faire un être plus entier, plus logique, en bref, facile d'accès. L'autocensure, c'est plus insidieux que ça : c'est se persuader soi-même qu'on est tel qu'on veut bien le raconter.

Et après tout, n'est-ce pas une façon de construire ses rêves que de les affirmer par avance ? Et la prière religieuse n'est pas autre chose. Ecrire son journal comme une supplique, et se voir exaucé. Magie de ce renversement qui voit la littérature transposée dans la réalité : vie rêvée avant que d'être réelle... peut-être.

Volontaire ou inconsciente, une inévitable compagne de l'écriture

Si les mots permettent l'expression de la pensée, l'autocensure est toujours là pour modérer cette expression. La totale liberté de la pensée est un leurre dès lors qu'elle entre en interaction avec autrui. Variante de « la liberté des uns s'arrête où commence celle des autres », l'autocensure nous permet de sociabiliser les aspérités d'une pensée brute.

Par l'Idéaliste

Dans la vie courante, l'autocensure nous est tellement naturelle que nous n'avons souvent même pas conscience de la pratiquer. On pourrait presque la qualifier d'instinctive. Avec bien sûr des variantes dans sa pression. Parfois oppressante, elle devient alors un véritable frein à l'expression de soi, donc à l'épanouissement. Inversement, des personnes très libres dans leurs paroles peuvent fréquemment choquer, déstabiliser, générer un malaise. Aussi bien par des propos qui peuvent être perçus comme agressifs, manquant de tact, que pour une propension à trop en dire, à se dévoiler sans assez de retenue. Comme toujours, les affinités ou inimitiés peuvent naître selon le degré d'autocensure que chacun apprécie.

Dans le cas des écrits et, pour ce qui nous concerne, de cette forme bien particulière du journal en ligne, l'autocensure prend une forme différente de celle que l'on a dans les rapports sociaux traditionnels. D'une part parce que l'écrit demande plus de temps que la parole pour s'exprimer, donc permet de réfléchir un peu plus lentement, de mesurer mieux la portée éventuelle des mots. Aussi parce que l'expression se fait avec un décalage dans le temps, même s'il est minime, entre l'expression et la perception par le lecteur. Ce différé contribue à établir de façon plus consciente l'effet d'autocensure. D'autre part parce que cette expression s'adresse à des interlocuteurs à la fois distants (géographiquement), sans prise réelle dans la vie du narrateur, non-identifiés pour une large part d'entre eux, et "inconnus", visuellement parlant. Selon les personnes auxquelles on a conscience de s'adresser préférentiellement (personnes identifiées, ou alors le vaste "peuple du web"), on s'appliquera une autocensure différente.

  Consciente ou inconsciente ?

La forme d'autocensure la plus aisée à appréhender est celle que l'on s'applique volontairement. Facilement identifiée, elle porte sur des domaines de prédilection variables. Très généralement, cela concerne les évènements touchant des proches et les détails permettant l'identification (localisation, emploi) : on se protège. Assez répandue aussi, une autocensure traditionnelle en ce qui concerne la sexualité : un certain nombre de journaux n'abordent jamais ce domaine. Pour d'autres, c'est au contraire tout à fait du ressort d'un journal "intime", fût-il publié sur internet. Selon l'image que l'on a de soi, ou celle que l'on veut transmettre (qui peuvent être fort différentes), on accentuera ou atténuera certains traits de caractère. Autocensure par omission. Plus généralement on peut constater qu'une large forme d'autocensure consiste à ne pas évoquer tout le côté ressenti, émotionnel, et à se contenter d'une narration des évènements qui parsèment le quotidien. En fait, tout est affaire de choix en fonction de la personnalité du diariste et de ses souhaits de communiquer avec plus ou moins de liberté ce qui le concerne. Cette autocensure volontaire concerne le regard que les lecteurs porteront sur le diariste.

Moins perceptible, l'autocensure inconsciente vise à nous épargner de notre propre regard. En cela on retrouve l'écueil du journal papier, secret : on ose rarement s'y livrer avec une totale liberté. Et ceux qui le font s'appliquent parfois une ultime autocensure radicale : destruction des feuillets compromettants. Parce qu'il est parfois difficile de laisser certaines choses sortir de soi. Tout en sachant que nos pensées recèlent des secrets, nous nous en méfions et rechignons à ouvrir le couvercle. Dans le cas du journal intime public, il peut y avoir ce coté paradoxal qui oblige à ouvrir la boite de Pandore plus fréquemment que s'il était resté privé. On peut alors comprendre ceux qui font le choix de rester dans une superficialité événementielle, se bornant à raconter les activités de la journée, les musiques écoutées, les livres lus ou les films vus. Une large part des blogs, dans le sens initial et réducteur du terme (entrées courtes, nombreuses, et liens omniprésents), est résolument ancré dans cette très forte autocensure : rien ou presque de ce qui est personnalité profonde n'est perceptible.

