J.mag
Dernière mise à jour: 01/08/00
Numéro 4

Sommaire

Edito
Interview:
Réal
Théorie:
Peut-on juger les journaux ?
Tout sur les Eurodiaristes !
L'écriture est-elle nécessairement solitaire ?
Pratique:
Comment j'écris: Frannie
Ailleurs:
Weblogs et services de publication
Images
Boîte aux lettres
Les participants


Edito

Des participations! Pas une, ni deux, mais plein! Une première qui me rassure. Après trois numéros avec seulement la participation du même groupe de diaristes et de lecteurs, je commençais à me demander où on était en train d'aller. La douce pente vers l'oubli et l'inutilité ? J.mag deviendrait une sorte d'accident de l'histoire dont les diaristes de l'année prochaine entendront vaguement parler les anciens mais ne verront jamais de près ?
«- Dis papa, c'est quoi un arbre ?
- C'était un truc marron en bois avec des feuilles organiques aux extrémités.
- Tu veux dire qu'ils étaient pas en plastique comme ceux qu'on a maintenant ?
- (soupir)
- Et c'était quoi J.mag de quand t'étais diariste ?
- (soupir)»
Où sont les 91 diaristes recensés à la CEV en Juillet ? Juste des fantômes qui se matérialisent pour envoyer des pages sur un site et cessent d'exister dès que la confirmation de l'envoi arrive ? Ou seulement des créations des trois ou quatre diaristes qui existent vraiment et qui se font croire mutuellement qu'ils sont nombreux ? Et où sont les lecteurs ? Les centaines de lecteurs quotidiens de certains journaux et les moins nombreux d'autres ? J.mag est aussi pour eux, on devrait les entendre.

Et parmi ces participations, pas n'importe quoi: Philippe Lejeune (l'auteur de Pour l'autobiographie chez Seuil et de Cher Ecran à paraître chez Seuil aussi). Et après on va me dire que J.mag n'est pas sérieux.

Je vais vous dire un secret. Au moment de la création de J.mag, j'avais planifié sur 6 mois. Avant de me lancer, j'avais décidé du contenu de mes articles pour les 6 premiers numéros (plus quelques autres que je garde pour l'instant dans un coin parce qu'ils sont légèrement trop provocateurs). Après ça, j'avais prévu d'entrer dans une zone d'incertitude où la survie de J.mag deviendrait dépendante de la participation des autres diaristes et des lecteurs. Si les choses continuent comme pour ce numéro, J.mag continuera peut-être à exister après ces 6 mois.
 



Interview: Amèriq - Réal Yté

Tehu: Emberlificoteur de mots, Réal poursuit la route avec Amèriq (chapitre I et II), après avoir débuté par le journal de Réal. Attention terrain découvert. Le lecteur qui découvre par hasard l'Amèriq, repart souvent perplexe, se demandant s'il ne s'est pas trompé de continent.
Avant de commencer l'interview, je dois confesser que ce que je préfère dans l'Amèriq de Réal, ce sont ses titres. Et ça tombe bien, puisque les titres sont de retour... Même si je ne comprends pas tout.

Tehu: En exergue de ton journal, tu avais inscrit : "A good diarist is a dead diarist." Explain why :-)

Réal: Because ;) Un bon diariste est un diariste mort. Littéralement. Un bon diariste est celui qui imite la vie dans son journal, celui qui transcende le cyber et qui nous fait dire "merde, ce que c'est emmerdant tout ça..." Tout bonnement le plat récit de ce qu'est sa vie, sans toutefois en faire ressortir l'essence qui fait sa particularité. Un interminable documentaire-vérité du quotidien de l'individu; voici Gérard au lit, il se lève à l'aurore, boit son café, lit son journal, se douche à la presse et se rend au boulot. Oh, le voilà qui revient de sa dure journée de labeur, qu'il a l'air crevé! Gérard se prépare un mets congelé, nourrit le chat et termine la soirée dans un chatroom où il peut enfin (sic) partager avec le monde (re-sic) de ce qu'il est et de ses aspirations!
On est bien loin de la réalité, à mille lieux. Un bon diariste est celui qui nous emmerde, il est descriptif au possible, sans saveur ni couleur. Ah oui, j'oubliais, il a de belles couleurs sur sa page, de belles couleurs pastels.

