J.mag
Dernière mise à jour: 01/07/00
Numéro 3

Sommaire

Edito
Interview:
Incredule
Théorie:
Peut-on juger les journaux ?
Responsabilité
Pratique:
Comment j'écris: MöngôlO
Ailleurs:
The Voice Project
Boîte aux lettres
Frannie
Les participants


Edito

Le but d'un magazine n'est pas de véhiculer les idées généralement acceptées par la majorité. Même si ça devient de plus en plus à la mode dans les magazines pour jeunes qui se contentent de se copier entre eux et de décrire ce qu'ils voient en regardant les autres jeunes. C'est le cas en particulier dans les magazines pour jeunes filles (désolé les filles), mais ce n'est pas inexistant dans d'autres magazines. Le but d'un magazine est d'offrir un autre point de vue sur la réalité. Montrer ce que tout le monde ne voit pas. Proposer des nouvelles interprétations de la réalité. Lancer des discussions. En un mot être différent. Par exemple, un magazine d'information se doit de ne pas simplement rapporter ce qui s'est passé dans la semaine ou le mois. Les journaux d'information sont là pour ça. Le but d'un magazine d'information est de prendre du recul sur ce qui s'est passé, chercher des explications, et si possible montrer les motivations cachées des participants.

C'est le but que j'aimerais voir J.mag atteindre. Le but de J.mag n'est pas de simplement décrire ce que tout le monde peut voir en allant lire quelques journaux. Tout lecteur peut le faire et les journalistes qui se lancent dans des articles sur le sujet sans réellement se documenter et réfléchir le font très bien aussi. Le but de J.mag n'est pas de décrire que les journaux existent, et écrivent des pages, ce que les articles dans les magazines et journaux grand-public tendent à faire. C'est bien de montrer au public que les journaux existent (même si souvent ils sont présentés comme des bêtes curieuses), mais ça ne fait qu'effleurer la réalité. Ca n'explique pas les motivations, avouées ou cachées, les buts, ou les moyens.

Au contraire, j'aimerais que J.mag montre une autre réalité. Pas la réalité des journaux que les diaristes veulent voir parce qu'elle est plus confortable. La réalité de ce qui se passe derrière les pages. La réalité des motivations des diaristes. La réalité du monde des journaux onlines. La réalité de ce qu'est un journal online.

Il est évident que dans cette optique, J.mag choquera certains diaristes. Soit parce qu'il décrira un autre monde qui ne correspond pas à la vision qu'ils en avaient, soit parce qu'il montrera un aspect de ce monde qu'ils préfèreraient ignorer. Je me doute qu'on ne dira pas que du bien de ce magazine. Mais c'est un mal nécessaire. Si ça permet de remettre en cause la version officielle de la vie de diariste, alors il fait son travail et justifie son existence.

Et puis j'aime bien donner des coups de pieds dans la fourmilière.
 



Interview: Incredule

MöngôlO:  Pourquoi avoir mis ton journal online ? 

Incrédule: Je mets mon journal sur Internet pour partager des réflexions et reçevoir du «feedback». 

MöngôlO:  Est-ce que le fait que ton journal soit online est important en lui-même ou est-ce qu'un journal papier ferait l'affaire ?

Incrédule: Le fait qu'il soit sur Internet influence ma façon d'écrire et le contenu de mes entrées. En sachant que je suis lue, je fais un effort pour faire un texte qui soit cohérent, j'explique plus longuement certaines choses, tout comme je me censure parfois. En fait, je pense que je n'aurais pas de journal intimiste s'il était sur papier... car le fait d'être lue me motive à écrire.

MöngôlO:  Combien de temps passes-tu chaque jour sur ton journal ? Est-ce que c'est un temps raisonnable ?

Incrédule: Je peux prendre plusieurs jours pour écrire une seule entrée... (ce qui explique pourquoi je ne suis pas membre de Souvent *petit sourire*).   Je ne fais pas un compte rendu détaillé de mes activités jour après jour, mais plutôt une réflexion sur ce que j'ai éprouvé face à un événement spécifique de ma vie. Ce qui veut dire que je réfléchis beaucoup lorsque j'écris, pour comprendre mes émotions et en tirer des conclusions. 

Le temps que je prends pour écrire est donc très important pour moi car il me permet de faire du sens dans ce qui m'arrive.

MöngôlO:  Pourquoi un titre sur chaque entrée ? Comment tu le choisis ?