L'équilibre entre une volonté de transparence envers soi et les amitiés virtuelles clairement identifiées, et celle de se protéger des anonymes de passage, plus ou moins bienveillants, peut être malaisé à trouver. Et selon les jours, oubliant une part des lecteurs, on peut être amené à exercer une autocensure variable, en toute incohérence.

Qu'elle soit volontairement très forte, ou que l'on tente de la réduire au minimum, l'autocensure est donc l'inévitable compagne de nos doigts lorsqu'ils sautillent sur le clavier. C'est un lubrifiant social qui permet à chacun de communiquer avec les autres sans heurts excessifs, tout en se préservant d'une insupportable transparence.

Et la première place va à...

Dans le cercle des diaristes francophones, plusieurs possèdent un sérieux talent d'écriture. Leur façon de décrire leur univers, leurs émotions, vient nous chercher par la main, sans que nous ayons seulement le désir de protester.

Par Eve

Malgré le fait que l'écriture d'un journal intime en ligne soit une aventure personnelle toute en introspection en même temps qu'en ouverture totale vers le monde entier, il se peut que le lecteur, pour qui en bout de ligne sont écrites ces lignes, désire féliciter le diariste, annoncer à tous que le journal qu'il suit tous les jours, depuis si longtemps, a une valeur distincte pour certaines raisons. Comment faire ressortir ces talents qui sont de plus en plus difficiles à cerner dans la vague de popularité que connaît le phénomène du journal intime en ligne ?

Il y a déjà eu des débats sur fond de polémique au sujet des concours mettant en scène des journaux intimes et leurs auteurs. Et toujours, la réponse a été qu'il serait désagréable de voir des journaux jugés, car personne ne mérite de terminer en deuxième place avec son journal intime, et que cela frôlait l'irrespect de vouloir analyser une oeuvre personnelle, soit presque la personne elle-même. Et le concours Bloggueur 2002 a jeté la goutte d'huile qui manquait pour allumer un brasier monstre : décidément, des récompenses pour les journaux intimes sont tout ce qu'il y de plus immonde.

Pourtant, le milieu des diaristes anglophones ont leurs Diarist Awards depuis quatre ans, au rythme de quatre fois par année. Et jamais un esclandre n'a ébranlé le processus qui s'affine d'année en année. Comment font-ils, me demanderez-vous avec curiosité ? Voilà leur manière de procéder.

  Procédé

Le grand principe qui régit ces récompenses, c'est que les plumes talentueuses qui captivent jour après jour un public se doivent d'être reconnues. Des catégories distinctes viennent mettre un peu d'ordre (traduction libre) :

Meilleure entrée
-  Meilleure entrée comique
-  Meilleure entrée sentimentale
-  Meilleure entrée dramatique
-  Meilleure réponse du public (récompense autant l'auteur de l'entrée, de quelque genre qu'elle soit, que la réponse du lecteur à cette entrée, qui démontre sa compréhension du diariste)
-  Meilleure entrée écrite en collaboration (réaction d'un diariste à un mot d'un lecteur, dans son journal)
-  Meilleure entrée concernant un événement à large spectre, idéalement auquel l'auteur participe
-  Meilleure entrée sur un événement en particulier, une passion, ou autre, qui démontre un désir de convaincre le lecteur et de le faire réfléchir
-  Meilleure entrée, toutes catégories confondues

Meilleur site
-  Meilleur journal
-  Plus belle plume
-  Plus beau design
-  Meilleure utilisation du multimédia
-  Meilleur nouveau journal (moins de trois mois)
-  Meilleur journal expérimental - différent, pour certaines raisons qui font que le journal intime est renouvelé dans son genre
-  Prix de reconnaissance (récompense une personne qui a apporté un quelque chose au monde du diarisme)

Toutes ces catégories sont positives et servent à reconnaître les meilleurs côtés du web diaristique. Le processus rend également le public, celui qui navigue parmi les journaux et celui qui écrit, responsable de la première sélection, période qui dure deux semaines. Il y a ensuite deux autres semaines où tous les sites qui ont été soumis sont proposés au vote. Un jury précédemment choisi au hasard parmi des intéressés voteront pour les gagnants. Et évidemment les sites qui obtiendront le plus de votes seront nommés gagnants.

  Et nous ?

Comment être dépité par une cinquième place dans ce genre d'événement ? Comment même trouver à se plaindre de découvrir des journaux intimes qui font image de trésors, et servent à populariser la qualité sur Internet ?

