Claviers Intimes

Claviers intimes est un espace de réflexion sur la pratique du journal en ligne (traditionnel ou "blog") dont les articles sont écrits par des diaristes et des lecteurs.

Ce site est une copie du webzine original, aujourd'hui disparu. Certains articles sont indisponibles.

Numéro 4

Novembre 2002 (complet)

Edito
L'autocensure (Thématique)
Billet
En Images
  • Autocensurée (indisponible) par l'Incrédule
Pratique du Journal
Interview

Intériorité censurée ?

Explorons ce qui se cache entre les pages du journal intime en ligne...

Par l'Incrédule

Pour la thématique de ce numéro 4 de Claviers Intimes, nous abordons un des facteurs qui affectent -à divers degrés- probablement tous les diaristes, celui de l'autocensure.

Car il faut bien avouer que ce témoignage public que nous faisons, est constamment soumis aux fluctuations de notre autocensure. Et, parce que nous sommes lus, elle semble inévitable. C'est d'ailleurs souvent elle qui donne le ton à nos écrits, qui oriente le choix des sujets ou qui dose le degré d'intériorité présent dans les différents journaux en ligne. Elle provoque également la diversité entre ceux-ci... Ce qui est tabou dans le journal de certains, sera le sujet principal pour d'autres.

Et... combien d'entre nous n'ont pas, à un moment ou à un autre, éprouvé une certaine frustration devant ce « Cher Écran » ? On s'est installé bien confortablement face au clavier, désireux de se confier, de se libérer et... voilà que se déclenchent les différents mécanismes de l'autocensure (la peur du jugement, la peur de blesser ou encore, la peur de se rendre trop vulnérable en livrant ainsi son vécu le plus intime). Nos doigts deviennent alors hésitants, la pensée s'embrouille, les questionnements pullulent :

« Jusqu'où puis-je aller dans mes confidences ? De quelle façon puis-je les raconter ? Que va-t-on penser de moi par la suite ? Et si quelqu'un que je connais me découvrait ? »

Alors, si certains favorisent l'anonymat pour contrecarrer les effets de l'autocensure, s'adressant ainsi à un public d'inconnus qui auront possiblement le détachement nécessaire en parcourant les écrits, d'autres avouent qu'en réduisant leur lectorat (et donc, en restreignant l'accès à leur site ou encore, en ne faisant pas partie de regroupement tel que la CEV), cela les aide à trouver un ton plus intime, plus propice aux confidences (car ils ont moins à craindre un regard potentiellement hostile) et donc, de se sentir moins soumis à l'autocensure.

Tantôt perçue comme complice d'écriture, d'autres fois comme ennemie qu'il faut combattre, l'autocensure varie d'un individu à l'autre en plus de se manifester de façon tout aussi consciente que... inconsciente (Ah, elle a plus d'un tour dans son sac !).

Voyons voir ce qu'en pense les diaristes chroniqueurs qui ont bien voulu nous offrir leur point de vue à ce sujet...

Vani s'interroge sur ce « moi » que nous essayons tous de dévoiler, de comprendre et d'analyser, et ce, malgré l'autocensure. L'Idéaliste tente de cerner jusqu'à quel point l'autocensure serait volontaire ou inconsciente (les deux à la fois ?) tout en nous démontrant ses répercussions au sein de la liberté d'expression. Azulah explique ce qu'elle a choisi de révéler (et de ne pas révéler) dans son journal et Ophélie raconte à quel point l'autocensure a un impact constant sur ses écrits. Et finalement, ma petite touche personnelle pour illustrer comment l'autocensure entre parfois en conflit avec le désir de mettre à nu son intériorité...

Plus

 Dans la rubrique « Pratique du Journal », Manu élabore « Une démarche qualité dans le journal intime » et Tehu traite des alternatives possibles pour la survie d'un journal intime en ligne quand un diariste décide de l'arrêter.
- Un interview : Marylène sonde les Insomnies Chroniques de Lou.
- Et un billet de Eve qui aborde la polémique suscitée par les concours visant à récompenser les journaux intimes...

N'oubliez pas que l'équipe de Claviers Intimes est toujours à l'affût de collaborateurs (autant lecteurs que diaristes) et qu'il ne faut pas hésiter à prendre contact pour toute suggestion d'article concernant la démarche de l'écriture du journal intime. Je rappelle qu'il existe une liste de diffusion et des rencontres par Chat, des outils qui permettent l'échange d'idées et que nous utilisons pour la préparation de chaque numéro (tout se fait de façon virtuelle... mais il n'en demeure pas moins que le résultat est très concret !). Alors, si vous êtes le moindrement désireux de participer, contactez-nous !

Tourner sept fois sa langue

Par Ophélie

J'ai appris très jeune qu'il vaut mieux tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler. Un jour, je me suis juré solennellement de ne plus jamais prononcer une parole sans avoir évalué sa portée et réfléchi aux réactions qu'elle risque de provoquer. J'ai très peu de souvenirs des circonstances qui ont amené cette grave décision, mais je suppose que j'ai blessé quelqu'un par des paroles irréfléchies qui ont eu de sérieuses conséquences. Alors, faute de pouvoir les ravaler, j'ai pris la résolution de tout mettre en oeuvre pour ne plus jamais commettre cette erreur.

Aujourd'hui, je connais mieux mes limites et j'évalue plus aisément celles des autres. Je suis particulièrement douée pour réfléchir à toute vitesse en ne laissant rien paraître de mon dialogue intérieur. Pendant que chaque phrase est analysée, décodée, corrigée et reformulée si nécessaire avant d'être exprimée, je demeure imperturbable et toute souriante devant mon interlocuteur qui ne remarque rien. La mécanique d'autocensure est d'une efficacité étonnante et presque sans faille. J'élimine le superflu, les mots à double sens et les détails inutiles, mais surtout j'adoucis les expressions un peu trop directes et je freine mes élans trop audacieux. Alors oui, je l'avoue, je m'autocensure constamment et je suis certainement passée maître dans l'art de me critiquer. C'est au prix de tous ces efforts que j'ai trouvé la paix.

Désormais, le contrôle s'opère dans tous mes échanges avec les autres. De toute évidence, mon attitude critique se répercute dans mes écrits virtuels. J'insiste sur le mot virtuel, parce que dans mes écrits intimes, ceux qui ne sont destinés à personne d'autre qu'à moi, je m'abandonne totalement. Sur le cahier, je gribouille, je jure, je rature, je dessine, je pleure et j'enrage, comme une enfant qu'on vient d'enfermer dans sa chambre pour laisser passer la crise. Là, personne n'a le droit de m'arrêter, de me juger, de me corriger ou de me critiquer. Je suis entièrement libre. Là, je suis autorisée à franchir toutes les barrières, à dépasser toutes les limites. Mais je sais très bien que je n'atteindrai jamais cette liberté d'expression dans l'écriture d'un journal intime sur Internet. Premièrement parce que ce n'est pas le but et deuxièmement parce que je ne saurai jamais réellement à qui je m'adresse. Raison de plus pour faire doublement attention à ce que j'écris.