Incrédule: J'en mets un tout simplement parce que ça m'amuse. De façon générale, je choisis le titre après avoir terminé l'entrée... je relis mon texte une dernière fois et j'essaie de trouver un titre qui résume l'idée générale (en fait, c'est le bout que je préfère!)

MöngôlO:  Dès le début tu as beaucoup parlé de tes relations avec les gens. Pourquoi ?

Incrédule: J'ai choisi de parler de ce qui influence ma vie... des contacts qui me font évoluer et me questionner.  Ce n'est pas un secret que ce journal  me permet de faire une thérapie-maison... Cela m'aide à analyser et comprendre mes réactions face aux autres.

MöngôlO:  Et l'Ego ? Est-ce que tu es vraiment double (ou triple maintenant puisque «Ça» a rejoint «SuperEgo»), ou est-ce que c'est un artifice du discours ?

Incrédule: Autrement dit... est-ce que j'ai une personnalité multiple? ;)))

Bon, au début... j'entendais des voix, mais avec les médicaments psychotropes qu'on m'a prescrits, ces voix sont devenues des personnes que je peux voir réellement et qui.... MAIS NON, JE BLAGUE!! :))

J'ai initialement utilisé une entité nommée Ego pour m'aider à aborder certains sujets avec lesquels j'avais de la difficulté. Cela restait (comme tu le disais) un artifice du discours que j'ai naïvement utilisé pour faire comme si j'avais une conversation avec une personne qui me connaissait très bien et qui me poussait à être très franche avec moi-même. 

Mais un lecteur m'a par la suite expliqué que j'avais utilisé une des trois «instances» qui sont présentes en psychanalyse... Je ne connaissais pas grand chose sur les théories et les méthodes psychanalytiques de Freud alors je me suis informée pour en savoir plus. C'est donc suite à cela que sont apparues «Ça» et «SuperEgo» (qui est l'équivalent du «surmoi»).

Nous formons maintenant un joyeux (et parfois turbulent) ménage à trois que j'utilise surtout pour mes BD. 

MöngôlO:  Souvent tu utilises ces deux personnages pour dire ce que tu veux dire en montrant qu'ils te forcent à parler. Est-ce que tu as vraiment besoin d'eux ?

Incrédule: Bien sûr... d'autant plus qu'elles paient leur part du loyer et de la bouffe :)

MöngôlO:  En Septembre 98, tu te plaignais de ne pas avoir reçu de mails de tes lecteurs. Est-ce qu'ils sont si importants pour toi ?

Incrédule: C'était au tout début de mon journal et j'avais invité les gens à m'écrire (j'espère que je n'avais pas l'air de me plaindre à ce point!). Très peu de lecteurs écrivent aux diaristes... Moi-même, en tant que lectrice, j'écris rarement à ceux que je lis. Avec l'expérience j'ai compris que pour une personne qui t'écrit, au moins 10 ont pensé le faire mais n'ont pas osé. Ça reste quand même important pour moi de reçevoir des commentaires... car si partage mes réflexions sur Internet, c'est que je désire vivre un échange et j'aime bien avoir le point de vue des autres
personnes face aux sujets que j'aborde.  Et très honnêtement, je pense que si je ne reçevais plus jamais de courrier éventuellement, je n'écrirais plus. 

MöngôlO:  Est-ce que leur nombre est important ?

Incrédule: Non, pas vraiment... d'ailleurs, je n'en reçois pas tant que ça ces temps-ci. Mais j'écris un peu moins souvent pendant l'été.

MöngôlO:  Pourquoi avoir introduit les BDs dans ton journal ?

Incrédule: C'est une autre façon de m'exprimer. Le dessin a d'ailleurs été mon premier mode d'expression, ça me permettait de me défouler, de me détendre et ce, depuis que je suis toute petite. Par la suite, j'ai pris goût à l'écriture, sans doute parce que je travaillais dans le domaine des Arts et que c'est devenu un boulot, plutôt qu'un loisir.  Et puis l'an passé, j'ai pensé que je pourrais peut-être tenter de faire des BD pour me divertir... et j'ai décidé de les intégrer à mon journal.

MöngôlO:  Tu dis que dessiner est plus reposant qu'écrire, mais que tu penses moins quand tu dessines que quand tu écris. Comment tu choisis si tu vas écrire ou dessiner ce que tu veux dire ?

Incrédule: C'est l'inspiration du moment qui décide et comment j'ai envie de traiter un sujet. Parfois, je n'arrive pas à trouver les mots pour m'exprimer et le dessin me donne la chance d'y arriver d'une façon amusante... du moins pour moi.

