Lu sur le web

Man has to be willing to show himself.
Sidney Jourard

Le nombre des journaux disponibles en ligne croît à un rythme exponentiel chaque mois, les listes et les webrings se succèdent, les listes de discussions reliées au sujet sont plus nombreuses et plus vivantes que jamais. Les diaristes web forment maintenant une petite communauté très dynamique dont le nombre d'initiatives va croissant.

Sacrilège? Exhibitionnisme? La mode du vécu, descendante des reality shows américains, des biographies à scandales...? Peut-être s'agit-il là de la même envie, d'un côté de devenir une célébrité à peu de frais, de l'autre, d'un peu de sensationnalisme réaliste. Peut-être s'agit-il également d'une envie de partager. Les diaristes sont pour la plupart des gens solitaires, mais leur écriture témoigne d'une envie commune; cette envie de se dire, de se raconter, de communiquer son être. Au départ, cette communication est sans issue. Devrait-elle le rester?


Pourquoi?

Les types rationnels, dont je suis, ont besoin de comprendre. J'avoue que jusqu'à présent, je n'ai guère trouvé de réponse qui me satisfasse. Dans bien des cas, le genre même du journal ne subit pas de modification majeure, du moins dans la forme, lors de son passage au web: on a beau ajouter de l'hypertexte, des cadres ou du multimédia, un journal reste un journal. Le journal papier est encore plus versatile au fond; il permet le dessin, le collage, la page peut être divisée comme bon nous semble...

L'hypertexte permet peut-être une naviguation particulière, mais rien n'empêche le diariste de jouer avec les couleurs, de renvoyer à certaines entrées ou d'ajouter des pages en les collant ou en les brochant. Il s'agit au fond toujours d'un média écrit (un fichier HTML restera toujours un fichier texte) qui n'appelle pas de modification directe sur les modalités de l'écriture.

De leur propre aveu d'ailleurs, plusieurs diaristes web disent ne pas ressentir de modification majeure de leur écriture dûe à l'hypertexte. Ils disent écrire de la même manière, web ou pas, du moins pour la forme.

Alors pourquoi choisir le web? Les même raisons reviennent souvent: le défi de se livrer au regard de tous, d'en faire une sorte d'expérience afin de voir si on le supportera, si ça changera quelque chose au processus d'écriture, le plaisir de partager, de partager sa création, sa personne, l'interaction avec les lecteurs, la discipline que cela apporte... Les raisons varient avec les diaristes mais elles demeurent à la base toutes les mêmes.

On m'a dit un jour qu'il ne fallait pas chercher de raison. Un peu comme toute oeuvre d'art, le journal est de trop, il ne s'explique pas, du moins pas avec des critères rationnels et justifiables. En y réfléchissant bien, on trouve au fond plus d'arguments contre le journal en-ligne que pour; c'est risqué de s'offrir en pâture à la face du monde, certains diaristes l'ont d'ailleurs découvert. Cela demande certes une grande discipline et un certain travail. Un journal personnel peut être aussi bâclé qu'on le souhaite et personne ne trouvera rien à redire. Mais un journal web?

Certains diaristes, il faut l'avouer, ne semblent pas se poser la question. A l'instar des pages personnelles qui sont de plus en plus faciles à créer et à installer sur le réseau, les journaux web pullulent parce qu'ils sont possibles. L'écriture n'est pas toujours soignée, pas plus que la mise en page, et le contenu fait cruellement défaut. Certains journaux ne semblent pas avoir une motivation très poussée; on était curieux, tout le monde le fait, on aimerait avoir un site mais on ne sait pas de quoi parler, on a envie de parler de soi à la face du monde... La plupart des journaux de ce genre n'atteindront jamais l'âge respectable -pour un journal en-ligne du moins- d'un an. Diane Patterson a d'ailleurs écrit un article au titre éloquent sur ce type de journaux, Why web journals suck.

Il y a certes d'autres diaristes qui sont là pour rester; déjà, certains journaux ont plus de deux ans, d'autres entament même leur quatrième année d'existence. Certains journaux web sont très pensés et leurs raisons très poussées. La chose demeure subjective et livrée au jugement du lecteur et du diariste, mais il demeure que ces derniers journaux sont bien souvent les plus intéressants -et les plus rares, malheureusement.

Ecrire pour être lu

C'est probablement l'aspect que l'on note en tout premier lieu: le journal web est public.