Je me bats constamment entre l'envie de m'exprimer avec plus de sincérité et la nécessité de préserver les secrets de ma vie pour mieux me protéger. Cette dualité, je la vis chaque fois que je m'installe devant le clavier. Je me dis non, très souvent. Je me refuse le droit à la liberté sans surveillance. Je ne souffre pas, c'est une contrainte que j'ai choisie et j'en assume entièrement les conséquences. J'ai moins peur de souffrir de ce que je n'ai pas écrit que des répercussions de ce que j'aurai osé écrire.

J'arriverai peut-être un jour à me sentir un peu forte et à faire preuve de plus de courage. Car il faut une grande force pour défendre ses idées avec conviction et pour cesser de craindre la critique des autres. Parmi ces autres, je suis certainement la pire des critiques envers moi-même. Si je cessais de me critiquer, je saurais certainement éviter la censure. Là où je m'interdis de penser, de dire ou d'écrire, je m'interdis aussi de vivre une expérience. Et je crois encore que c'est l'expérience, bonne ou mauvaise, qui fait grandir.

Se taire, tout dire, ou censurer ?

Tout serait tellement plus facile si dans mon journal je racontais l'histoire d'une autre. Malheureusement, c'est de moi qu'il s'agit...

Par Azulah

Je suis de nature une personne secrète. En groupe je ne parle pas beaucoup. Je préfère écouter les autres et apprendre, plutôt que dévoiler mes pensées à moi. Timidité, pudeur, peur d'ennuyer, peur de choquer… ? Quelle drôle d'idée donc d'écrire un journal étalé là devant les yeux du premier venu. De dévoiler sans pudeur aucune tous mes secrets, mes états d'âmes, mes aventures. Et voilà donc le mystère. Comment dire sans tout dire ? En dire assez, mais pas trop. Jusqu'à quel point se taire ou se révéler ?

Dans ce monde cybérien, je ne dévoile que certains aspects de ma personnalité au lecteur. Je partage un secret, mais pas l'histoire complète. Est-ce que le fait d'éviter certains sujets me rend incomplète aux yeux du lecteur ? Est-ce que cela nuit à la compréhension par le lecteur, des faits et des émotions que j'essaie d'exprimer dans le journal ? Tout d'abord, pourquoi écrire un journal « incomplet » ? Un journal dont on censurerait l'intime, ou l'émotif. Et puis s'aperçoit-on que l'on se censure ? Ou alors le mécanisme d'auto-censure est-il si fort que l'on n'y voit que du feu, et l'on s'imagine tout dévoiler, tout analyser, tout refléter ? Jusqu'à quel point peut-on se mettre à nu devant soi-même, puis ensuite décider de s'afficher « nue » devant ceux qui ont la gentillesse, ou la curiosité, de venir nous lire ? Je n'ai pas les réponses à certaines de ces questions. Je ne sais pas ce que pense le lecteur lorsqu'il me lit. Mais un journal est-il réellement incomplet si on n'y raconte pas « tout » ?

Une conversation avec une collègue il y a quelque temps m'a fait réfléchir sur cette situation un peu étrange. Elle me demandait si lorsque je rencontrais pour la première fois les gens avec qui j'avais fait affaire pendant longtemps sans les avoir jamais vus, ces gens s'attendaient à me voir de telle ou telle façon, et comment je réagissais face à cela. Je lui rétorquai que selon chaque situation nous présentons un aspect différent de la même personne : qu'Azulah au boulot agit de telle façon, qu'Azulah à la danse se comportera de telle autre façon, qu'Azulah et ses amis agira d'une autre façon encore, et qu'Azulah toute seule à la maison sera différente de celle qui participera à une conférence, mais que c'est toujours la même Azulah. Elle ne montre pas les mêmes facettes à tous. Cela veut-il dire que je cache la vraie Azulah aux regards indiscrets ? Ou que je censure certains de mes faits et gestes, parce que je ne montre pas tout, à tout le monde ?

Je sais que je ne raconte pas tout. Ni dans la vie terrestre, et encore moins dans le journal. Je ne creuse pas jusqu'au fond des choses, pour analyser, expliquer, exprimer, pour me présenter en entier. Mais voilà, j'écris d'abord pour moi. Parce que j'aime écrire. J'aime chosisir le mot, l'expression, le son, la note qui expriment le mieux le moment vécu. J'écris presque comme s'il s'agissait de l'histoire d'une autre. Ou de quelques moments dans l'histoire d'une autre. Jamais au grand jamais je ne raconterais des trucs si intimes sur ma vie à moi ! Cette censure se fait donc de façon insidieuse. Si la vie que je raconte n'est pas la mienne, mais simplement une histoire brodée au fur et à mesure, elle n'implique que très peu son auteure. Donc pas de comptes à rendre à qui que ce soit sur la façon dont cette Azulah vit sa vie. Les dangers de se dévoiler au grand public, mais d'abord et avant tout à soi-même sont effacés, puisqu'on ne raconte plus sa vie. Mais le danger de ne plus voir la faible ligne entre réalité et fiction devient de plus en plus grand.

Parce qu'il s'agit bien de ma vie à moi. Parce que si je devais inventer une histoire comme la mienne, il y a longtemps que j'aurais manqué d'inspiration. Donc je raconte, je tisse au fil des jours la réalité qu'est la mienne, en essayant de censurer le moins possible, du moins dans mes pensées. Je vis, et ensuite en pensée je revis les moments forts, les moments tristes, les bons, les mauvais, puis, devant ce clavier, les doigts prennent leur élan, choisissent les mots, racontent l'histoire. Parfois, quelques mois plus tard, je relis, je me souviens, je souris, j'essuie une larme. Et je m'étonne parfois d'avoir choisi de raconter telle chose plutôt que telle autre. Mais, tout compte fait, ça importe peu, on arrive à comprendre quand même. Du moins je l'espère. Je dis certaines choses, je tais les autres, consciente tout de même du non-dit. Consciente de choisir une piste, d'en éviter une autre. Et tentant de rester le plus possible fidèle à moi-même, autant en vivant cette merveilleuse aventure qu'est la mienne, qu'en la décrivant dans le journal plus tard.

C'est cela qui importe le plus, je crois. La fidélité à soi-même. La sincérité de dire voilà, c'est moi. Complète, même dans mes silences.