MöngôlO:  En tant que graphiste, qu'est-ce que tu penses de ceux qui disent que les journaux francophones sont moches comparés à leurs équivalents anglophones ?

Incrédule: L'esthétique d'un site est un goût bien subjectif... Le médium utilisé est également parfois limitatif car on ne peut pas tous être des experts en création de page Web. On fait comme on peut avec les moyens qu'on a... Il faut également penser au fait qu'il y a beaucoup moins de sites de journaux francophones, donc moins de chance de retrouver des concepts élaborés (visuellement parlant). 

MöngôlO:  Tu as fait partie d'ateliers d'écriture depuis le début de ton journal. Est-ce qu'il ont des conséquences sur ton journal ?

Incrédule: C'est plutôt mon journal qui a eu des conséquences sur ma démarche d'écriture.  J'écris plus souvent qu'avant grâce à celui-ci. 

MöngôlO:  Est-ce que tu considères ton journal comme un travail d'écrivain ?

Incrédule: Non. 
Écrire mon journal, c'est un loisir qui me permet d'évoluer. Même si j'ai tout récemment exprimé le désir de pouvoir écrire un roman un jour, je ne pense pas avoir la persévérence et la discipline qu'il faut pour entreprendre un tel projet. 

MöngôlO:  Ayant fait partie de ces ateliers, donc sachant ce que veut dire écrire (contrairement à moi par exemple), comment est-ce que tu vois ton journal ?

Incrédule: C'est ateliers n'étaient qu'une façon d'apprivoiser et me familiariser avec l'écriture grâce à des jeux... c'était loin d'être des études poussées en littérature!  Comparons plutôt cela à un petit cours de perfectionnement pour pratiquer un sport préféré :)

Mais l'écriture de mon journal reste un mode d'expression, un partage de réflexions et une démarche pour me connaître un peu mieux, d'abord et avant tout. J'ai commencé ce journal il y a presque deux ans... et ça m'a été d'une grande aide pour à la fois exprimer et comprendre mes émotions que j'avais du mal à gérer.  Par le fait même, en recevant des courriers de lecteurs, j'ai pu constater que je n'étais pas la seule à éprouver ce genre de sentiments et de questionnements. C'est pourquoi la notion «d'échange» est importante quand je décris mon journal...  J'ai offert mes réflexions aux autres et certains ont eu la gentillesse de m'offrir les leurs.  Mon journal a donc été un outil indispensable pour le cheminement que j'ai accompli depuis deux ans. Il m'a obligée à prendre du temps pour réfléchir à ce qui m'arrivait, à être plus rationnelle (ou du moins essayer!) et à mieux définir une philosophie de vie pour que j'arrive trouver un certain équilibre. C'est un peu comme si j'élaborais, texte après texte, ma recette personnelle pour trouver le bonheur... et il me semble que ma vie est de plus en plus savoureuse! :)

MöngôlO:  Merci l'Incrédule.
 



Peut-on juger les journaux ?

Au fil des années que j'ai passées en tant que diariste, je me suis rendu compte d'une des phobies les plus partagées et des plus sensibles parmi les diaristes: le jugement. Dès que quelqu'un parle de juger un journal, de ce qui englobe tout ce qui s'approche de près ou de loin à regarder un journal de près en se posant des questions, c'est la bagarre généralisée. Une partie des diaristes considère que c'est scandaleux d'imaginer juger un journal, qu'un journal est personnel donc non jugeable par définition.

A titre d'exemple, voici une phrase trouvée dans le forum de la CEV: Pour moi, chacun perçoit l'écriture d'une façon différente, chaque journal a son style, et je ne pense pas qu'on puisse décemment dire "j'aime ou je n'aime pas" en parlant du journal de quelqu'un d'autre...

Cette attitude aurait un sens si les journaux se contentaient de raconter factuellement et le plus fidèlement possible les événements de la journée de leur auteur sans la moindre considération pour le style. Dans ce cas oui, il est difficile de juger. Chacun a sa vie et un jugement ne s'appuierait sur rien. Mais combien de journaux se contentent de raconter factuellement une journée ? Et parmi ceux qui le font, combien sont vraiment intéressants ? Comme le disait Zuby le mois dernier, si c'est pour lire que l'auteur d'un journal s'est brossé les dents, je préfère éviter de lire son journal, ça m'énerverait plus qu'autre chose de perdre mon temps sur une page. Pour prétendre à la catégorie intéressante pour des lecteurs extérieurs à la vie racontée, les journaux, en passant online, on dû changer leur nature. Pour que les lecteurs trouvent ce qu'ils lisent intéressant, il faut leur donner quelque chose de plus, quelque chose qui leur apporte quelque chose, quelque chose qui change leur vie, même si c'est à toute petite échelle. On ne devrait plus parler de journaux intimes sur Internet, mais de journaux online. Si les diaristes racontent plus que les simples faits sans le moindre travail personnel, donc s'ils ne racontent pas que ce sur quoi ils n'ont qu'un contrôle très limité, alors ils s'exposent au jugement.