L'organisation de récompenses pour les journaux francophones servirait aux diaristes en ligne de plusieurs façons. Cela promouvrait une idée de qualité unilatérale dans les journaux. La découverte de nouveaux journaux serait facilitée. En tant que lecteur, nous pourrions faire connaître à davantage de personnes les diaristes que nous lisons et trouvons exceptionnels. La reconnaissance de ceux qui s'identifient par un travail considérable à leur journal serait perçue comme un moteur pour ces auteurs.

  Un jour...

Évidemment, il nous faudra briser la barrière qui se dresse qu'on ne peut porter de jugement sur un journal intime, en érigeant des critères stricts, propres au diarisme francophone, qui ne permettront pas de dénigrer, mais bien d'ajouter une brique à ce monde.

Il faudra également une équipe motivée à l'idée, qui sera intègre, apte à monter techniquement un tel projet, à le promouvoir, à le faire grandir et à démontrer à tout le monde que les journaux intimes en ligne sont parfois des oeuvres d'art. Intéressés ?

Pour une démarche qualité dans le journal intime

Au moment où la petite communauté de la CEV est agitée par des querelles qui portent aussi bien sur le fond que sur la forme que doit prendre un journal intime ne serait-il pas judicieux d'entreprendre une nouvelle démarche de réflexion et de définition qui s'appuierait sur une logique de qualité ? Quand de plus en plus d'entreprises de services sont séduites par une politique de qualité totale pour le plus qu'elle apporte, ne pourrait-on pas envisager d'entreprendre une démarche similaire pour appréhender les journaux intimes ?

Par Manu

La qualité, si elle est parfaitement connue, n'a à ma connaissance, jamais été utilisée pour l'élaboration d'une oeuvre ou tout autre nom que l'on voudra bien donner à un journal intime. Le premier travail consiste donc à déterminer les acteurs qui auraient un rôle à jouer dans une telle démarche. Faisons le parallèle avec les acteurs qualité d'un produit manufacturé. Pour simplifier, il y en a trois, l'entreprise, l'utilisateur et l'environnement économique, technique et social. Quels sont les objectifs de chacun de ces acteurs ? Pour l'entreprise, c'est la rentabilité, le développement et la satisfaction des employés, pour l'environnement c'est le respect des règles, des normes, de l'environnement et pour l'utilisateur c'est la performance, les délais, les coûts. Il est relativement aisé de faire le parallèle avec le journal intime. Pour tenir le rôle de l'entreprise, il y a le diariste, tandis que celui de l'utilisateur est tenu par le lecteur et l'environnement par lui-même.

Quelles sont les attentes qualité des acteurs ? Le diariste cherchera vraisemblablement à assurer la pérennité de son journal, à développer le nombre de ses lecteurs et à innover sur la forme ou sur le fond. Le lecteur, lui, cherchera chez le diariste des écrits intéressants (performants), des entrées relativement fréquentes, et un site ergonomique et esthétique. Quant à l'environnement, et bien le journal devra toujours se soumettre aux règles inhérentes à tout document public. La CEV fait aussi partie de l'environnement. Un journal qui souhaiterait faire partie de la CEV, dans une démarche qualité devrait donc appliquer scrupuleusement les règles de celle-ci.

Le deuxième point à aborder est celui de la gestion de la qualité, c'est-à-dire le processus à suivre pour atteindre la qualité.

Pour cela, il faut procéder en plusieurs étapes, la première étant bien sûr celle de la construction. Construire, c'est définir les critères sur lesquels va s'appliquer la politique qualité, c'est ensuite définir les règles à suivre, mettre par écrit, point par point, sans ambiguïté, tous les aspects du journal qui seront gérés. Pour un journal voulant être membre de la CEV, cela pourrait être par exemple la présence obligatoire du sigle de la CEV. Il est théoriquement possible d'appliquer la qualité sur la forme du journal, l'emploi de certaines couleurs, de certaines polices, sur la présence ou non de frames, aussi bien que sur le fond, les rubriques, les thèmes, le style d'écriture. Tout est autorisé en matière de qualité, du moment que ce soit écrit.

Après cette première étape, il faut mettre en place la qualité. C'est la deuxième étape. C'est au diariste de s'assurer que dans l'élaboration de son journal chacune des règles qui régissent la politique qualité sera respectée. Pour cela, il a besoin de bon sens - il ne faut pas oublier que la qualité, c'est avant tout du bon sens - . Il peut éventuellement s'aider d'outils qualité, que je ne nommerai pas parce que cela ne dirait sans doute pas grand chose à beaucoup de monde. Il doit aussi pouvoir compter sur l'aide extérieure et neutre de personnes, agrées qualité, qui auraient une fonction de conseil.

Troisième étape. Elle consiste à mesurer la qualité obtenue en comparant ce qui est fait avec ce qui devrait être fait. Pour ça, il faut qu'une personne ou deux, neutres, examinent systématiquement le journal en n'omettant aucune des règles qu'il doit suivre. C'est ce qui s'appellerait dans l'entreprise ou ailleurs, l'étape de certification.