Cachez ce moi que je ne saurais voir

Par Vani

On a souvent interprété le diarisme en ligne comme une démarche narcissique, pire, exhibitionniste. Ecrire reviendrait tout simplement à parler de soi pour le plaisir de se mirer dans ses propres textes et celui, à tonalité plus malsaine, de se laisser sciemment regarder le cœur mis à nu par des lecteurs étrangers aussi curieux qu'avides de détails croustillants.

Et si dans le fait de s'écrire il s'agissait surtout de se rendre lisible ? Faire l'effort de démêler l'écheveau de ses passions pour les rendre compréhensibles au regard d'autrui et tenter d'avoir soi-même ce regard étranger sur soi : je veux me comprendre, je vais m'étudier comme un objet qu'il m'est donné de bien connaître, je vais faire l'effort de sortir de moi, me dédoubler, imaginer la façon dont on pourrait me percevoir de l'extérieur.

Parler de soi le plus clairement possible et s'écouter parler de la manière la plus objective possible, tel serait l'objet de ce travail de soi sur soi. Car en réalité, le lecteur inconnu, lui, n'a qu'un rôle intermédiaire : il justifie l'effort qu'exige un tel exercice de clarté vis à vis de soi, et c'est tout. Il est même une sorte d'alibi : je vais vous dire, à vous qui m'écoutez... mais celui que cela intéressera le plus, c'est bien sûr cet autre moi qui veut savoir de quoi je suis fait.

Ce n'est pourtant pas si simple encore. On dit qu'il est plus facile de se livrer à des inconnus qu'à des familiers, mais avec cette instance omniprésente et omnisciente qu'est l'autre moi, le moi scrutateur et interrogateur, toujours à lire par-dessus l'épaule du scripteur et à juger et à s'introduire entre les lignes pour en recueillir la moindre goutte d'aveu caché, comment ne pas avoir peur de trop en dire, justement ? Et si en voulant me faire du bien je me faisais du mal ? Suis-je vraiment prêt à tout dire, à tout entendre de ma propre bouche ?

Et voilà le processus de l'autocensure qui se met en place. Car se censurer, n'est pas seulement se mettre en scène (ou en valeur ?), mentir un peu pour rendre sa vie plus attrayante, maquiller un peu son personnage et en lisser les contours, en faire un être plus entier, plus logique, en bref, facile d'accès. L'autocensure, c'est plus insidieux que ça : c'est se persuader soi-même qu'on est tel qu'on veut bien le raconter.

Et après tout, n'est-ce pas une façon de construire ses rêves que de les affirmer par avance ? Et la prière religieuse n'est pas autre chose. Ecrire son journal comme une supplique, et se voir exaucé. Magie de ce renversement qui voit la littérature transposée dans la réalité : vie rêvée avant que d'être réelle... peut-être.

Volontaire ou inconsciente, une inévitable compagne de l'écriture

Si les mots permettent l'expression de la pensée, l'autocensure est toujours là pour modérer cette expression. La totale liberté de la pensée est un leurre dès lors qu'elle entre en interaction avec autrui. Variante de « la liberté des uns s'arrête où commence celle des autres », l'autocensure nous permet de sociabiliser les aspérités d'une pensée brute.

Par l'Idéaliste

Dans la vie courante, l'autocensure nous est tellement naturelle que nous n'avons souvent même pas conscience de la pratiquer. On pourrait presque la qualifier d'instinctive. Avec bien sûr des variantes dans sa pression. Parfois oppressante, elle devient alors un véritable frein à l'expression de soi, donc à l'épanouissement. Inversement, des personnes très libres dans leurs paroles peuvent fréquemment choquer, déstabiliser, générer un malaise. Aussi bien par des propos qui peuvent être perçus comme agressifs, manquant de tact, que pour une propension à trop en dire, à se dévoiler sans assez de retenue. Comme toujours, les affinités ou inimitiés peuvent naître selon le degré d'autocensure que chacun apprécie.

Dans le cas des écrits et, pour ce qui nous concerne, de cette forme bien particulière du journal en ligne, l'autocensure prend une forme différente de celle que l'on a dans les rapports sociaux traditionnels. D'une part parce que l'écrit demande plus de temps que la parole pour s'exprimer, donc permet de réfléchir un peu plus lentement, de mesurer mieux la portée éventuelle des mots. Aussi parce que l'expression se fait avec un décalage dans le temps, même s'il est minime, entre l'expression et la perception par le lecteur. Ce différé contribue à établir de façon plus consciente l'effet d'autocensure. D'autre part parce que cette expression s'adresse à des interlocuteurs à la fois distants (géographiquement), sans prise réelle dans la vie du narrateur, non-identifiés pour une large part d'entre eux, et "inconnus", visuellement parlant. Selon les personnes auxquelles on a conscience de s'adresser préférentiellement (personnes identifiées, ou alors le vaste "peuple du web"), on s'appliquera une autocensure différente.

  Consciente ou inconsciente ?

La forme d'autocensure la plus aisée à appréhender est celle que l'on s'applique volontairement. Facilement identifiée, elle porte sur des domaines de prédilection variables. Très généralement, cela concerne les évènements touchant des proches et les détails permettant l'identification (localisation, emploi) : on se protège. Assez répandue aussi, une autocensure traditionnelle en ce qui concerne la sexualité : un certain nombre de journaux n'abordent jamais ce domaine. Pour d'autres, c'est au contraire tout à fait du ressort d'un journal "intime", fût-il publié sur internet. Selon l'image que l'on a de soi, ou celle que l'on veut transmettre (qui peuvent être fort différentes), on accentuera ou atténuera certains traits de caractère. Autocensure par omission. Plus généralement on peut constater qu'une large forme d'autocensure consiste à ne pas évoquer tout le côté ressenti, émotionnel, et à se contenter d'une narration des évènements qui parsèment le quotidien. En fait, tout est affaire de choix en fonction de la personnalité du diariste et de ses souhaits de communiquer avec plus ou moins de liberté ce qui le concerne. Cette autocensure volontaire concerne le regard que les lecteurs porteront sur le diariste.

Moins perceptible, l'autocensure inconsciente vise à nous épargner de notre propre regard. En cela on retrouve l'écueil du journal papier, secret : on ose rarement s'y livrer avec une totale liberté. Et ceux qui le font s'appliquent parfois une ultime autocensure radicale : destruction des feuillets compromettants. Parce qu'il est parfois difficile de laisser certaines choses sortir de soi. Tout en sachant que nos pensées recèlent des secrets, nous nous en méfions et rechignons à ouvrir le couvercle. Dans le cas du journal intime public, il peut y avoir ce coté paradoxal qui oblige à ouvrir la boite de Pandore plus fréquemment que s'il était resté privé. On peut alors comprendre ceux qui font le choix de rester dans une superficialité événementielle, se bornant à raconter les activités de la journée, les musiques écoutées, les livres lus ou les films vus. Une large part des blogs, dans le sens initial et réducteur du terme (entrées courtes, nombreuses, et liens omniprésents), est résolument ancré dans cette très forte autocensure : rien ou presque de ce qui est personnalité profonde n'est perceptible.