Cette attitude est devenue claire pour la première fois quand il y a un an j'avais proposé de mettre en place un système de récompenses pour les diaristes sur le modèle des journaux anglophones. J'avais proposé de créer deux types de récompenses, les récompenses du public et celles d'un jury de diaristes, qui pourraient être attribuées à certains diaristes selon plusieurs catégories. J'avais même pensé que les décisions du jury seraient rendues publiques avec leurs raisons pour que tout le monde comprenne le choix des jurés, histoire de ne pas faire comme tous les systèmes de récompenses où le jury est une sorte de boîte noire dont rien ne sort. Dès que j'avais proposé l'idée, je m'étais trouvé confronté à une foule en colère qui me disait que c'était inacceptable d'imaginer porter un jugement sur les journaux, et qu'il était de toute façon impossible de mettre au point un système de jury juste (quelque soit le sens de "juste"). Plus tard, quand j'ai essayé de faire passer l'idée quand même parce que je m'étais rendu compte qu'il ne fallait pas attendre que les gens participent (ce magazine en est une autre preuve), nombre de diaristes m'ont écrit pour me dire qu'ils refusaient de faire partie des sélectionnés pour les récompenses. Je suppose que ce que cette colère cachait était la peur de ne pas obtenir de récompense et ainsi se retrouver placé à un niveau plus bas que d'autres journaux dans l'esprit des lecteurs. Ne pas avoir de récompense équivaudrait dans ce cas à perdre des lecteurs qui iraient voir les journaux qui eux ont reçu une récompense.

Quand j'ai lancé l'idée de ce magazine en proposant un exemple de sommaire pour donner une idée de ce qu'il serait aux diaristes qui voudraient participer, j'avais parlé de faire une section pratique où on pourrait chercher ce qui fait d'un journal un journal plus lisible et donc meilleur du point de vue des lecteurs. Là encore, j'ai reçu une série de mails qui me disaient en substance qu'il était hors de question que cette section cite des noms de journaux en exemple, soit en bien soit en mal, parce que ça équivaudrait à juger les journaux et les journaux ne peuvent pas être jugés. Cette section du magazine était donc inacceptable par principe.

L'argument principal (et le seul qu'on m'ait vraiment donné) dans ces deux histoires est le suivant: un journal est quelque chose de très personnel, il ne peut donc pas être le sujet d'un jugement. Je comprends l'impression qu'un diariste peut avoir quand son journal est jugé. Un journal est par définition un moyen d'expression très proche de son auteur, donc tout jugement porté au journal est perçu comme personnel. Moi aussi au début, quand je recevais des mails d'insultes, j'étais un peu tracassé parce que je les prenais personnellement. Mais est-ce que le fait qu'une chose est très personnelle fait d'elle quelque chose de non jugeable ? Ce n'est pas parce qu'un auteur est sensible aux jugements portés à son journal qu'il faut interdire toute activité critique quand les journaux sont concernés. Est-ce qu'une oeuvre d'art est jugeable ? Oui une oeuvre d'art est jugeable. On peut juger la technique, le sujet, le message, ou les réactions qu'elle provoque. Pourtant si on demandait aux artistes la relation qu'ils ont avec leur oeuvre, ils diraient qu'elle est quelque chose de très personnel aussi. Est-ce que les journaux sont différents de toutes les autres oeuvres ?