Tout ça ne suffit pas. Pour réellement s'engager dans la voie de la qualité, il faut tenir compte de la durée. Il faut donc subir des contrôles fréquents pour contrôler l'adéquation entre le journal et les règles auxquelles il est soumis. Et d'engager des actions correctrices dans le cas contraire.

Voilà ce qu'impliquerait une démarche qualité pour un journal intime. C'est tout à fait réalisable. Par contre, je suis beaucoup moins certain que cela soit souhaitable. Cela risquerait de transformer ce qui était jusqu'à présent une oeuvre en ouvrage.

Au-delà de cette date... Votre journal n'est plus visible

Nos journaux webs sont-ils désignés pour nous survivre sur la Toile quand on les abandonne ?

Par tehu

Drôle de question. Il n'est pas évident que chacun se la pose au moment de commencer une publication. Il y a ceux qui ont des réponses tranchées : un journal web n'est pas un mausolée en ligne. Ils vivent en symbiose avec leur journal, il est logique que ce dernier suivra le retrait de son maître.

D'autres ont des avis plus nuancés. Oui mais... Et surtout qui le lira ? Il faut bien avouer qu'un site-journal laissé à lui-même a des chances limitées de survie : il peut facilement devenir victime de l'oubli (par exemple le nom de domaine qui arrive à expiration) ou des vicissitudes techniques (changement de serveur, arrêt des hébergeurs gratuits).

Pour prendre deux exemples datant de 1997 :

-  Commencé sur Mygale, le journal de Zabou [1]. Mygale fut racheté par Multimania, lui-même absorbé par Lycos. Aujourd'hui il ne subsiste plus qu'une façade du site.
-  Le journal de l'NRV [2], de Ch. Ono-dit-Biot. Premier journal français remarqué par les médias. Il resta quelques saisons chez son fournisseur d'accès avant d'être balayé l'année dernière à l'occasion d'une refonte du site parent.

  Né pour durer ?

Car la Toile est un media jeune, et sur bien des aspects on manque de références. Pour filer la métaphore incongrue, la maintenance d'un journal en ligne et d'une centrale nucléaire ont un point commun : on ne connait pas les effets à long terme du rayonnement.

Combien de temps "dure-t-on" sur le Net ? On considère généralement des dates symboliques dans la tenue d'un journal : 1 mois, 4 mois, 1 an... Mais le grand saut, le time warp semble difficile à franchir, tourne autour de 5 ans.

Ce qu'on ignore souvent, c'est que les archives accumulées peuvent finir par littéralement peser sur le moral d'un auteur. Elles prennent de la place, sont peu visitées, ou évoquent une période que le diariste considère comme "révolue". Autant de motifs pour certains à créer ailleurs un nouveau journal, ou tout simplement à partir sans laisser d'adresse.

Premier exemple : le québécois J. Lesage tenait son journal [3] depuis fin 1997. Comme chaque année, il avait annoncé une suspension estivale. Pour finalement tout retirer en septembre.

The Online Diary History Project est un site américain qui recueille les témoignages des premiers diaristes en ligne à partir de 1995. Un rapide sondage montre qu'une faible moitié des journaux est encore accessible. Les diaristes "actifs" y sont encore plus rares.

L'exemple le plus intéressant est celui de Carolyn Burke. Elle fut la Prima Donna des diaristes sur le Net, et elle manquait rarement une occasion de souligner son ancienneté. Seulement, depuis quelques mois, son site renvoie une page blanche, sans explication apparente.

  Le Web se prête-t-il à l'archivage ?

Tout cela n'est pas très optimiste, on le concède. A quoi bon maintenir un site, vérifier le code HTML et la cohérence des liens, si on est quasi certain que ces pages seront ignorées puis oubliées dans quelques années ?

Le problème vient peut-être de la manière dont nous nous représentons cet espace virtuel, supposé infini. Et d'ailleurs la métaphore du Web (la Toile) est-elle encore fondée ? Peut-on parler d'un Web sédimentaire ? En tant que modèle de représentation, on pourrait imaginer une pyramide inversée ; avec en surface un bouillonnement volcanique de pages éphémères et (rapidement) obsolètes [4]. Peut-être que, dans 15 ans, on considèrera comme une curiosité de remonter une page "fossile" générée en 1995.

Le Web, qui n'est -rappelons-le- qu'un sous-ensemble de l'Internet, n'a pas été adapté pour l'archivage. Les pages 404 (absence de document) sont considérées comme un mal nécessaire. L'information est disponible instantanément, mais on ne garantit pas sa permanence.

Certes, il y a des initiatives à grande échelle, comme the Wayback Machine. Beaucoup d'usagers semblent ignorer que ce qu'ils considèrent comme leurs informations personnelles est reproduit sur les serveurs d'un organisme privé [5]. L'archivage des sites demeure tout de même aléatoire, devant la masse de l'information.