Tehu: Sur une seule page, tu aimes procéder par des associations ou des néologismes, passer du coq à l'âne, passer de l'anglais au français et vice-versa... En somme, est-ce que tu aimes dérouter le lecteur ? Est-ce que l'idée te plait ?

Réal: Est-ce que j'aime dérouter le lecteur? Je ne pourrai jamais le dérouter plus qu'il ne me déroute lui-même (le lecteur). Mes entrées sont le fruit de ce qui me passe par la tête au moment de les écrires. Plusieurs choses me viennent en tête, tellement que j'en perds le fil. Je n'écris pas mes entrées en anticipant une réaction de celui qui me lit, quoique parfois...
Et puis si le lecteur est déstabilisé et ne comprend pas toujours ce que j'écris, tant mieux, qu'il se débrouille. On ne vient pas lire Amèriq pour savoir si mon week-end fut charmant, on s'en balance et je ne m'en porte que mieux.

Tehu: D'une manière générale, quelles sont les réactions des lecteurs qui t'écrivent pour la première fois ? Si un lecteur t'écrivait "Je ne comprends pas tout", que serais-tu tenté de répondre ?

Réal: C'est toujours la même remarque lorsque l'on m'écrit pour la première fois. "Je ne comprend pas tout ce que tu écris, suis-je normal?" ou des trucs du genre; "T'as un bon revendeur, me refilerais-tu son adresse ?". Invariablement je réponds, ne vous en faites pas, moi non plus, je ne comprends pas tout ce que j'écris et je crois bien que la journée où je comprendrai absolument tout, j'arrêterai­.

Tehu: A la fin du Journal de Réal, tu as consacré quelques pages à tes souvenirs d'enfance. Quelle impression en as-tu retiré ?

Réal: Je croyais vraiment arrêter pour de bon à ce moment là et je me suis dit que pour une fois, je plongerais sans gênes dans mes souvenirs. Des souvenirs d'enfance, nostalgiques, pour la plupart. Une impression de déjà vu, plus ou moins intense. Des corridors poussiéreux, des coins sombres, des portes que je n'avais pas ouvertes depuis des années. Un regard songeur sur ce que j'avais déjà été. Je suis un de ces nostalgiques ayant l'auto-flagellation facile.

Tehu: Quand tu t'assoies devant ton clavier pour débuter une page, est-ce que tu sais à peu près comment ça va se dérouler ? T'arrive-t-il de passer une journée à noter (mentalement ou sur un carnet) ce que tu vas écrire dans la prochaine entrée ?

Réal: Non, pas du tout. La page est blanche, sans esquisse. Comme je le disais précédemment, j'écris ce qui me passe par la tête au moment de l'écrire. Pas que je n'aimerais pas parfois me souvenir de certaines pensées, d'une idée en particulier ayant pris forme au cours de ma journée. Je tente parfois de conserver quelques éclairs plus ou moins "attrayants" mais bon... Je ne note pas, que ce soit mentalement ou sur papier. J'ai souvenir, tout au plus, d'un moment, d'un instant, d'un visage ou d'une impression, sans plus. J'avoue que ce serait sans doute un plus, parfois, d'avoir recours à des notes.

Téhu: Tu as dit que tu lisais beaucoup en anglais. Est-ce que cela influence ta manière d'écrire ? Pour le vocabulaire, bien sûr... Mais aussi pour les tournures, les phrases...

Réal: Parfois, sans pour autant que ce soit vraiment conscient. Je me libère, la plupart du temps, des carcans linguistiques et formels. Les expressions anglaises me permettent parfois d'exprimer plus justement une idée, une pensée ou mieux, une montée de lait. (Quelle paresseuse expression !)