Souvent, l'argument qui accompagne l'interdiction de juger (mais c'est seulement un dérivé du premier) est que l'appréciation d'un journal est purement subjective (voir la citation plus haut). Qu'il n'y a pas de bon journal dans l'absolu, mais seulement des journaux que tel ou tel lecteur trouvent bien. Le fait de prétendre que l'appréciation est purement subjective n'en fait pas une vérité, et je renvoie tous ceux qui en doutent à Kant. Cet argument est absurde. Si je fais un journal extrêmement moche et mal écrit, tout le monde le trouvera moche et mal écrit, et les lecteurs ne reviendront pas. Au contraire, si j'ai un talent d'écrivain et que je fais un journal digne du Goncourt, les lecteurs s'en rendront compte et reviendront. Pourquoi est-ce qu'on ne pourrait pas formaliser ce fait par un jugement qu'on puisse communiquer aux autres ? Si la perception d'un journal est purement subjective, comment se fait-il que certains journaux ont plus d'un seul lecteur ? La probabilité que deux personnes dans l'univers aient exactement les mêmes goûts est très faible. De plus, si un journal est jugé seulement subjectivement par les lecteurs, alors sûrement coller une étiquette de jugement sur certains ne changera strictement rien à la qualité intrinsèque du journal.

Ce que les diaristes qui refusent d'être jugés craignent, c'est la disparition de la diversité. Comme si, par une sorte de formule magique, juger un journal reviendrait à le faire disparaître, et laisser en fin de compte que certains journaux (implicitement pas celui de ceux qui refusent le droit de juger, si j'en crois leurs craintes). Juger un journal semble être synonyme de disparition. Un peu comme si le jugement était une sorte de chasse aux journaux. Encore une fois, le nombre de lecteurs revient au-devant des motivations des diaristes. Certains tordent un peu l'attitude générale et disent qu'ils acceptent le jugement et la critique, mais refusent que ce jugement soit rendu publique. Est-ce qu'il faut en déduire qu'ils ont peur de perdre des lecteurs à cause d'un jugement qui pèserait sur leur journal ? J'ai tendance à le croire.

Mais en même temps que d'avoir peur de perdre la diversité des journaux (ce qu'on pourrait sous-titrer par perdre des lecteurs), refuser d'accepter l'existene d'un jugement revient à interdire aux lecteurs de penser par eux-mêmes et partager leur point de vue. J'ai une idée d'expérience intéressante: mettre un message qui décrirait pourquoi un certain journal est mauvais dans le forum de la CEV. Déclenchement de la 3ème guerre mondiale assuré ? Le fait est qu'on trouve extrêmement peu d'avis sur les journaux dans les listes et les forums. Un peu comme si c'était un tabou pour les diaristes ainsi que pour les lecteurs. On ne parle pas de ce qu'on aime ou n'aime pas comme on ne parle pas de sexe à table. C'est sale. Est-ce que ces diaristes qui veulent sauvegarder leur diversité ont le droit de refuser aux lecteur la diversité de leur jugement ?

Tout ce qui reviendrait à placer une échelle de valeur sur les journaux est tabou et à la limite (extérieure) de l'insulte. Pourtant il faut bien se mettre en tête que les journaux sont jugés toute la journée par tous les lecteurs. Comment est-ce qu'ils choisissent les journaux qu'ils vont revenir lire ? En jugeant et comparant les journaux qu'ils essaient bien sûr. Et ce n'est pas en faisant semblant de ne pas le savoir que ça empêche la chose d'exister. Ce n'est pas en refusant d'admettre et d'entendre que les journaux sont jugés sans arrêt que le jugement n'existe pas. Les journaux anglophones ont une attitude complètement différence vis-à-vis du jugement: ils acceptent que leurs journaux sont jugés et au lieu d'interdire tout jugement critique par principe comme dans un régime bien stalinien, ils sont fiers quand le jugement qu'on porte sur leur journal est favorable. Le seul moyen de ne pas être jugé est de ne pas être lu, donc de ne pas mettre son journal sur Internet.
 



Responsabilité

Il y a une chose dont on n'entend jamais parler parmi les diaristes: la responsabilité. Cette absence est sûrement liée au reniement de l'existence du lecteur: pas de lecteur, pas de responsabilité. Pourtant, en tant que personnes s'adressant à un groupe d'autres personnes, on ne peut échapper à nos responsabilités. A mon sens, cette responsabilité peut être divisée en deux catégories: la responsabilité de diariste en tant que producteur, et celle de personne pensante s'adressant à d'autres personnes pensantes.

En tant que diariste qui met son journal online, je m'engage implicitement à essayer de plaire aux lecteurs qui viennent me lire. Ca fait partie du contrat moral que j'ai avec mes lecteurs. Si je refuse ce contrat, alors je devrais retirer mon journal du lieu publique où il se trouve parce que de toute évidence le médium que j'ai choisi est le mauvais. Même si je prétends comme beaucoup que je n'écris que pour moi, en pratique je fais tout ce que je peux pour que le lecteur soit content de venir (même si j'arrive à me convaincre que ce n'est pas le cas pour mon propre confort). En tant que diariste qui met son journal online, je prends l'engagement de produire pour ces lecteurs autant que possible. Je sais que c'est frustrant pour les lecteurs de venir et de ne pas trouver de nouvelles pages, alors je fais mon possible pour qu'à chaque passage ou presque des nouvelles pages soient disponibles. Les journaux qui se prétendent en activité mais ne présentent une nouvelle page que tous les mois ou moins sont simplement une insulte à leur lectorat. C'est une façon de leur dire qu'ils n'existent pas et que je n'en ai rien à faire.