La plupart des diaristes web avouent leur plaisir d'être lu. Le journal est une forme intime, d'accord, mais constitue néanmoins une forme de création et donc, d'une certaine manière, un spectacle. Certains diaristes se font presque humanistes et expliquent ce besoin d'être lu par une envie de partager leur expérience. «Les vies universelles» ainsi exprimées sur le web visent davantage à faire évoluer le lecteur vers de nouvelles connaissances de la vie qu'à exhiber son intimité au vu et au su du réseau -c'est du moins ce que certains semblent prétendre...

Le public du journal intime tel qu'on le connaît est son auteur lui-même. Ce public en est un de tolérance et de compréhension du sujet. Or le public du web risque d'en aller tout autrement. Et la critique, surtout dans le cas de récits de vie, est parfois difficile à accepter. Le diariste a donc tout intérêt à modifier son écriture, à censurer certaines parties, à en travailler d'autres. Certains le font; d'autres pas.

Certains diaristes sont si enthousiastes à l'idée d'avoir enfin un public qu'ils vont même jusqu'à proposer à leurs éventuels lecteurs de les aviser par courrier électronique, via une liste d'envoi, de la publication de nouvelles entrées. D'autres diaristes tiennent leur journal pour garder le contact avec des amis éloignés et écrivent expressément pour ce public bien connu.

Paradoxalement, certains diaristes répugnent à penser que le journal pourrait devenir célèbre ou s'attirer un grand nombre de visiteurs. Je crois que cela s'explique par une certaine peur de perdre le contrôle; une dizaine de lecteurs, ça n'a rien de menaçant... Le courrier électronique aidant, ils finiront par se faire connaître, par devenir des amis et le diariste sait presque quotidiennement à qui il écrit. Lorsque le journal gagne en popularité, le nombre de visiteurs augmente et du coup ce que le diariste espérait au départ finit par l'effrayer. Souvent, quelques critiques négatives s'ajoutent à ce traffic; le diariste se sent menacé, sur la défensive. Parfois, c'est suffisant pour le convaincre d'arrêter la rédaction du journal.

Des questions de discrétion sont soulevées par une telle écriture. Un journal ne parle pas que de celui qui l'écrit, mais de tous ceux qui l'entourent. A-t-on vraiment envie que ses connaissances sachent ce que l'on pense d'Un-Tel? Et si Un-Tel lui-même venait à lire nos montées de lait à son égard?

Certains diaristes ont prévu le coup et demandent, sur leur page d'accueil, que ceux qui les connaissent personnellement passent leur chemin. C'est faire preuve d'une grande confiance à l'égard de la nature humaine! D'autres diaristes n'ont pas su survivre à la critique; certains commentaires virulents à l'égard des opinions de l'auteur, que ce soit de la part de connaissances ou de visiteurs inconnus, ont convaincu certains diaristes web de s'arrêter de publier.

Pourtant un journal web est aussi une façon d'être anonyme -en procédant par pseudonyme, ce que la majorité font. Qu'importe si votre tendre moitié lit vos secrets le plus intimes sur Internet, si elle ignore qu'il s'agit bien de vous? Toutefois, qu'on ne se leurre pas; l'anonymat total, complet, est un leurre. On finira bien par faire le lien si vous mentionnez ce que vous avez fait dans votre journée, si les états d'âme racontés ressemblent un tant soit peu aux vôtres. Il deviendra difficile de ne parler ni travail, ni copains, ni amours. Nul n'est une île et vous finirez bien un jour par parler de ce qui vous est extérieur...

Et ce jour-là, vous risquez fort d'être démasqué...

Personnellement...

J'avais l'habitude de publier certains extraits de mon journal sur ce site -j'ajoutais même quelques extraits rédigés expressément pour mon mini journal web, de temps en temps. J'ai abandonné cette idée récemment; l'idée des journaux web a quelque chose de séduisant, mais elle est en même temps trop chargée d'un sens qui me fait hésiter. J'avais envie au départ, d'être lue; c'est bien souvent la raison première du journal web. «Partage», «interaction», «expression»; tous de jolis mots qui cachent une même idée, ce besoin d'être lu, connu, apprécié.

Je me disais également que ce serait intéressant pour une fois de tenter de ne pas penser à ce que les autres diraient; me forcer à publier intégralement mes états d'âme m'aiderait peut-être à ne plus me soucier autant du regard des autres. Pourtant, chaque fois, le contraire se produisait. Chaque fois, les doutes et les hésitations l'emportaient sur ce désir, ce besoin de franchise. Chaque fois, je finissais par regretter mes envolées intimistes, au point parfois de me censurer et d'effacer carrément l'entrée trop personnelle.