L'équilibre entre une volonté de transparence envers soi et les amitiés virtuelles clairement identifiées, et celle de se protéger des anonymes de passage, plus ou moins bienveillants, peut être malaisé à trouver. Et selon les jours, oubliant une part des lecteurs, on peut être amené à exercer une autocensure variable, en toute incohérence.

Qu'elle soit volontairement très forte, ou que l'on tente de la réduire au minimum, l'autocensure est donc l'inévitable compagne de nos doigts lorsqu'ils sautillent sur le clavier. C'est un lubrifiant social qui permet à chacun de communiquer avec les autres sans heurts excessifs, tout en se préservant d'une insupportable transparence.

Et la première place va à...

Dans le cercle des diaristes francophones, plusieurs possèdent un sérieux talent d'écriture. Leur façon de décrire leur univers, leurs émotions, vient nous chercher par la main, sans que nous ayons seulement le désir de protester.

Par Eve

Malgré le fait que l'écriture d'un journal intime en ligne soit une aventure personnelle toute en introspection en même temps qu'en ouverture totale vers le monde entier, il se peut que le lecteur, pour qui en bout de ligne sont écrites ces lignes, désire féliciter le diariste, annoncer à tous que le journal qu'il suit tous les jours, depuis si longtemps, a une valeur distincte pour certaines raisons. Comment faire ressortir ces talents qui sont de plus en plus difficiles à cerner dans la vague de popularité que connaît le phénomène du journal intime en ligne ?

Il y a déjà eu des débats sur fond de polémique au sujet des concours mettant en scène des journaux intimes et leurs auteurs. Et toujours, la réponse a été qu'il serait désagréable de voir des journaux jugés, car personne ne mérite de terminer en deuxième place avec son journal intime, et que cela frôlait l'irrespect de vouloir analyser une œuvre personnelle, soit presque la personne elle-même. Et le concours Bloggueur 2002 a jeté la goutte d'huile qui manquait pour allumer un brasier monstre : décidément, des récompenses pour les journaux intimes sont tout ce qu'il y de plus immonde.

Pourtant, le milieu des diaristes anglophones ont leurs Diarist Awards depuis quatre ans, au rythme de quatre fois par année. Et jamais un esclandre n'a ébranlé le processus qui s'affine d'année en année. Comment font-ils, me demanderez-vous avec curiosité ? Voilà leur manière de procéder.

  Procédé

Le grand principe qui régit ces récompenses, c'est que les plumes talentueuses qui captivent jour après jour un public se doivent d'être reconnues. Des catégories distinctes viennent mettre un peu d'ordre (traduction libre) :

Meilleure entrée
-  Meilleure entrée comique
-  Meilleure entrée sentimentale
-  Meilleure entrée dramatique
-  Meilleure réponse du public (récompense autant l'auteur de l'entrée, de quelque genre qu'elle soit, que la réponse du lecteur à cette entrée, qui démontre sa compréhension du diariste)
-  Meilleure entrée écrite en collaboration (réaction d'un diariste à un mot d'un lecteur, dans son journal)
-  Meilleure entrée concernant un événement à large spectre, idéalement auquel l'auteur participe
-  Meilleure entrée sur un événement en particulier, une passion, ou autre, qui démontre un désir de convaincre le lecteur et de le faire réfléchir
-  Meilleure entrée, toutes catégories confondues

Meilleur site
-  Meilleur journal
-  Plus belle plume
-  Plus beau design
-  Meilleure utilisation du multimédia
-  Meilleur nouveau journal (moins de trois mois)
-  Meilleur journal expérimental - différent, pour certaines raisons qui font que le journal intime est renouvelé dans son genre
-  Prix de reconnaissance (récompense une personne qui a apporté un quelque chose au monde du diarisme)

Toutes ces catégories sont positives et servent à reconnaître les meilleurs côtés du web diaristique. Le processus rend également le public, celui qui navigue parmi les journaux et celui qui écrit, responsable de la première sélection, période qui dure deux semaines. Il y a ensuite deux autres semaines où tous les sites qui ont été soumis sont proposés au vote. Un jury précédemment choisi au hasard parmi des intéressés voteront pour les gagnants. Et évidemment les sites qui obtiendront le plus de votes seront nommés gagnants.

  Et nous ?

Comment être dépité par une cinquième place dans ce genre d'événement ? Comment même trouver à se plaindre de découvrir des journaux intimes qui font image de trésors, et servent à populariser la qualité sur Internet ?

L'organisation de récompenses pour les journaux francophones servirait aux diaristes en ligne de plusieurs façons. Cela promouvrait une idée de qualité unilatérale dans les journaux. La découverte de nouveaux journaux serait facilitée. En tant que lecteur, nous pourrions faire connaître à davantage de personnes les diaristes que nous lisons et trouvons exceptionnels. La reconnaissance de ceux qui s'identifient par un travail considérable à leur journal serait perçue comme un moteur pour ces auteurs.

  Un jour...

Évidemment, il nous faudra briser la barrière qui se dresse qu'on ne peut porter de jugement sur un journal intime, en érigeant des critères stricts, propres au diarisme francophone, qui ne permettront pas de dénigrer, mais bien d'ajouter une brique à ce monde.

Il faudra également une équipe motivée à l'idée, qui sera intègre, apte à monter techniquement un tel projet, à le promouvoir, à le faire grandir et à démontrer à tout le monde que les journaux intimes en ligne sont parfois des oeuvres d'art. Intéressés ?

Pour une démarche qualité dans le journal intime

Au moment où la petite communauté de la CEV est agitée par des querelles qui portent aussi bien sur le fond que sur la forme que doit prendre un journal intime ne serait-il pas judicieux d'entreprendre une nouvelle démarche de réflexion et de définition qui s'appuierait sur une logique de qualité ? Quand de plus en plus d'entreprises de services sont séduites par une politique de qualité totale pour le plus qu'elle apporte, ne pourrait-on pas envisager d'entreprendre une démarche similaire pour appréhender les journaux intimes ?