Quand j'ai commencé mon journal, certains lecteurs me disaient qu'ils admiraient ce que je racontais ou que je leur montrais la voie. Jamais je n'ai été aussi près de fermer mon journal que 6 mois après l'avoir commencé. C'était terrifiant. Je me suis dit à l'époque que j'arrêterais mon journal le jour où mes lecteurs me feraient peur. C'était terrifiant parce que non seulement ce que j'écrivais était lu, ce qui en soi est déjà inquiétant, mais en plus son contenu était pris et certains en faisaient quelque chose que je ne visais pas. Je ne me suis jamais dit que j'allais écrire pour apprendre quelque chose aux autres. Je me contente d'écrire les questions que je me pose, et certaines fois les réponses que je propose. Je ne sais rien moi-même. Plus récemment, la lecture de J.mag a fait comprendre à une diariste (Besch, maintenant à l'Orphelinat) qu'elle ne trouverait pas ce qu'elle cherchait dans son journal. Qu'elle s'était méprise sur ce qu'était un journal online, et qu'il était donc plus sage d'arrêter. Le but de l'article en question n'était pas du tout de faire arrêter les diaristes, mais seulement de leur montrer un autre point de vue sur leur réalité. Le fait que cette diariste décide d'arrêter son journal est hors de mon contrôle.

Cette responsabilité est amplifiée par le fait que les diaristes semblent lointains (beaucoup de lecteurs me disent qu'ils n'ont pas osé m'écrire plus tôt parce qu'ils étaient intimidés), s'expriment à travers un médium qui les dépasse et qu'ils semblent cependant contrôler, et que pour certains ils semblent assez sûrs d'eux-mêmes pour influencer le système de valeurs de leurs lecteurs. Regarde les acteurs: dans l'ensemble ils ne sont pas meilleurs que le reste de la population (en terme d'apparence ou d'intelligence) et sont généralement moins cultivés que certaines tranches de la population qui ont fait des études approfondies, et pourtant le simple fait qu'ils se montrent sur les écrans de cinéma ou à la télé fait d'eux des idoles pour les jeunes et des références que certains journalistes pas bien fins interrogent sur l'avenir de la politique économique européenne, le sens de tel événement dans l'Histoire, ou la justification morale de telle ou telle guerre. Le simple fait d'apparaître à travers un médium fait d'eux quelque chose qu'ils ne sont pas par eux-mêmes. Evidemment, ce phénomène existe à bien moindre échelle parmi les diaristes, mais les réactions de certains lecteurs me donnent l'impression qu'il existe bel et bien.

La responsabilité de producteur est plutôt facile à accepter une fois qu'on a accepté qu'on écrit pour les lecteurs. Par contre, la responsabilité d'être intelligent est plus difficile à accepter. D'autant plus qu'on n'a aucun contrôle sur ce qui advient de ce qu'on écrit une fois que c'est mis online. Mais le manque de contrôle ne libère pas de la responsabilité elle-même. Quand un diariste écrit, il devrait se demander l'effet que ça va produire et retirer ce qu'il pense être superflu ou prône à la mésinterprétation.
 



Comment j'écris: MöngôlO

Mon scénario d'écriture est toujours le même et est bien huilé maintenant après plus de 3 ans de pratique. Je me mets à écrire mes pages toujours au moment de me coucher. Généralement entre 23h30 et 01h00. J'ai besoin qu'il soit tard pour écrire. J'ai besoin de pouvoir laisser mes impressions et mes idées remonter à la surface. Dans la journée, je fais trop attention à ce que je dis et j'étouffe trop mon ego pour pouvoir écrire. L'avantage de la nuit est qu'elle est calme, que je suis tout seul, et que la fatigue me fait relâcher mon contrôle. Ca peut paraître paradoxal, mais j'ai besoin de perdre le contrôle de moi-même pour écrire. Sinon mon imagination est enfermée.