Tehu: Est-ce qu'il t'arrive d'écrire des expressions, de faire des allusions que seuls les québécois peuvent comprendre ? Question naïve de la part d'un européen.

Réal: Oui, il arrive parfois que j'utilise des expressions typiquement québécoises ou encore que j'écrive en joual. Il serait alors étonnant qu'un européen y comprenne quelque chose. Du charabia de sauvage colonisé. (C'est ce que l'on m'a déjà écrit !)

Tehu: Si ta fille aînée te demande un jour "Papa je veux publier un journal sur le web !", qu'est-ce que tu lui réponds ? 

Réal: N'en parle à personne! Pas même à moi. Ne donne pas l'url à tes amis, garde tout ça pour toi. Ne te limite pas en sachant qui te lit, c'est le meilleur moyen d'éviter la censure, peu importe la forme qu'elle pourrait prendre. Crois-en ma vieille expérience... :)
 



Peut-on juger les journaux ?

Comme suite à l'article de Mongolo « Peut-on juger les journaux ? » j'ai eu envie de partager ma vision des choses. Je fais partie des nombreux diaristes qui pensent que c'est impossible de juger de la qualité d'un journal. En fait, oui, c'est possible de juger de la qualité d'un journal, mais pour cela il faudrait déterminer les normes. Qu'est-ce qui fait qu'un journal est bon ou mauvais ?

 - Les sujets abordés ? Non, car ce qui me touche, ce qui me captive. n'intéresse pas nécessairement le voisin.

- Le côté visuel du site ? Encore là, c'est très relatif. Un agencement de couleurs peut me sembler très harmonieux, mais peut s'avérer agressant voire affreux pour une autre personne.

- La qualité du français, le style littéraire ? Cela dépend des lecteurs. Les lecteurs moins cultivés, instruit préféreront un journal qu'ils peuvent lire et comprendre, sans pour autant utiliser un dictionnaire. Tandis que d'autres, recherchent un journal écrit avec un français impeccable, un journal riche en vocabulaire.

- Le nombre de lecteurs ? J'ai soulevé la question sur le forum de la CEV. On m'a répondu que le nombre de lecteurs ne pouvait être un bon indicateur de la qualité d'un journal, car certains journaux bénéficient d'un avantage à cause de la publicité, des médias, des rumeurs, des liens de journal en journal, etc. 

Tu as écrit : « Si je fais un journal extrêmement moche et mal écrit, tout le monde le trouvera moche et mal écrit, et les lecteurs ne reviendront pas. Au contraire, si j'ai un talent d'écrivain et que je fais un journal digne du Goncourt, les lecteurs s'en rendront compte et reviendront. » Tout n'est pas blanc ou noir, il existe également des zones grises. Ce que tu juges comme des « chefs-d'ouvre » ne le sont pas nécessairement à mes yeux, et vis versa. Je discutais avec une amie diariste, et pour s'amuser on a dressé la liste de nos journaux préférés, et sa liste était très différente de la mienne. Tu as également écrit : « Est-ce qu'une oeuvre d'art est jugeable ? » Bien sûr qu'on peut juger une ouvre d'art, cependant ne s'improvise pas critique d'arts qui veut. Il y a des normes, des critères sur lesquels les experts se basent. C'est vrai que je peux quand même partager mon opinion avec les gens qui m'accompagnent au musée, mais jamais je ne me permettrais de me prononcer publiquement. Je pense que c'est le même principe pour les journaux intimes. Comme tout le monde, il y a des journaux que j'aime, et d'autres que je n'aime pas. Je parle ouvertement de ce qui me plaît et de ce qui me plaît moins. Cependant, j'aborde le sujet de façon globale, en prenant soin de ne pointer personne. Pourquoi ? Tout simplement, parce que je suis consciente que je juge selon mes goûts personnels et non en me basant sur des normes établies. À ma connaissance, il n'y a pas encore de normes, de standards pour juger de la qualité d'un journal. J'aime l'écriture, j'aime les journaux intimes, mais je ne suis pas une experte. 