À un niveau plus "humain", et pour rester dans le monde des diaristes francophones, on peut signaler l'existence d'é-phémér(id)es [6], qui cherche à garder un lien en surface avec les journaux clos ou abandonnés.

  L'avenir ?

Même s'il est louable que les ex-diaristes laissent leur journal ou blog en ligne, force est de constater que la relecture à l'écran devient vite fastidieuse. L'avenir -pourquoi pas ?- passe par l'évolution des outils de blog : ils pourraient proposer de sélectionner et reformater les archives dans des formats variés (prêt-à-imprimer, livre électronique...).

Qui sait ? Il reste un service à inventer, en parallèle du Web. Et peut-être qu'un jour, un journal web agitera un fanal en direction des robots camion-balai. Un protocole amical pour signifier : "Ma croissance est stoppée. Mon créateur ne s'occupe plus de moi. Merci de me dupliquer quelque part."

[1] Tout pour être heureuse, anciennement le Journal d'une pure jeune fille

[2] ancienne adresse : http://www.easynet.fr/nrv/

[3] ancienne adresse : http://cafe.rapidus.net/jlesage/

[4] Plus de 70% des pages créées ont une durée de vie inférieure à 4 mois - tiré de l'article d'Emmanuel Hoog, paru dans le Monde : Internet a-t-il une mémoire ?

[5] The Internet Archive fournit les explications nécessaires pour référencer (ou enlever) un site.

[6] Maintenu par Abe et Marylène, é-phémér(id)es recueille également les témoignages des diaristes

Un caillou jeté dans le reflet de la lune - Conversation avec L'Insomniaque

Marylène a proposé à l'insomniaque une interview sous forme de conversation par e-mail. L'ensemble que vous allez lire s'étale donc sur plusieurs semaines. (ndlr)

Par Marylène

Elle commençait ainsi :

Ma plus grande peur : Ne pas être lue. Eh bien, je ne suis pas lue présentement. Si personne d'autre que moi ne lit au moins je serai écrite. J'ai donc décidé d'écrire vrai. Mais écrire vrai ne signifie pas confession. [1]

Aujourd'hui, cette phrase lui va toujours aussi bien !

*M* Alors l'Insomniaque, 3 ans que tu nous tends un miroir quand tu t'observes. Un miroir très elliptique au début, et aujourd'hui de moins en moins... mais écrire vrai ne signifie pas confession te va toujours aussi bien ! Est-ce une volonté de ta part, quelque chose que tu as décidé en commençant ton journal, ou bien ce jour-là as-tu eu l'intuition de la façon dont tu aimerais écrire ? Et d'abord, cette phrase, te souviens-tu l'avoir écrite ?

*L* Si je me souviens d'avoir écrit cette phrase ?... Oh oui... D'ailleurs il m'arrive parfois de la relire, juste pour voir où j'en suis par rapport à cet état d'esprit qui m'habitait à l'époque. Je te dirais que cette volonté de "non-confession" est avant tout reliée à ma personnalité. Je la qualifierais presque de pudeur. D'abord un certain cadre imposé, je ne pense pas que de tout dire est nécessairement plus révélateur. Je crois même qu'on peut se noyer dans les descriptions du quotidien. Et puis le poids des mots... Je pense que les mots sont puissants et que quelquefois ils nous échappent... Dans une perspective "psychologique" , je te dirais même que dans une certaine mesure ils me font parfois un peu peur.. Dans le sens où il m'arrive de craindre un peu ce miroir et ce que je peux y voir. Compliquée l'insomniaque ? Oui sans doute un peu... Mais surtout hypersensible. Alors je me soigne et je fais attention à moi. On peut donc dire que parfois je suis elliptique volontairement et égoïstement.

Dans une perspective plus terre à terre, je te dirais aussi que je reste très réservée par rapport à certains domaines parce que je suis aussi lue par des gens de mon entourage. Je me souviens d'une entrée en mars ou avril 99 dans laquelle je relatais un repas familial. Ma mère m'en parle encore aujourd'hui. Pourtant j'étais restée très douce mais elle n'avait pas accepté l'image que je dépeignais d'elle. Depuis j'ai changé d'url et je pense qu'elle a perdu les traces de mon journal mais je reste toujours prudente. Il en va de même pour certaines autres personnes de mon entourage. Il y a aussi quelques relations que j'ai développées à partir de mon journal Des gens que j'ai connus par ce biais et qui sont devenus des amis dans la vie terrestre. Inutile de penser que ces gens vont arrêter de me lire parce qu'ils font partie de ma vie. Malgré tout je dirais que j'arrive de plus en plus à faire fi, jusqu'à un certain point, de ces regards et que je me sens de plus en plus proche de ce qui est essentiel pour moi dans mes écrits. J'avoue que la forme du blogue a contribué grandement à cet état de fait de par son instantanéité et sa simplicité. Un dernier mot peut-être concernant cette crainte de ne pas être lue.. Et bien, je l'ai dépassée. Je jongle maintenant avec l'accoutumance au plaisir d'être lue. J'avoue que j'aurais bien du mal à m'en passer.