J'évite généralement toute source de bruit parce que je suis très sensible au bruit et ça me déconcentre. J'ai essayé d'écrire avec de la musique, mais je finissais toujours par écouter la musique au lieu de penser à mes pages et au bout d'une heure je n'avais pas écrit 5 phrases. Après ça j'étais généralement trop fatigué pour continuer et ça finissait par un jour sans page.

Quand je m'installe devant mon ordinateur, je ne sais généralement pas ce que je vais écrire. Et je m'empêche d'y penser jusqu'au moment où je commence vraiment à écrire. Pas vraiment que ça soit important, juste que je fais les choses dans l'ordre. La première étape est de tout démarrer, ordinateurs et programmes, pour pouvoir créer mes pages. Comme je suis paresseux, j'utilise Netscape composer et je mets au point le HTML à la main quand Netscape fait des siennes (ce qui arrive souvent). Ensuite, après avoir ouvert une nouvelle page, je mets à jour les liens vers les pages anniversaires. Je relis très rarement ces pages parce qu'elles ne m'intéressent pas. Je me contente de tester si elles existent, et si oui de mettre un lien vers elles.

Quand tout est en place, je regarde ma page vide, et je laisse aller mon imagination. Je repense à la journée, aux souvenirs qui sont liés à cette journée, et au bout d'un moment je me mets à écrire. Souvent, au moment où j'écris la première phrase, je ne sais pas exactement ce que je vais dire. Je ne fais pas de l'écriture automatique, mais je commence par écrire une idée, que j'efface généralement quand la vraie idée est apparue. Les idées attirent les idées. Quand le premier paragraphe est écrit, je sais généralement ce que je vais dire. C'est un peu comme si les pages s'écrivaient toutes seules, ou au moins choisissaient le sujet du jour.

Avec le temps, mes pages ont pris une structure presque immuable: le premier paragraphe annonce ce que je vais dire, les paragraphes du milieu explique pourquoi je dis ce que je dis, et le dernier paragraphe sert de conclusion. Les profs de français seraient tellement fiers de moi. Je n'ai pas choisi cette forme, et au début j'écrivais differemment. Elle est venue toute seule, sans que je décide de l'utiliser. Mais quand je m'en suis rendu compte, je me suis dit que c'était encore la meilleure méthode pour raconter ce que je voulais raconter sans me perdre et sans perdre le lecteur.

Depuis un peu plus d'un an, mes pages contiennent en généralement une seule idée. Avant je pouvais écrire plusieurs choses différentes sur la même page, mais discuter assez en profondeur de plusieurs idées en même temps prend trop de temps. Je préfère me concentrer sur une seule chose à al fois. Quand j'ai plusieurs choses à dire, je les note dans mon cahier ou sur un bout de papier pour une autre fois si j'ai envie d'y revenir. Je peux me permettre de remettre à plus tard puisque mon journal est assez peu lié au temps. Je ne raconte que très rarement mes journées, donc mes idées peuvent être expliquées une autre fois.

Quand j'écris, je fais très peu d'édition. Je prends un paragraphe par idée pour rendre les choses claires, et j'écris un un jet. Je ne me dis pas que je vais revenir développer telle ou telle idée plus tard quand j'aurai fini le reste de la page. Si ça ne vient pas au moment où j'écris, c'est rarement ajouté. Si je me mettais à travailler mes pages, non seulement ça reviendrait à dire que mon journal est devenu un travail plutôt qu'une expression directe de moi-même, mais il faudrait aussi que je me mette à travailer sur les autres aspects comme le style. Si je me lançais dans ces travaux, je ne pourrais plus écrire mes pages en 1 heure, donc je ne pourrais plus en écrire autant.

Une fois que j'ai raconté ce que je voulais raconter, je fais souvent une relecture pour chercher les fautes d'orthographe. Mais cette étape saute quand il est trop tard parce que je n'en ai pas le courage. Je regarde si les paragraphes sont de taille sensiblement égale, et si ce n'est pas le cas, je vois pourquoi. Au besoin, j'en coupe un en plusieurs plus petits pour que ça soit plus clair.

Finalement, je mets à jour les liens entre les pages, précédentes et suivantes, et les index. L'opération m'a pris entre 30 minutes et 1h30.
 



Ailleurs: The Voice Project

Ailleurs - The Voice Project

Reality Asylum, le journal de Rien, avait déjà été cité dans le premier numéro de JMag. Son auteur souhaite lancer un autre projet à court terme : the Voice Project.