Par Manu

La qualité, si elle est parfaitement connue, n'a à ma connaissance, jamais été utilisée pour l'élaboration d'une oeuvre ou tout autre nom que l'on voudra bien donner à un journal intime. Le premier travail consiste donc à déterminer les acteurs qui auraient un rôle à jouer dans une telle démarche. Faisons le parallèle avec les acteurs qualité d'un produit manufacturé. Pour simplifier, il y en a trois, l'entreprise, l'utilisateur et l'environnement économique, technique et social. Quels sont les objectifs de chacun de ces acteurs ? Pour l'entreprise, c'est la rentabilité, le développement et la satisfaction des employés, pour l'environnement c'est le respect des règles, des normes, de l'environnement et pour l'utilisateur c'est la performance, les délais, les coûts. Il est relativement aisé de faire le parallèle avec le journal intime. Pour tenir le rôle de l'entreprise, il y a le diariste, tandis que celui de l'utilisateur est tenu par le lecteur et l'environnement par lui-même.

Quelles sont les attentes qualité des acteurs ? Le diariste cherchera vraisemblablement à assurer la pérennité de son journal, à développer le nombre de ses lecteurs et à innover sur la forme ou sur le fond. Le lecteur, lui, cherchera chez le diariste des écrits intéressants (performants), des entrées relativement fréquentes, et un site ergonomique et esthétique. Quant à l'environnement, et bien le journal devra toujours se soumettre aux règles inhérentes à tout document public. La CEV fait aussi partie de l'environnement. Un journal qui souhaiterait faire partie de la CEV, dans une démarche qualité devrait donc appliquer scrupuleusement les règles de celle-ci.

Le deuxième point à aborder est celui de la gestion de la qualité, c'est-à-dire le processus à suivre pour atteindre la qualité.

Pour cela, il faut procéder en plusieurs étapes, la première étant bien sûr celle de la construction. Construire, c'est définir les critères sur lesquels va s'appliquer la politique qualité, c'est ensuite définir les règles à suivre, mettre par écrit, point par point, sans ambiguïté, tous les aspects du journal qui seront gérés. Pour un journal voulant être membre de la CEV, cela pourrait être par exemple la présence obligatoire du sigle de la CEV. Il est théoriquement possible d'appliquer la qualité sur la forme du journal, l'emploi de certaines couleurs, de certaines polices, sur la présence ou non de frames, aussi bien que sur le fond, les rubriques, les thèmes, le style d'écriture. Tout est autorisé en matière de qualité, du moment que ce soit écrit.

Après cette première étape, il faut mettre en place la qualité. C'est la deuxième étape. C'est au diariste de s'assurer que dans l'élaboration de son journal chacune des règles qui régissent la politique qualité sera respectée. Pour cela, il a besoin de bon sens - il ne faut pas oublier que la qualité, c'est avant tout du bon sens - . Il peut éventuellement s'aider d'outils qualité, que je ne nommerai pas parce que cela ne dirait sans doute pas grand chose à beaucoup de monde. Il doit aussi pouvoir compter sur l'aide extérieure et neutre de personnes, agrées qualité, qui auraient une fonction de conseil.

Troisième étape. Elle consiste à mesurer la qualité obtenue en comparant ce qui est fait avec ce qui devrait être fait. Pour ça, il faut qu'une personne ou deux, neutres, examinent systématiquement le journal en n'omettant aucune des règles qu'il doit suivre. C'est ce qui s'appellerait dans l'entreprise ou ailleurs, l'étape de certification.

Tout ça ne suffit pas. Pour réellement s'engager dans la voie de la qualité, il faut tenir compte de la durée. Il faut donc subir des contrôles fréquents pour contrôler l'adéquation entre le journal et les règles auxquelles il est soumis. Et d'engager des actions correctrices dans le cas contraire.

Voilà ce qu'impliquerait une démarche qualité pour un journal intime. C'est tout à fait réalisable. Par contre, je suis beaucoup moins certain que cela soit souhaitable. Cela risquerait de transformer ce qui était jusqu'à présent une œuvre en ouvrage.

Au-delà de cette date... Votre journal n'est plus visible

Nos journaux webs sont-ils désignés pour nous survivre sur la Toile quand on les abandonne ?

Par tehu

Drôle de question. Il n'est pas évident que chacun se la pose au moment de commencer une publication. Il y a ceux qui ont des réponses tranchées : un journal web n'est pas un mausolée en ligne. Ils vivent en symbiose avec leur journal, il est logique que ce dernier suivra le retrait de son maître.

D'autres ont des avis plus nuancés. Oui mais... Et surtout qui le lira ? Il faut bien avouer qu'un site-journal laissé à lui-même a des chances limitées de survie : il peut facilement devenir victime de l'oubli (par exemple le nom de domaine qui arrive à expiration) ou des vicissitudes techniques (changement de serveur, arrêt des hébergeurs gratuits).

Pour prendre deux exemples datant de 1997 :

-  Commencé sur Mygale, le journal de Zabou [1]. Mygale fut racheté par Multimania, lui-même absorbé par Lycos. Aujourd'hui il ne subsiste plus qu'une façade du site.
-  Le journal de l'NRV [2], de Ch. Ono-dit-Biot. Premier journal français remarqué par les médias. Il resta quelques saisons chez son fournisseur d'accès avant d'être balayé l'année dernière à l'occasion d'une refonte du site parent.

  Né pour durer ?

Car la Toile est un media jeune, et sur bien des aspects on manque de références. Pour filer la métaphore incongrue, la maintenance d'un journal en ligne et d'une centrale nucléaire ont un point commun : on ne connait pas les effets à long terme du rayonnement.

Combien de temps "dure-t-on" sur le Net ? On considère généralement des dates symboliques dans la tenue d'un journal : 1 mois, 4 mois, 1 an... Mais le grand saut, le time warp semble difficile à franchir, tourne autour de 5 ans.

Ce qu'on ignore souvent, c'est que les archives accumulées peuvent finir par littéralement peser sur le moral d'un auteur. Elles prennent de la place, sont peu visitées, ou évoquent une période que le diariste considère comme "révolue". Autant de motifs pour certains à créer ailleurs un nouveau journal, ou tout simplement à partir sans laisser d'adresse.

Premier exemple : le québécois J. Lesage tenait son journal [3] depuis fin 1997. Comme chaque année, il avait annoncé une suspension estivale. Pour finalement tout retirer en septembre.

The Online Diary History Project est un site américain qui recueille les témoignages des premiers diaristes en ligne à partir de 1995. Un rapide sondage montre qu'une faible moitié des journaux est encore accessible. Les diaristes "actifs" y sont encore plus rares.

L'exemple le plus intéressant est celui de Carolyn Burke. Elle fut la Prima Donna des diaristes sur le Net, et elle manquait rarement une occasion de souligner son ancienneté. Seulement, depuis quelques mois, son site renvoie une page blanche, sans explication apparente.

  Le Web se prête-t-il à l'archivage ?

Tout cela n'est pas très optimiste, on le concède. A quoi bon maintenir un site, vérifier le code HTML et la cohérence des liens, si on est quasi certain que ces pages seront ignorées puis oubliées dans quelques années ?