*M* L'écriture sous contrainte permet souvent de dépasser ce qu'on aurait pu écrire spontanément. Le journal en ligne subit déjà la contrainte du regard des autres, qui te conduit à l'ellipse si j'ai bien compris, et donc à une part du charme de ton écriture en fait ! Quant à la forme blogue... son avantage dis-tu : l'instantanéité... il y a beaucoup à en dire ! je crois que non maîtrisée, elle peut conduire à un quotidien déployé sans... je vais utiliser un gros mot : sans âme. Penses-tu que le fait d'avoir tenu longtemps un journal en ligne de forme "classique" puisse t'aider à maintenir une structure cohérente à tes Insomnies Chroniques ?

*L* Penses-tu que le fait d'avoir tenu longtemps un journal en ligne de forme "classique" puisse t'aider à maintenir une structure cohérente à tes Insomnies Chroniques ? Oula Marylène... C'est tout un compliment que tu me fais là :-) mais je ne peux l'accepter honnêtement... Parce que je trouve justement que cette cohérence tend à disparaître. Je ne sais pas non plus si c'est une bonne chose. Mon blogue est un espace d'écriture plus libre, moins guindé, je m'y permets plus de disgressions mais en toute sincérité il m'arrive de regretter un peu La Page de l'insomniaque dans laquelle je m'efforçais de suivre une ligne directrice, la plupart du temps... Concernant le quotidien sans âme auquel tu fais allusion, eh bien je vais te faire une confidence : Je t'avouerais que je suis beaucoup trop rêveuse (ou pensive, c'est selon) pour m'y attarder. Je ne parle que de ce qui me touche au moment où ça me touche. Sans doute le jour où je deviendrai plus "quotidienne" sera celui où ma vie "terrestre" sera simplifiée... Finalement, disons que si je veux vraiment caractériser la différence entre le journal traditionnel et l'outil du blogue, je dirais que le journal était plus "écrit" alors que sur le blogue je "m'exprime" plus. J'ai souvent le sentiment que les Insomnies Chroniques n'ont ni fin ni commencement, c'est comme une page de notes. Parfois la formule est heureuse et d'autres fois moins. En fait je rêve souvent à une formule mitoyenne qui réunirait et la spontanéité et la structure cohérente. Mais je n'ai pas encore trouvé, ça viendra peut-être d'ici trois autres années ... ;-)

*M* En tant que lectrice de journaux, je peux dire que j'aime beaucoup quand un reflet, celui proposé par l'auteur, se déstructure... le temps d'un instant de rien comme nous en vivons tous les jours. Il apparaît alors en quelques mots des failles monumentales, qui sont comme autant de faiblesses, de choses que la personne ne souhaite pas montrer a priori... un trésor pour le lecteur ! La cohérence... est-ce qu'un journal, qui est supposé être un reflet d'une personne, peut être cohérent ? Cohérent dans la démarche ? le style ? et la durée ! À mon avis, les façades trop lisses sont un ennui pour l'oeil, une fois passé le vertige et la contemplation. Et pour les journaux, elles sont peut-être la preuve que l'auteur ne se livre jamais... En tant que lectrice, les accrocs à la cohérence te gênent-ils, ou au contraire te donnent-ils un petit coup au coeur en passant et donc l'envie d'en savoir plus ? Et côté auteur... est-ce à ces moments-là que les mots te font peur ? ou alors lorsque tu as besoin/envie d'exprimer quelque chose en particulier, et que tu te sens tourner autour de la porte sans arriver à l'ouvrir ?

*L* Vu de cet angle je suis d'accord avec toi en tant que lectrice, les failles sont beaucoup plus révélatrices que l'écriture structurée et contenue. Quand je lis quelque chose de très léché, je suis habituellement d'abord séduite, voire envieuse... (hou c'est laid) mais l'expérience m'a démontré que je me lasse plutôt vite des jolis mots et des belles phrases trop bien structurées. C'est étrange mais il m'arrive de me sentir manipulée par ce type d'écriture et je me surprends à me demander ce qu'il y a dessous. Je ne considère dès lors plus ces écrits comme "intimes" et mon intérêt diminue. Ceci dit, j'apprécie quand même certains journaux bien polis mais ils me touchent souvent un peu moins.

Du point de vue de la diariste, je dirais que je vis les choses tout autrement. Je ne suis pas confortable avec l'écriture trop directe ou trop crue, peut-être à cause de ce que j'y aperçois ensuite mais surtout parce que j'aime les nuances que l'on glisse entre les mots et qui reflètent ce doute permanent qui fait partie de moi.

