Le journal et ses formes

In Hollywood now when people die they don’t say, «Did he leave a will?»
but «Did he leave a diary?»

Liza Minnelli

Traditionnellement, le journal prend deux formes ; il est écrit, et il est écrit sur du papier. A quel point ces limites ne tiennent plus aujourd'hui! Non seulement les journaux ordinolingues, et plus spécialiement web, ont remis en question ces définitions dépassées, mais de plus en plus de diaristes se sentent aussi devenir artistes et s'évadent du petit monde du papier. Que ce soit par le biais des arts visuels ou des multiples objets qui peuvent devenir journal, un regard sur les multiples possibles formes du journal intime.


Le journal intime réinventé

En 1987, la Memorial University Art Gallery organisait une exposition baptisée The Diary Exhibition. On y présentait seize oeuvres en forme de journaux intimes, créées par seize artistes contemporains canadiens. Les formes que le journal à cette occasion! Que de nouvelles explorations!

On a, par exemple, exploré le thème du journal photo ; une artiste, Sandra Semchuk, a pris des photos d'elle chaque jour, sans exception, sans tricherie, sans maquillage. Question de se faire face, de regarder dans les yeux cette identité qui est sensée être la sienne et qui doit sans cesse être redécouverte. Une myriade de portraits qui livrent à eux seuls toute un éventail de réalités aussi différentes les unes des autres - non seulement par le mouvement du quotidien, mais également dans les mouvements de l'âme. Une rencontre avec soi.

Un autre artiste, Michael Mitchell, a également exploré le thème du quotidien à l'aide de photographies ; rentrant chez lui tard le soir, il découvrait les vestiges du jour laissés à eux-mêmes par ses enfants et par sa femme. Autant de rencontres improbables entre des objets hétéroclites, comme des installations imprévues qui demandent à leur spectateur de recréer leur sens. La journée de sa famille se livrait à lui et comme un espion, à l'aide de ses photos, il se chargeait de reconstruire sa propre absence à l'aide des indices ainsi amassés, comme son propre quotidien exploré à travers celui des autres.

Marcel Gosselin s'est également penché sur le quotidien de sa famille... à travers les coeurs de pommes! Pour chaque pomme mangée, il se faisait ainsi un devoir de noter sa petite histoire et le contexte qui l'accompagnait ; qui a mangé cette pomme? à quel moment? quelle histoire l'entoure? Chaque coeur de pomme s'est ainsi retrouvé comme une pièce d'une mosaïque, reconstruisant le quotidien par le biais d'objets qu'on aurait autrement écartés ; le journal est ce qui reste de la vie une fois qu'on a vécue. Nos mots sont autant de résidus de l'expérience et du vécu.

C'est également ce que Sandra Tivy a compris dans son oeuvre Four months of consuming. Voulant vérifier par exemple l'impact de ce qu'on appelle la société de consommation, l'artiste a conservé chaque étiquette de chaque produit consommé durant quatre mois, construisant ainsi chaque jour un immense collage de tout ce qui lui passait entre les doigts. Un portrait captivant, mais aussi un peu effrayant, d'un quotidien qui nous échappe souvent...

Mais le projet le plus captivant est probablement celui de Geoffrey Wannacott, qui a non seulement poussé les limites de l'enregistrement des faits quotidiens, mais également les siennes. Pendant un mois, il s'est volontairement confiné dans une minuscule pièce, n'ayant à portée de la main que sa nourriture, les objets nécessaires à son hygiène la plus élémentaire et ce qui lui fallait pour écrire un journal, celui-ci se retrouvant souvent immortalisé sous la forme de photographies, de textes écrits sur le murs ou tout simplement de pages manuscrites. Le journal est alors présenté non seulement comme le compte-rendu du quotidien, mais comme le résidu du processus créateur, et comme un prétexte à l'exploration de ses limites. Et quelle exploration...

Les objets-journaux

Plus simplement, vous êtes probablement entourés d'objets-journaux sans le savoir. Tout ce qui contient ne serait-ce que la marque d'une émotion, d'une pensée, d'une impression consignée de votre main constitue une expérience intimiste importante. Toute reconstruction du quotidien, tout écrit personnel peut également devenir journal sans même qu'on s'en rende compte. J'ai chez moi des années de correspondance conservée sans jamais être communiquée aux principaux intéressés, une pile d'albums-photos, dont certaines ont été annotés à l'arrière, des citations favorites écrites au fil des jours dans des agendas, des mots, par-ci par là sur un calendrier, des bouteilles, des billets, des rubans qui me rappellent des journées chéries. Un journal intime? J'aime à le croire.

Une diariste a un jour remarqué que derrière les fiches sur lesquelles elle inscrivait ses recettes, elle avait également pris l'habitude, sans même que le geste n'ait été réfléchi, de noter ses souvenirs, impressions et commentaires par rapport à chaque plat. Dans quelles circonstances elle l'avait goûté la première fois, quelles avaient été ses impressions... Un journal intime? Pourquoi pas?

Le journal intime peut prendre tant de formes, à l'image de notre propre personnalité, pourquoi ne pas le laisser se métamorphoser et donner place à l'imagination?


Parlez-moi des formes que prend votre journal.