Le problème vient peut-être de la manière dont nous nous représentons cet espace virtuel, supposé infini. Et d'ailleurs la métaphore du Web (la Toile) est-elle encore fondée ? Peut-on parler d'un Web sédimentaire ? En tant que modèle de représentation, on pourrait imaginer une pyramide inversée ; avec en surface un bouillonnement volcanique de pages éphémères et (rapidement) obsolètes [4]. Peut-être que, dans 15 ans, on considèrera comme une curiosité de remonter une page "fossile" générée en 1995.

Le Web, qui n'est -rappelons-le- qu'un sous-ensemble de l'Internet, n'a pas été adapté pour l'archivage. Les pages 404 (absence de document) sont considérées comme un mal nécessaire. L'information est disponible instantanément, mais on ne garantit pas sa permanence.

Certes, il y a des initiatives à grande échelle, comme the Wayback Machine. Beaucoup d'usagers semblent ignorer que ce qu'ils considèrent comme leurs informations personnelles est reproduit sur les serveurs d'un organisme privé [5]. L'archivage des sites demeure tout de même aléatoire, devant la masse de l'information.

À un niveau plus "humain", et pour rester dans le monde des diaristes francophones, on peut signaler l'existence d'é-phémér(id)es [6], qui cherche à garder un lien en surface avec les journaux clos ou abandonnés.

  L'avenir ?

Même s'il est louable que les ex-diaristes laissent leur journal ou blog en ligne, force est de constater que la relecture à l'écran devient vite fastidieuse. L'avenir -pourquoi pas ?- passe par l'évolution des outils de blog : ils pourraient proposer de sélectionner et reformater les archives dans des formats variés (prêt-à-imprimer, livre électronique...).

Qui sait ? Il reste un service à inventer, en parallèle du Web. Et peut-être qu'un jour, un journal web agitera un fanal en direction des robots camion-balai. Un protocole amical pour signifier : "Ma croissance est stoppée. Mon créateur ne s'occupe plus de moi. Merci de me dupliquer quelque part."


[1] Tout pour être heureuse, anciennement le Journal d'une pure jeune fille

[2] ancienne adresse : http://www.easynet.fr/nrv/

[3] ancienne adresse : http://cafe.rapidus.net/jlesage/

[4] Plus de 70% des pages créées ont une durée de vie inférieure à 4 mois - tiré de l'article d'Emmanuel Hoog, paru dans le Monde : Internet a-t-il une mémoire ?

[5] The Internet Archive fournit les explications nécessaires pour référencer (ou enlever) un site.

[6] Maintenu par Abe et Marylène, é-phémér(id)es recueille également les témoignages des diaristes

Un caillou jeté dans le reflet de la lune - Conversation avec L'Insomniaque

Marylène a proposé à l'insomniaque une interview sous forme de conversation par e-mail. L'ensemble que vous allez lire s'étale donc sur plusieurs semaines. (ndlr)

Par Marylène

Elle commençait ainsi :

Ma plus grande peur : Ne pas être lue. Eh bien, je ne suis pas lue présentement. Si personne d'autre que moi ne lit au moins je serai écrite. J'ai donc décidé d'écrire vrai. Mais écrire vrai ne signifie pas confession. [1]

Aujourd'hui, cette phrase lui va toujours aussi bien !

*M* Alors l'Insomniaque, 3 ans que tu nous tends un miroir quand tu t'observes. Un miroir très elliptique au début, et aujourd'hui de moins en moins... mais écrire vrai ne signifie pas confession te va toujours aussi bien ! Est-ce une volonté de ta part, quelque chose que tu as décidé en commençant ton journal, ou bien ce jour-là as-tu eu l'intuition de la façon dont tu aimerais écrire ? Et d'abord, cette phrase, te souviens-tu l'avoir écrite ?

*L* Si je me souviens d'avoir écrit cette phrase ?... Oh oui... D'ailleurs il m'arrive parfois de la relire, juste pour voir où j'en suis par rapport à cet état d'esprit qui m'habitait à l'époque. Je te dirais que cette volonté de "non-confession" est avant tout reliée à ma personnalité. Je la qualifierais presque de pudeur. D'abord un certain cadre imposé, je ne pense pas que de tout dire est nécessairement plus révélateur. Je crois même qu'on peut se noyer dans les descriptions du quotidien. Et puis le poids des mots... Je pense que les mots sont puissants et que quelquefois ils nous échappent... Dans une perspective "psychologique" , je te dirais même que dans une certaine mesure ils me font parfois un peu peur.. Dans le sens où il m'arrive de craindre un peu ce miroir et ce que je peux y voir. Compliquée l'insomniaque ? Oui sans doute un peu... Mais surtout hypersensible. Alors je me soigne et je fais attention à moi. On peut donc dire que parfois je suis elliptique volontairement et égoïstement.

Dans une perspective plus terre à terre, je te dirais aussi que je reste très réservée par rapport à certains domaines parce que je suis aussi lue par des gens de mon entourage. Je me souviens d'une entrée en mars ou avril 99 dans laquelle je relatais un repas familial. Ma mère m'en parle encore aujourd'hui. Pourtant j'étais restée très douce mais elle n'avait pas accepté l'image que je dépeignais d'elle. Depuis j'ai changé d'url et je pense qu'elle a perdu les traces de mon journal mais je reste toujours prudente. Il en va de même pour certaines autres personnes de mon entourage. Il y a aussi quelques relations que j'ai développées à partir de mon journal Des gens que j'ai connus par ce biais et qui sont devenus des amis dans la vie terrestre. Inutile de penser que ces gens vont arrêter de me lire parce qu'ils font partie de ma vie. Malgré tout je dirais que j'arrive de plus en plus à faire fi, jusqu'à un certain point, de ces regards et que je me sens de plus en plus proche de ce qui est essentiel pour moi dans mes écrits. J'avoue que la forme du blogue a contribué grandement à cet état de fait de par son instantanéité et sa simplicité. Un dernier mot peut-être concernant cette crainte de ne pas être lue.. Et bien, je l'ai dépassée. Je jongle maintenant avec l'accoutumance au plaisir d'être lue. J'avoue que j'aurais bien du mal à m'en passer.

*M* L'écriture sous contrainte permet souvent de dépasser ce qu'on aurait pu écrire spontanément. Le journal en ligne subit déjà la contrainte du regard des autres, qui te conduit à l'ellipse si j'ai bien compris, et donc à une part du charme de ton écriture en fait ! Quant à la forme blogue... son avantage dis-tu : l'instantanéité... il y a beaucoup à en dire ! je crois que non maîtrisée, elle peut conduire à un quotidien déployé sans... je vais utiliser un gros mot : sans âme. Penses-tu que le fait d'avoir tenu longtemps un journal en ligne de forme "classique" puisse t'aider à maintenir une structure cohérente à tes Insomnies Chroniques ?

