Pensées préliminaires

Un journal est une longue lettre
que l'auteur s'écrit à lui-même, et le plus étonnant
est qu'il se donne à lui-même de ses propres nouvelles.

Julien Green


Comment définir le journal? Ca semble pourtant facile... Les raisons et les contenus varient tellement que c'est presque désespérant de vous donner une idée complète de ce qui se peut s'y retrouver. Et c'est sans compter les différents visages que le journal a porté au fil du temps!


Pour savoir de quoi on parle

D'abord, un journal, ça s'écrit au fil du temps; c'est très différent de toutes les autobiographies, mémoires, et autres proches parents du genre. Le mot le dit; le journal est tenu au jour le jour, plus ou moins scrupuleusement, mais il est toujours une espèce de représentation «en direct» de la vie. Pour ceux que ça intéresse, on appelle quelqu'un qui écrit son journal un «diariste» (oui, je sais, ça ressemble à... Mais bon...) Certains, peut-être pour éluder cette ressemblance, utilisent plutôt le terme «intimistes». À vous de choisir...

Ces derniers temps, avec l'apparition des journaux en-ligne, entre autres, on revient sur les mots. Le terme «journal» gagne généralement l'accord de tous mais il en va tout autrement pour le vocable «intime» qui est loin de faire l'unanimité. On lui reproche d'isoler, de contraindre, de limiter l'écriture. Certains lui préfèrent personnel, d'autres choisissent le terme «chronique» ou «billet» personnel. Quelques-uns manifestent bien certains préjugés à l'égard du, qu'on l'appelle diary, chronique personnelle ou journal intime. Je suis une diariste convaincue mais quand même objective: je vous laisse en juger!

Ces débats terminologiques ne sont pas que l'apanage du monde francophone, peu s'en faut. Les anglophones ont aussi leurs querelles de mots. Plusieurs diaristes écrivant dans la langue de Shakespeare se défendent bien de tenir un «diary»; le terme a quelque chose d'enfantin, de puéril. On lui préfère souvent le terme plus neutre de «journal». Et ne vous faites pas d'illusions! Il y a bel et bien une différence. «Diary» renverrait au simple enregistrement des jours, à la consignation pure d'événements et d'anecdotes. Le «journal», lui, va plus loin et englobe une dimension d'analyse et d'introspection que le «diary» n'a pas. Etymologiquement, on aurait pu croire le contraire, mais bon...

Le contenu

Les termes peuvent également varier avec le contenu. On parlera de journal de voyage, de journal spirituel, de journal de gratitude. Certains diaristes tiennent jusqu'à quatre ou cinq journaux intimes à la fois parce que chaque journal a sa thématique propre. L'un d'eux peut être entièrement consacré à leur vie amoureuse, un autre aux rêves qu'ils font durant la nuit, un autre leur sert à raconter leur petit quotidien... Le style employé peut être très différent d'une personne à l'autre, être littéraire chez l'un, très prosaïque chez l'autre. Encore une fois -le répéterai-je jamais assez?- les possibilités sont infinies...

Il est évident que le contenu de certains journaux intimes est banal à faire peur; le journal demeure toujours le reflet de celui qui l'entretient et le quotidien a lui aussi sa place dans le journal, malgré l'intérêt limité qu'il suscite. Je considère quant à moi que la banalité de mon journal a l'avantage de ne pas me gêner en plus d'ennuyer profondément les éventuels curieux qui pourraient être tentés de jeter un coup d'oeil sur mes pages privées... Enfin, certains auront besoin d'un petit coup de pouce pour déjouer les terribles pannes d'inspiration qui gettent chacun d'entre nous. Des ateliers d'écriture sur le journal intime peuvent proposer quelques remèdes, mais vous pouvez aussi quelques trucs éprouvés par ceux qui vous ont précédé.

Un peu d'histoire

On raconte que les premiers journaux intimes, du moins ceux qui ressemblent le plus au journal tel qu'on le connaît aujourd'hui, remontent au dixième siècle et nous viennent du Japon. A l'époque, les courtisanes japonaises consignaient dans des petits carnets qu'elles conservaient sous leurs oreilles, d'où le terme «pillow books» -oui, oui, comme dans le film! Ces carnets allaient déjà plus loin que le simple enregistrement d'événements; les premières diaristes ajoutaient parfois des bribes de fiction au journal, des rêveries, des émotions...

Les débuts du journal en Occident furent beaucoup moins marqués de fantaisie. Les premiers journaux européens tiennent davantage du livre de bord, à la fois registre de naissances, de mariages et de de décès et livre de comptes. Les propriétaires de domaines y enregistraient les ventes et les achats, les informations reliées à la gestion de leurs terres et à la vie de leur famille. Ces premiers journaux, qu'on appelle également «livres de raison», étaient bien éloignés des «pillow books» japonais et n'avait pas grand'chose d'intime...

Rapidement, le journal a été récupéré par les congrégrations religieuses. Plusieurs traditions protestantes ont intégré le journal à la vie spirituelle de leurs fidèles, qui y inscrivaient leurs prières, actes de dévotion et, bien sûr, péchés! On dit que le journal a été amené en Amérique par les puritains du Mayflower. Les pasteurs enseignaient l'usage du journal aux jeunes enfants, entre autres, en faisant à la fois un outil d'éducation religieuse et d'apprentissage de la langue.

On raconte également que parmi les premiers journaux intimes figurent les journaux de sorcières, dans lesquels ces dernières consignaient recettes et potions en plus d'y inscrire les sorts qu'elles jetaient aux passants et aux villageois. La chose est plus crédible étant donné qu'au Moyen-âge, la plupart de celles qui passaient pour des sorcières étaient des paysannes qui ne savaient probablement pas écrire mais, tout de même, l'idée a quelque charme...

Si on ajoute à l'histoire du journal ce petit épisode de sorcellerie, c'est peut-être qu'il a longtemps été le seul genre littéraire auquel pouvaient se prêter les femmes. Mise à part la correspondance, le journal était bien souvent le seul acte d'écriture auquel pouvait prétendre la femme puisque la haute littérature était réservé, en priorité aux hommes. Plusieurs journaux intimes d'époque nous permettent de jeter un regard inédit sur la vie des femmes des temps passés.

Il fut également, et demeure, amplement utilisé par les écrivains, artistes, philosophes et penseurs de tout acabit comme tremplin à la créativité, réservoir d'idées et source d'inspiration. On lit encore aujourd'hui les journaux de Kafka, Anaïs Nin, Carl Jung, Julien Green, Hubert Aquin...

En somme, le journal a bien changé au fil des ans. Il est maintenant publié, lu et relu, tenu par une variété grandissante de diaristes d'un peu partout. On lui reconnaît des vertus thérapeutiques, on l'étudie dans les cours de littérature, les professeurs l'utilisent comme outil pédagogique et les internautes s'en donnent à coeur joie dans leur journaux en-ligne. Les genres littéraires qui peuvent prétendre à des telles modifications au cours des âges et à une telle versatilité sont rares!


Les informations historiques ont été puisées dans l'ouvrage The New Diary, de Tristine Rainer et dans le catalogue de l'exposition Un journal à soi, préparé par Philippe Lejeune.

Dites-moi ce qu'est pour vous un journal intime. Qu'est-ce que vous en attendez?