On a souvent qualifié l'insomniaque d'allusive et ce n'est pas faux mais je dirais surtout que je ne nage pas bien dans les certitudes et que je me heurte souvent aux lignes droites. Ça fait partie de moi et je trouve tout à fait sain que ça se retrouve à travers ce que j'écris.

Cependant à certains moments j'ai besoin de déposer les mots sans les peser et les soupeser. Particulièrement quand je vis quelque chose d'intense ou de difficile. Lorsque j'arrive à l'écrire c'est une sorte de soulagement, un pas de plus pour moi.

*M* Ça fait partie de moi et je trouve tout à fait sain que ça se retrouve à travers ce que j'écris. Tu dis là en quelques mots ce que je redoute le plus de mon côté : que mes bidouilles ne me ressemblent pas... l'horreur ! Le jour où ça m'arrivera et où je ne serais pas capable de redresser la barre : j'arrête ! et, pour en revenir à l'aspect page de notes, ou ni commencement ni fin que tu évoquais, je trouve ça plutôt sain et normal ! Nous ne sommes pas prévisibles, nous ne sommes pas d'un bloc, tout simplement parce que nous sommes vivants... et que je crois qu'il y a deux façons essentielles d'utiliser son journal : se poser une question pour essayer d'y répondre, ou alors, pousser des cris de vie de temps en temps. Je ne crois pas que l'on puisse se cantonner à l'une ou l'autre forme sans risquer de perdre l'intérêt de "la démarche". Crois-tu que cela pourrait t'arriver un jour, de ne plus te sentir sincère ? Et ce jour-là... tu prends 15 jours de vacances illico et tu vois après, ou tu écris un billet pour (t')expliquer ce que tu viens de découvrir ?

*L* Tous les éléments de cette question dansent dans les airs et dans leur folle farandole il y a un fil.... D'abord je pense qu'il est impossible qu'une écriture authentique ne me (nous) ressemble pas. Elle peut exprimer des parties de soi moins évidentes mais jamais me (nous) trahir. Je crois. L'erreur selon moi, serait plutôt de penser que le diariste (ou le blogueur) est cantonné à son expression écrite. L'insomniaque fait partie de moi, elle en a toujours fait partie et n'est surtout pas née un beau soir de mars 1999... Seulement avant elle se taisait. J'aime beaucoup les deux façons essentielles que tu décris pour utiliser son journal. Parfois c'est un lieu de réflexion, un outil pour avancer et à d'autres moments (dans mon cas de plus en plus), un cri de vie. Et je pense que de ne pas reconnaître cela serait justement une trahison. Vouloir faire un journal trop lisse et trop "organisé" ne me ressemblerait plus. Et si je sentais la sincérité m'échapper un jour ? Je crois que j'aurais envie de prendre une pause pour réfléchir, ensuite, si j'y arrive, m'expliquer pour mieux poursuivre.

*M* Je crois que le temps est venu de quitter l'ambiance feutrée des Insomnies Chroniques pour se tourner vers ce qui se passe autour des journaux ces jours-ci, je veux parler bien sûr de la CEV. Même si je n'en fais pas partie, je t'avoue que j'ai du mal à ne pas y penser. Lorsque j'ai commencé à m'intéresser aux journaux en ligne, il y avait encore trois regroupements, la SDV (qui était en travaux et qui l'est restée jusqu'à sa fermeture), le Cercle (qui n'était pas encore abandonné, mais qui paraissait bien terne par rapport au troisième) et la CEV. En arrivant comme ça, trois "anneaux" qui ne paraissaient pas avoir de distinction entre eux, autres que les fonctionnalités, c'était assez perturbant ! Les as-tu vu naître et mourir ? En quelques mots, est-ce que tu peux nous retracer cette histoire avant que nous nous penchions vers ce qui me taraude là, maintenant : Est-il encore possible à la CEV, sous sa forme actuelle, de représenter l'ensemble des journaux (surtout que ce nombre ne peut qu'augmenter) ? Découper tout le monde en rubriques serait réducteur pour les écrivants comme pour les lecteurs, mais crois-tu qu'il y ait le choix ?

*L* Pas facile de m'exprimer à ce sujet en ce moment. J'ai dû prendre un temps de recul et de réflexion de peur que ma réponse s'appuie sur des émotions trop vives. Là ça va.

