Les journaux que l'on conserve

What is a diary as a rule? A document useful to the person who keeps it,
dull to the contempory who reads it, invaluable to the student,
centuries afterwards, who treasures it!

Ellen Terry


Mais après?

La grande question... Que deviendra mon journal? Le relira-t-on vraiment?

Je peux personellement vous dire que je le relis rarement, car il m'est nécessaire d'avoir du recul afin d'apprécier mon vécu. Lorsque mes journaux auront amassé suffisament de poussière, que les pages en auront jauni et que je ne me souviendrai plus de ce qui y est consigné, j'y reviendrai probablement avec plaisir. Mais pour l'instant il est relativement peu intéressant de me rapeler ce que j'ai fait l'année dernière.

Je me demande évidemment ce qu'ils deviendront lorsque je n'y serai plus. À ce jour, les bibliothèques ne se proposent pas encore de conserver les journaux de tous et chacun pour des raisons pratiques évidentes. En attendant, certains envisagent de détruire leur journal, d'autres de le léguer à un ami, un parent. Certains espèrent même le léguer aux archives nationales... Pourquoi pas? Si ce n'est pas tous les journaux intimes qui méritent d'être publiés, je crois fermement que tous méritent néanmoins d'être précieusement conservés. En Europe, on retrouve déjà quelques centres d'archives autobiographiques qui permettent aux diaristes de tout acabit de déposer le précieux résultat de leurs longues années d'écriture.

L'idée de voir tous mes cahiers amassés amoureusement au fil des années, compagnons de route extraordinaires, perdus à jamais sans que personne, à son tour, ne les entretienne comme je l'ai fait, me brise le coeur. On peut toujours les laisser à sa descendance, si on en a une, mais bien souvent les journaux intimes des aïeux ne lui apparaissent pas très inspirants et lui parlent peu.

Fait intéressant, je me rends compte que bien des diaristes ne pensent pas vraiment à la question, ou ne s'en soucient carrément pas. Peut-être que je questionne des diaristes trop jeunes; à vingt ans, on ne pense pas à ce genre de choses. Et puis, le léguer semble être une solution valable et tout à fait raisonnable. Moi, je me pose probablement trop de questions. Et si les légataires s'en fichaient bien de mon journal? S'ils le lisent et s'en moquent, le laissent dans le grenier à la merci des souris et de la moisissure? S'ils l'oublient et le laissent dormir sans que jamais, jamais personne ne l'ouvre à nouveau?

Non, décidément, je ne voudrais pas de ce sort pour mon pauvre journal.

Et puis, une fois légué, la question du journal n'est pas tout à fait réglée. Qu'arrivera-t-il lorsque mes légataires mourront à leur tour? A qui le laisseront-ils? En supposant qu'ils trouvent quelqu'un susceptible d'être intéressé par mon journal, ce sera selon toute vraisemblance quelqu'un que je ne connaîtrai pas. Je lui serai probablement indifférente, une grande tante dont il a vu des photos sans s'émouvoir outre mesure. Comment croire qu'il tiendra suffisamment à mon journal pour lui assurer l'avenir qu'il mérite?

Parce qu'un journal a de toute évidence un avenir. Le dernier souffle de son auteur, s'il signifie la fin d'une vie, ne signifie pas que le journal est mort. Le journal, selon moi, continue de vivre parce qu'il est toujours porteur de cette vie. C'est là que réside toute sa beauté et toute sa noblesse. Il deviendra peut-être le trésor d'une famille attristée, ou même celui qui ne connaissait pas son auteur, mais qui se reconnaît dans ses lignes, ses mots et ses pages. Il trouvera peut-être asile sur les tablettes d'une bibliothèque ou d'un centre d'archives, là où les gens feront de lui un témoin, une fenêtre ouverte sur une époque révolue...

Mais après? La question continue donc de m'angoisser...


Et vous? Que ferez-vous de votre journal?