*L* Penses-tu que le fait d'avoir tenu longtemps un journal en ligne de forme "classique" puisse t'aider à maintenir une structure cohérente à tes Insomnies Chroniques ? Oula Marylène... C'est tout un compliment que tu me fais là :-) mais je ne peux l'accepter honnêtement... Parce que je trouve justement que cette cohérence tend à disparaître. Je ne sais pas non plus si c'est une bonne chose. Mon blogue est un espace d'écriture plus libre, moins guindé, je m'y permets plus de disgressions mais en toute sincérité il m'arrive de regretter un peu La Page de l'insomniaque dans laquelle je m'efforçais de suivre une ligne directrice, la plupart du temps... Concernant le quotidien sans âme auquel tu fais allusion, eh bien je vais te faire une confidence : Je t'avouerais que je suis beaucoup trop rêveuse (ou pensive, c'est selon) pour m'y attarder. Je ne parle que de ce qui me touche au moment où ça me touche. Sans doute le jour où je deviendrai plus "quotidienne" sera celui où ma vie "terrestre" sera simplifiée... Finalement, disons que si je veux vraiment caractériser la différence entre le journal traditionnel et l'outil du blogue, je dirais que le journal était plus "écrit" alors que sur le blogue je "m'exprime" plus. J'ai souvent le sentiment que les Insomnies Chroniques n'ont ni fin ni commencement, c'est comme une page de notes. Parfois la formule est heureuse et d'autres fois moins. En fait je rêve souvent à une formule mitoyenne qui réunirait et la spontanéité et la structure cohérente. Mais je n'ai pas encore trouvé, ça viendra peut-être d'ici trois autres années ... ;-)

*M* En tant que lectrice de journaux, je peux dire que j'aime beaucoup quand un reflet, celui proposé par l'auteur, se déstructure... le temps d'un instant de rien comme nous en vivons tous les jours. Il apparaît alors en quelques mots des failles monumentales, qui sont comme autant de faiblesses, de choses que la personne ne souhaite pas montrer a priori... un trésor pour le lecteur ! La cohérence... est-ce qu'un journal, qui est supposé être un reflet d'une personne, peut être cohérent ? Cohérent dans la démarche ? le style ? et la durée ! À mon avis, les façades trop lisses sont un ennui pour l'oeil, une fois passé le vertige et la contemplation. Et pour les journaux, elles sont peut-être la preuve que l'auteur ne se livre jamais... En tant que lectrice, les accrocs à la cohérence te gênent-ils, ou au contraire te donnent-ils un petit coup au coeur en passant et donc l'envie d'en savoir plus ? Et côté auteur... est-ce à ces moments-là que les mots te font peur ? ou alors lorsque tu as besoin/envie d'exprimer quelque chose en particulier, et que tu te sens tourner autour de la porte sans arriver à l'ouvrir ?

*L* Vu de cet angle je suis d'accord avec toi en tant que lectrice, les failles sont beaucoup plus révélatrices que l'écriture structurée et contenue. Quand je lis quelque chose de très léché, je suis habituellement d'abord séduite, voire envieuse... (hou c'est laid) mais l'expérience m'a démontré que je me lasse plutôt vite des jolis mots et des belles phrases trop bien structurées. C'est étrange mais il m'arrive de me sentir manipulée par ce type d'écriture et je me surprends à me demander ce qu'il y a dessous. Je ne considère dès lors plus ces écrits comme "intimes" et mon intérêt diminue. Ceci dit, j'apprécie quand même certains journaux bien polis mais ils me touchent souvent un peu moins.

Du point de vue de la diariste, je dirais que je vis les choses tout autrement. Je ne suis pas confortable avec l'écriture trop directe ou trop crue, peut-être à cause de ce que j'y aperçois ensuite mais surtout parce que j'aime les nuances que l'on glisse entre les mots et qui reflètent ce doute permanent qui fait partie de moi.

On a souvent qualifié l'insomniaque d'allusive et ce n'est pas faux mais je dirais surtout que je ne nage pas bien dans les certitudes et que je me heurte souvent aux lignes droites. Ça fait partie de moi et je trouve tout à fait sain que ça se retrouve à travers ce que j'écris.

Cependant à certains moments j'ai besoin de déposer les mots sans les peser et les soupeser. Particulièrement quand je vis quelque chose d'intense ou de difficile. Lorsque j'arrive à l'écrire c'est une sorte de soulagement, un pas de plus pour moi.

*M* Ça fait partie de moi et je trouve tout à fait sain que ça se retrouve à travers ce que j'écris. Tu dis là en quelques mots ce que je redoute le plus de mon côté : que mes bidouilles ne me ressemblent pas... l'horreur ! Le jour où ça m'arrivera et où je ne serais pas capable de redresser la barre : j'arrête ! et, pour en revenir à l'aspect page de notes, ou ni commencement ni fin que tu évoquais, je trouve ça plutôt sain et normal ! Nous ne sommes pas prévisibles, nous ne sommes pas d'un bloc, tout simplement parce que nous sommes vivants... et que je crois qu'il y a deux façons essentielles d'utiliser son journal : se poser une question pour essayer d'y répondre, ou alors, pousser des cris de vie de temps en temps. Je ne crois pas que l'on puisse se cantonner à l'une ou l'autre forme sans risquer de perdre l'intérêt de "la démarche". Crois-tu que cela pourrait t'arriver un jour, de ne plus te sentir sincère ? Et ce jour-là... tu prends 15 jours de vacances illico et tu vois après, ou tu écris un billet pour (t')expliquer ce que tu viens de découvrir ?

*L* Tous les éléments de cette question dansent dans les airs et dans leur folle farandole il y a un fil.... D'abord je pense qu'il est impossible qu'une écriture authentique ne me (nous) ressemble pas. Elle peut exprimer des parties de soi moins évidentes mais jamais me (nous) trahir. Je crois. L'erreur selon moi, serait plutôt de penser que le diariste (ou le blogueur) est cantonné à son expression écrite. L'insomniaque fait partie de moi, elle en a toujours fait partie et n'est surtout pas née un beau soir de mars 1999... Seulement avant elle se taisait. J'aime beaucoup les deux façons essentielles que tu décris pour utiliser son journal. Parfois c'est un lieu de réflexion, un outil pour avancer et à d'autres moments (dans mon cas de plus en plus), un cri de vie. Et je pense que de ne pas reconnaître cela serait justement une trahison. Vouloir faire un journal trop lisse et trop "organisé" ne me ressemblerait plus. Et si je sentais la sincérité m'échapper un jour ? Je crois que j'aurais envie de prendre une pause pour réfléchir, ensuite, si j'y arrive, m'expliquer pour mieux poursuivre.