À l'époque où j'ai découvert les journaux intimes sur le web, Le Cercle des Jours Écrits et Imagés représentait LE regroupement. Les diaristes d'alors n'étaient qu'une poignée de personnes qui s'étaient regroupées pour mieux se cerner, je dirais. C'était en 1998 et écrire en ligne, qui plus est, parler de soi, était une activité suspecte, au mieux marginale. En découvrant ce regroupement de gens qui partageaient mon vice, l'écriture intime, il m'a paru logique et naturel d'y adhérer moi-même. Le Cercle était une liste de journaux que je lisais pour la plupart et je n'avais aucun esprit critique à son égard, juste de la reconnaissance qu'il existe et qu'il m'ait permis de découvrir d'autres univers.

Peu après la mise en ligne de la Page de l'insomniaque, La Société des Diaristes Virtuels (SDV) a vu le jour. Je pense que c'était quelque part en 1999. C'est là que je commençai à percevoir les tensions et les polarisations. Diariste naïve et idéaliste, je n'avais pas envie de m'impliquer dans cette danse mais j'ai tout de même inscrit mon journal à cette liste en me disant qu'elle me permettrait sans doute de rejoindre d'autres lecteurs. Malgré son état de chantier perpétuel, la SDV se révéla quand même dynamique et c'est par son biais que je commençai à entrevoir la possibilité d'une implication communautaire au sein d'un regroupement de diaristes. Je dirais donc que c'est la SDV qui m'a permis de passer d'une perception individualiste à l'idée de communauté. Idée qui demeurait cependant mitigée puisque je percevais toujours l'écriture comme un acte individuel et que la crainte que ma démarche soit influencée par une ou des allégeances me mettait mal à l'aise.

En mars 2000, la Communauté des Écrits Virtuels (CEV) vit le jour et dès le début je sentis la sincérité et le dynamisme de ses administrateurs. Je me surpris même à penser que, s'il n'avait aucun bénéfice direct sur ma démarche d'écriture, un regroupement de diaristes pouvait avoir une raison d'être pour la démarche collective. J'étais fière d'être membre de la CEV et même si mon implication était timide, je ne ressentais pas moins cette appartenance de façon authentique. Je crois que la CEV a permis de rendre accessible et possible l'écriture en ligne à beaucoup de gens qui avaient besoin de s'exprimer et que la prolifération des journaux fut une bonne chose parce que dorénavant il n'y avait pas une unique façon de diariser mais plutôt autant de manières que d'individus. La CEV a offert une visibilité à cette activité et elle a permis à des gens de s'impliquer pour faire avancer notre connaissance de ce phénomène. Je n'ai jamais aimé tous les journaux inscrits, mais la CEV m'a permis de faire des découvertes que je n'aurais pas faites autrement.

Les récentes dissensions au sein de la CEV ont mis un bémol à mon appréciation et surtout à mon adhésion. Le recul que j'ai pris avait deux justifications. La première, ne pas perdre contact avec le sens de ma démarche, c'est-à-dire écrire et m'exprimer pour grandir ET parce que j'aime les mots. La deuxième est surtout la prise de conscience de l'importance de l'ego pour celui ou celle qui écrit. Quand on parle au je (même s'il est plusieurs ;-), l'ego prend forcément beaucoup de place. Ce n'est pas mal en soi, peut-être qu'ailleurs dans sa vie n'en prend-on pas assez... ? Mais ceci amène une difficulté à revenir au nous car un ego exposé devient très fragile. Je suis consciente de cette situation, et je pense que de s'exposer aide à grandir, mais là où je décroche, c'est quand ces heurts viennent bloquer la démarche initiale, pour moi c'est malsain.

Ce que je dis là m'amène à conclure que les regroupements de diaristes en tant que communautés sont très risqués. Peu importe comment on classera les différents journaux, sur quels critères on s'appuiera, il y aura toujours danger de rupture. Au grand bal des egos il y a peu de place pour la solidarité. Ça m'attriste beaucoup mais c'est ce que je constate. Il vient un temps où l'on doit décider si notre écriture doit nourrir l'intérieur ou l'extérieur, j'ai fait ce choix récemment, je suis bien dans cette décision même s'il est clair que je perds autant que je gagne.

*M* Eh bien Lou, merci beaucoup pour tes réponses si sincères à mes drôles de questions. Je me rends compte qu'il s'est agi plus d'une conversation que d'une interview, et qu'il n'a peut-être pas toujours été facile pour toi de réagir, ou de rebondir à mes remarques. J'ai beaucoup appris en tout cas, ce fut un plaisir !

*L* Un plaisir bien partagé chère Marylène. J'aurais volontiers continué cet échange. Tu sais que moi aussi j'ai appris parce que tes questions me forçaient à réfléchir sous des angles que je n'aurais pas choisis moi-même. Tu as raison quand tu dis que ça n'a parfois pas été facile de répondre, surtout de prendre position, mais la facilité n'était certes pas le but du jeu. Merci de m'avoir entraînée sur ce sentier et à bientôt !

les Insomnies Chroniques : http://insomnieschroniques.free.fr/

[1] Première entrée de La Page de l'insomniaque