Tu as écrit : « Est-ce qu'il faut en déduire qu'ils ont peur de perdre des lecteurs à cause d'un jugement qui pèserait sur leur journal ? J'ai tendance à le croire. » Si c'est vraiment ce que tu penses, c'est parce que tu n'as rien compris. Je suis certaine, qu'un tel jugement ne ferait qu'attiser la curiosité des lecteurs. En jetant un oeil sur les statistiques du site de la CEV, j'ai remarqué que plus il y a de confusions et de débats houleux sur le forum, plus le nombre de lecteurs augmentent. Il y a un dicton qui dit : « Qu'on en parle en bien ou en mal, mais qu'on en parle !! » 

Je trouve que c'est intéressant d'échanger sur les journaux intimes, de savoir ce que les autres aiment ou n'aiment pas. Je pense même que cela peut m'aider à améliorer mon propre journal. Tant et aussi longtemps qu'on aborde le sujet sans nommer, sans viser de journaux en particulier. moi je n'y vois aucune objection, bien au contraire. Par contre, si on prend un journal, qu'on l'analyse publiquement en disant « Je n'aime pas ta mise en page, et tu devrais améliorer ton style littéraire !! » là non, je ne suis pas d'accord. Je ne serais jamais d'accord !! Il y a quelqu'un dans notre petit monde d'écrivaillon qui a la prétention d'être de la trempe de Foglia, ou encore de Kafka? Il y a quelqu'un qui a la prétention de croire que ses goûts personnels établissent les normes absolues de qualité ? Si la réponse est non, alors de quel droit cataloguer radicalement et publiquement le journal intime d'un autre ? Je pense que de juger ces pairs, ces semblables, c'est de se placer bien au-dessus d'eux !! 
 



Tout sur les Eurodiaristes !

Internet a beau être universel, il est cloisonné, monolingue et sourd. C’est toujours : « les Français parlent aux Français », les Anglais aux Anglais, etc. Chacun chez soi, ya pas plus villageois. Moi le premier ! Depuis un an que je lis des journaux en ligne, j’ai rarement fait un tour à l’étranger. Sauf au Québec, bien sûr, puisque presque tous les journaux francophones sont québécois. Et puis, dès qu’on sait une langue étrangère, c’est l’anglais, fatal – enfin l’américain... Mais quand on vit en France, et qu’on aime lire les journaux en ligne, ça devrait être intéressant de savoir ce qui se passe à côté, disons en Italie, en Allemagne, en Espagne. Ont-ils beaucoup de journaux ? Les font-ils de la même manière ? Ont-ils, eux aussi, des webrings ? Peut-être y a-t-il des idées à leur prendre ? Des gens intéressants à rencontrer ? Et puis, soi-même, on se verrait autrement... Pourquoi chercher toujours la ressemblance ?... Sur Internet, pourtant, les quatre coins de l’Europe sont la porte à côté. En Suède il y a, paraît-il, plein de journaux, eh oui, en suédois ! Mais peut-être que Mongolo, ou un membre actif de la Communauté des écrits virtuels, sait le suédois, il pourrait aller voir et nous raconter ? Ou bien il y a un Suédois de ces journaux qui sait le français ? Moi, individuellement, je me sens incapable, mais tout de même, c’est pas la peine d’avoir, oui, quatre cercles de diaristes francophones et qu’aucun d’eux ne se bouge ! Quand ils font des liens, c’est toujours vers de l’anglais. Ou des petits pique-nique entre copains. J’avoue, j’ai la passion européenne. L’Europe existera quand les gens se liront entre eux. Les communes, les lycées, font des jumelages. Alors, vous, adoptez un journal d’un autre pays ! C’est mieux que la méthode Assimil... – Tout ça pour dire que ça serait bien qu’un peu d’air circule. – Oui, oui, je vois bien que je suis injuste. J’exagère – juste un peu. D’abord, la Société des Diaristes virtuels a de bonnes intentions : elle affiche une rubrique « Diaristes du monde », pour l’instant inerte. Ici même Tehu nous balade vers d’autres sites, mais toujours dans le cercle magique anglophone. Et puis j’admire l’action des personnes qui ont créé les quatre cercles, et qui les animent actuellement. C’est grâce à elles que le domaine francophone existe, est si vivant, si chaleureux. Justement : elles pourraient aider les diaristes d’autres pays d’Europe à s’organiser. Mais peut-être le sont-ils déjà ? Je brûle de savoir. Pourquoi J.mag n’accueillirait-il pas, chaque mois, un petit reportage sur les cyberdiaristes d’un autre pays ? Je connais des gens qui s’intéressent aux écrits autobiographiques dans beaucoup de pays d’Europe: s’ils sont sur le Net, ils pourraient jeter un coup d’œil et nous dire ? Ou bien vous-même vous avez des contacts, ou tout simplement, vous savez l’espagnol, l’allemand, le finlandais – allez-voir et dites-nous ! J’imagine : octobre 2000, J.mag n° 6, reportage sur l’Italie ; novembre, n° 7, sur le Portugal et le Brésil ; décembre... à suivre ! - Je crois au père Noël ?
 