*M* Je crois que le temps est venu de quitter l'ambiance feutrée des Insomnies Chroniques pour se tourner vers ce qui se passe autour des journaux ces jours-ci, je veux parler bien sûr de la CEV. Même si je n'en fais pas partie, je t'avoue que j'ai du mal à ne pas y penser. Lorsque j'ai commencé à m'intéresser aux journaux en ligne, il y avait encore trois regroupements, la SDV (qui était en travaux et qui l'est restée jusqu'à sa fermeture), le Cercle (qui n'était pas encore abandonné, mais qui paraissait bien terne par rapport au troisième) et la CEV. En arrivant comme ça, trois "anneaux" qui ne paraissaient pas avoir de distinction entre eux, autres que les fonctionnalités, c'était assez perturbant ! Les as-tu vu naître et mourir ? En quelques mots, est-ce que tu peux nous retracer cette histoire avant que nous nous penchions vers ce qui me taraude là, maintenant : Est-il encore possible à la CEV, sous sa forme actuelle, de représenter l'ensemble des journaux (surtout que ce nombre ne peut qu'augmenter) ? Découper tout le monde en rubriques serait réducteur pour les écrivants comme pour les lecteurs, mais crois-tu qu'il y ait le choix ?

*L* Pas facile de m'exprimer à ce sujet en ce moment. J'ai dû prendre un temps de recul et de réflexion de peur que ma réponse s'appuie sur des émotions trop vives. Là ça va.

À l'époque où j'ai découvert les journaux intimes sur le web, Le Cercle des Jours Écrits et Imagés représentait LE regroupement. Les diaristes d'alors n'étaient qu'une poignée de personnes qui s'étaient regroupées pour mieux se cerner, je dirais. C'était en 1998 et écrire en ligne, qui plus est, parler de soi, était une activité suspecte, au mieux marginale. En découvrant ce regroupement de gens qui partageaient mon vice, l'écriture intime, il m'a paru logique et naturel d'y adhérer moi-même. Le Cercle était une liste de journaux que je lisais pour la plupart et je n'avais aucun esprit critique à son égard, juste de la reconnaissance qu'il existe et qu'il m'ait permis de découvrir d'autres univers.

Peu après la mise en ligne de la Page de l'insomniaque, La Société des Diaristes Virtuels (SDV) a vu le jour. Je pense que c'était quelque part en 1999. C'est là que je commençai à percevoir les tensions et les polarisations. Diariste naïve et idéaliste, je n'avais pas envie de m'impliquer dans cette danse mais j'ai tout de même inscrit mon journal à cette liste en me disant qu'elle me permettrait sans doute de rejoindre d'autres lecteurs. Malgré son état de chantier perpétuel, la SDV se révéla quand même dynamique et c'est par son biais que je commençai à entrevoir la possibilité d'une implication communautaire au sein d'un regroupement de diaristes. Je dirais donc que c'est la SDV qui m'a permis de passer d'une perception individualiste à l'idée de communauté. Idée qui demeurait cependant mitigée puisque je percevais toujours l'écriture comme un acte individuel et que la crainte que ma démarche soit influencée par une ou des allégeances me mettait mal à l'aise.

En mars 2000, la Communauté des Écrits Virtuels (CEV) vit le jour et dès le début je sentis la sincérité et le dynamisme de ses administrateurs. Je me surpris même à penser que, s'il n'avait aucun bénéfice direct sur ma démarche d'écriture, un regroupement de diaristes pouvait avoir une raison d'être pour la démarche collective. J'étais fière d'être membre de la CEV et même si mon implication était timide, je ne ressentais pas moins cette appartenance de façon authentique. Je crois que la CEV a permis de rendre accessible et possible l'écriture en ligne à beaucoup de gens qui avaient besoin de s'exprimer et que la prolifération des journaux fut une bonne chose parce que dorénavant il n'y avait pas une unique façon de diariser mais plutôt autant de manières que d'individus. La CEV a offert une visibilité à cette activité et elle a permis à des gens de s'impliquer pour faire avancer notre connaissance de ce phénomène. Je n'ai jamais aimé tous les journaux inscrits, mais la CEV m'a permis de faire des découvertes que je n'aurais pas faites autrement.

Les récentes dissensions au sein de la CEV ont mis un bémol à mon appréciation et surtout à mon adhésion. Le recul que j'ai pris avait deux justifications. La première, ne pas perdre contact avec le sens de ma démarche, c'est-à-dire écrire et m'exprimer pour grandir ET parce que j'aime les mots. La deuxième est surtout la prise de conscience de l'importance de l'ego pour celui ou celle qui écrit. Quand on parle au je (même s'il est plusieurs ;-), l'ego prend forcément beaucoup de place. Ce n'est pas mal en soi, peut-être qu'ailleurs dans sa vie n'en prend-on pas assez... ? Mais ceci amène une difficulté à revenir au nous car un ego exposé devient très fragile. Je suis consciente de cette situation, et je pense que de s'exposer aide à grandir, mais là où je décroche, c'est quand ces heurts viennent bloquer la démarche initiale, pour moi c'est malsain.

Ce que je dis là m'amène à conclure que les regroupements de diaristes en tant que communautés sont très risqués. Peu importe comment on classera les différents journaux, sur quels critères on s'appuiera, il y aura toujours danger de rupture. Au grand bal des egos il y a peu de place pour la solidarité. Ça m'attriste beaucoup mais c'est ce que je constate. Il vient un temps où l'on doit décider si notre écriture doit nourrir l'intérieur ou l'extérieur, j'ai fait ce choix récemment, je suis bien dans cette décision même s'il est clair que je perds autant que je gagne.

*M* Eh bien Lou, merci beaucoup pour tes réponses si sincères à mes drôles de questions. Je me rends compte qu'il s'est agi plus d'une conversation que d'une interview, et qu'il n'a peut-être pas toujours été facile pour toi de réagir, ou de rebondir à mes remarques. J'ai beaucoup appris en tout cas, ce fut un plaisir !

*L* Un plaisir bien partagé chère Marylène. J'aurais volontiers continué cet échange. Tu sais que moi aussi j'ai appris parce que tes questions me forçaient à réfléchir sous des angles que je n'aurais pas choisis moi-même. Tu as raison quand tu dis que ça n'a parfois pas été facile de répondre, surtout de prendre position, mais la facilité n'était certes pas le but du jeu. Merci de m'avoir entraînée sur ce sentier et à bientôt !

les Insomnies Chroniques : http://insomnieschroniques.free.fr/

[1] Première entrée de La Page de l'insomniaque