À quoi bon, donc? À quoi bon écrire si ce n'est pour être franc? Mais la franchise totale, sans limites, n'a probablement pas sa place sur le web. Elle est tout à fait dans son élément sur le papier mais ici, au vu et au su de tous...? Je ne suis pas sûre que ce soit pour moi. D'autres le font, et avec brio, et je les admire. Mais je préfère encore tout dire en secret qu'en dire la moitié à la face du monde.

Ce n'est au fond qu'une question de priorités. Les diaristes web ont moins besoin de se comprendre que de partager. Ils veulent être, mais pas dans cette chambre à soi . Ils ont besoin que d'autres sachent qu'ils existent, que d'autres comprennent ce qu'ils vivent. Et ils ont le courage de leurs mots, et je les admire. Mon journal est intime dans tout ce que le terme a de secret et de pas racontable. Il est ennuyeux et il se répète. Il est parfois confus, dense et complexe. Il est parfois plus anecdotique que ma liste d'épicerie. Je ne peux pas le donner à tous. J'ai essayé. Mais mon but n'est pas de raconter et de partager; je vise plus l'introspection que le partage, plus le dialogue intérieur que l'expression à la face du monde. Comme je le disais, c'est une question de priorités...

Et puis soyons francs, les journaux en-ligne sont à la mode. Tout le monde veut son journal, mais j'ai parfois l'impression qu'on ne saisit pas exactement l'importance que cela peut avoir. Le web n'a rien d'intime. Le web, c'est une publication pure et simple, au même titre que n'importe quelle publication papier. Est-ce son statut virtuel, si facile à atteindre, qui le rend si attirant? Je l'ignore. Mais le seul fait que c'est possible de le faire semble convaincre bien des gens de s'y adonner. Plusieurs le font très bien, avec un effort et un travail qu'on ne peut qu'admirer. Ce n'est malheureusement pas le cas de tous et les journaux bâclés sont de plus en plus nombreux... Les mises à jour trop rares, les graphiques vite faits, l'orthographe négligée et surtout un contenu très, trop, mince... Appellez-moi la puriste; je le suis. Mais je crois que ce mérite d'être publié mérite au moins un minimum d'efforts, et je n'en démords pas. Ecrivez ce que vous voulez dans l'intimité de vos papiers; si vous tenez à le publier, faites un effort.

Oui, c'est vrai, de temps en temps, les web journals suck. C'est pourquoi cette page est la seule sur mon site à traiter de cet aspect de l'écriture intime. Je ne veux pas insister sur cet aspect de l'écriture qui n'interroge pas l'écriture elle-même, qui se prend pour acquis et a quelque chose d'un peu paresseux.

Lectures indiscrètes

La quantité de journaux web -et de sites qui portent sur les journaux web- rétrécit comme une peau de chagrin. Il faut croire que c'était simplement une mode... Voici néamoins quelques survivants.

Apologies inutiles et petites lubies sans façons
Un journal intelligent, bien écrit, et mis à jour régulièrement. Un plaisir à lire.
Dreaming among the jade clouds
La présentation graphique séduit, et les propos tenus dans le journal ne nous séduisent pas moins. À noter, un projet autobiographique intéressant, où l'image est judicieusement mise à profit. Un très beau journal.
Tangerine
J'aime bien ce journal, qu'on sent réfléchi et travaillé. En prime, une présentation graphique soignée et sobre. Apaisant.
Yahoo! - Communications - Writing -Journals and Diaries
Liste de journaux web du répertoire Yahoo! -534, selon le dernier compte.
It's so damn hard being me!
Parodie de journal web s'acharnant sur le côté un peu misérabiliste du genre. Amer, mais amusant.
Diarist.net
Ce site contient un petit guide démographique des diaristes web, des "échantillons" de journaux web, et en prime, des liens vers les motivations exprimées par plusieurs diaristes.

Pour trouver des journaux en-ligne, des webrings et listes de journaux ou des sites de réflexion sur le sujet, consultez la page de liens.

Dites-moi ce que vous pensez des journaux en-ligne et de ceux qui les font. Nouveau genre ou vitrine égocentrique? Quelles en sont les limites?