L'écriture est-elle nécessairement solitaire ?

Au cours de mon exercice presque quotidien ces dernières années, j'ai eu l'occasion de me rendre compte que la présence d'étrangers (au sens de personnes autres que moi) m'empêchait d'écrire. Même quand ils sont supposés ne pas interférer directement avec ce que je fais, leur simple présence suffit à me faire regarder ma page blanche pendant des heures sans parvenir à écrire quoique ce soit. Par exemple, quand Mme BB est dans mon appartement, j'écris très rarement, et je me contente plutôt de prendre des notes pour pouvoir écrire plus tard quand je suis seul. Ceci m'a amené à me demander: est-ce que l'écriture de journal est nécessairement solitaire ?

Il y a des journaux écrits par plusieurs personnes. Par exemple le Journal à 4 Mains, La Luciole et Alegria, Fred et Eva. Mais ils ne veulent pas dire que l'écriture est faite en commun. D'après ce que j'en comprends, ces journaux sont écrits séparément, soit séquentiellement, soit parallèlement, mais toujours par des gens séparés géographiquement. C'est le produit fini qui est en commun, pas le processus de création. Au début de mes agissements de diariste, il y avait aussi un journal de groupe dont j'ai oublié le nom. Mais si je me souviens bien, ça n'a jamais marché et les mises à jours se sont faites de plus en plus rares jusqu'à disparaître. Il n'y a pas à ma connaissance de journal élaboré en groupe qui survive plus de quelques tentatives.

Le journal est un type d'écriture à part. Il est le seul type d'écriture qui soit purement personnel dans son processus. Les autres types d'écriture peuvent toujours être revus et corrigés par des étrangers (par exemple un éditeur) pendant qu'ils sont créés. Et souvent les romans sont écrits par un auteur qui demande des conseils et fait corriger son oeuvre par un groupe de connaissances. Le processus peut être publique et ouvert. Au contraire, le processus d'écriture du journal est privé et fermé. On écrit son journal pour/par soi. Quelques soient mes motivations pour écrire un journal (là je pense plus particulièrement aux journaux papier), que ce soit pour garder une trace de ma vie, pour m'envoyer des lettres dans le futur, ou tirer les choses au clair, je pense seulement au public en tant que moi transposé dans le temps ou l'espace. Certains journaux ont été publiés, mais à ma connaissance seule l'édition a nécessité un processus publique, pas l'écriture du journal lui-même.

Que le résultat du processus soit publié ensuite (comme dans le cas des journaux online) ou simplement rendu publique auprès d'un groupe d'amis (un journal papier par exemple) est un autre problème. Ce qui advient du journal n'entre pas nécessairement en compte pendant sa création. Beaucoup de diaristes aiment dire qu'ils écrivent seulement pour eux-mêmes (que ça soit vrai ou seulement un genre qu'ils se donnent). Mais je n'ai jamais entendu quelqu'un dire que le processus de création était lui-même destiné à être publique. Ils mélangent peut-être processus de création et destin du produit fini. Qui serait volontaire pour écrire des pages sur une scène devant un public ?