Sur une pièce musicale de son choix, il souhaite intégrer le plus possible d'effets vocaux. Les diaristes et lecteurs peuvent envoyer leurs contributions par e-mail ou par voie postale. La langue, le contenu et la qualité sont laissés libres.

Les participants retenus se verront offrir le résultat final compilé sur CDROM avec les archives de Reality Asylum 2000.
Tous les détails sont expliqués sur cette page : http://www.rienz.demon.nl/x.
 



Boîte aux lettres

Salut,

A propos de l'édito : certes, je suppose qu'un certain nombre de lecteurs sont effectivement des consommateurs passifs (bien qu'il soit précisément difficile d'en savoir plus à leur propos), mais peut-être ta condamnation est-elle un peu rapide (même si je la comprends très bien). Avant d'être diariste, j'ai été lectrice de journaux pendant un certain temps et je n'ai osé écrire à un diariste qu'une seule fois (c'était le Tisserand, il y a un an de cela au moins) ; mais ce n'était pas par manque d'intérêt que je n'écrivais pas aux autres, mais souvent par timidité. Et, bien que le principe des journaux publiés sur Internet soit précisément l'indiscrétion, je me sentais dans une position bizarre vis-à-vis de ces diaristes dont je connaissais la vie et les pensées mais qui ne savaient rien de moi ; j'avais l'impression d'être une enfant trop curieuse qui a lu ce qu'elle n'aurait pas dû et qui veut le cacher. J'avais peur aussi d'être déçue par la personnalité que ces diaristes exprimeraient dans leurs lettres ; s'ils n'avaient pas correspondu à l'image que je m'en étais fait, je me serais sentie trahie. Certains diaristes peuvent aussi donner l'impression - involontairement, peut-être - de ne pas être très réceptifs au courrier qu'ils pourraient recevoir, surtout ceux qui affirment n'écrire que pour eux (et je trouve très juste ce que tu as écrit à ce sujet). Quant aux dialogues sur les forums ou à la mailing-list, je n'en avais pas eu connaissance ; je lisais certains journaux que j'avais trouvés par Yahoo sans m'être jamais rendue sur les sites des webrings. Certes, tout ce que je viens de dire ne concerne que moi, mais je pense que je ne dois pas être la seule dans ce cas ; tu as raison d'appeler les lecteurs à se manifester, mais peut-être certains seront-ils effarouchés par les critiques que tu leur adresses...

A propos de l'article de Zuby, "Liberté et démocratisation de la publication VS la qualité des journaux web" : tu parles d'un temps que je n'ai pas connu... Mais ce n'est pas de cela que je voulais parler. D'abord, je trouve un peu dommage que, partant d'une idée vraiment intéressante (celle que tu énonces dans le titre), tu ne l'exploites pas complètement puisque tu enchaînes plutôt sur le moindre succès rencontré par les journaux actuels (thème tout aussi intéressant, mais pas celui que j'espérais voir traiter dans l'article) ; cet enchaînement est compréhensible, mais pas nécessaire : je ne suis pas certaine que l'absence de succès corresponde toujours à l'absence de qualité que tu dénonçais au début de l'article (et qui est souvent bien réelle...). Pour ce qui est de la baisse générale de la qualité, j'y réfléchis souvent aussi. On ne peut pas l'empêcher (ce n'est pas l'aide en français de la CEV qui va changer les choses, malheureusement), ce serait remettre en cause le principe d'Internet. Du coup, c'est aux lecteurs de faire le tri - et les journaux intéressants se retrouvent noyés dans une masse. Je me suis demandé s'il ne serait pas possible de créer un webring qui exigerait un certain niveau de qualité (comme Souvent exige une certaine quantité), mais je vois bien tous les problèmes que cela pose : d'abord, qui déciderait de la valeur de tel ou tel journal ? et cette valeur résiderait-elle dans la qualité de la langue, dans l'intérêt des entrées...? La quantité est une mesure objective qui ne peut pas blesser une personne, pour la qualité, c'est tout à fait autre chose. Ce serait risquer de décourager, de heurter des gens, ce serait aussi un bon moyen de se faire détester (j'ai déjà entendu parler, même si je n'étais pas là à l'époque, des problèmes que tu as eu avec la SDV, qui ne pose pourtant pas de conditions draconiennes - alors, j'imagine ce que ce serait...), et un tel webring aurait toutes les chances d'être snobé au moins par les diaristes, sinon par les lecteurs extérieurs au circuit. Ce n'est donc sans doute pas une bonne solution. Et pourtant... J'aimerais bien savoir si tu as eu d'autres idées.
 


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