J'explique généralement la chose en disant que mon journal et moi sommes quantiques. Pour simplifier, le simple fait que le processus de création du journal soit observé en fait autre chose que ce qu'il est vraiment. Il devient un spectacle en quelque sorte. Pour qu'un journal (au sens de journal papier, même s'il est ensuite rendu publique sur le web) existe, il faut que l'auteur aille chercher en lui-même ce qu'il veut exprimer. C'est d'autant plus vrai pour les journaux à tendance introspective. Comme on est conditionné dès l'enfance à rester fermé devant les autres au cas où ils pourraient tirer avantage de ce qu'on est vraiment, la présence d'étrangers interfère avec le processus d'écriture du journal en refermant les ouvertures par lesquelles le diariste peut aller chercher ce qu'il veut dire. Observer un diariste en train d'écrire son journal implique le faire tomber dans un état donné au lieu de rester une boîte noire (comme un électron tombe dans un de ses états possibles quand il est observé ou comme le chat de Schrödinger meurt ou pas quand on ouvre sa boîte).

On peut discuter le fait que le diariste soit physiquement seul ou imaginairement seul. Il m'arrive souvent de penser à moi-même quand j'écris mes pages, voire de me parler (je trouve plus facile de contrôler dans quelle langue je dialogue avec moi-même quand c'est oral au lieu de pensé). J'essaie de m'observer comme si j'étais un étranger pour pouvoir ensuite décrire ce que je vois. En ce sens, je ne suis aps seul puisque je suis avec un autre moi-même. Mais c'est plus proche du miroir que de la réelle présence. Et comme je suis observé par moi-même, l'effet n'est pas le même qu'avec un étranger.

En résumé, il faut bien distinguer le destin du journal et son processus d'élaboration. Bien que certains journaux puissent être destinés à être lus par des étrangers, je pense qu'ils sont élaborés dans la solitude en face d'un miroir imaginaire.
 



Comment j'écris: Frannie

Comment j’écris… ? Je serais presque tentée de répondre : je voudrais bien le savoir moi-même. L’écriture est chez moi un processus si capricieux que je suis malheureusement incapable de mettre en place un rituel efficace : je n’ai sans doute pas écrit deux chroniques dans les mêmes conditions… Je peux tout de même évoquer les facteurs déterminants intervenant dans la décision de me mettre à écrire, et raconter l’élaboration typique d’une page.

Les conditions extérieures influencent finalement assez peu l’écriture de mon journal : je peux écrire avec ou sans musique (de toute façon, dès l’instant où je me lance, je cesse d’entendre les bruits qui m’entourent – sans doute parce que l’ouïe est loin d’être un sens dominant pour moi), et même entourée d’autres personnes (à condition tout de même que mon écran soit à l’abri des regards indiscrets). Ça peut paraître bizarre, mais l’intimité n’est pas forcément bénéfique à ma rédaction, tandis qu’un environnement vivant a plutôt tendance à stimuler mon esprit. Seule, je crois que je me mets à attacher trop d’importance à la recherche d’une idée de départ, et que je finis par être trop agacée par le vide de mon imagination pour arriver à un résultat satisfaisant – mais c’est là un cas extrême. Et quand je suis énervée, de toute façon, une autre présence n’est pas non plus bénéfique, puisqu’à ce moment-là je ne supporte plus qu’on m’adresse la parole. 

Je donne peut-être l’impression, dans ces dernières phrases, que le processus d’écriture est particulièrement douloureux chez moi, mais en fait ce n’est que très rarement le cas, quand je veux me forcer à écrire alors que je ne suis pas du tout dans des dispositions adéquates. La plupart du temps, je m’installe, je réfléchis deux minutes, je commence à écrire et je termine en une trentaine de minutes, et ce quel que soit le contexte.

Mais bien plus que les conditions que je viens d’évoquer – entourage et humeur -, le facteur primordial est assurément l’envie d’écrire, qui est chez moi passablement inconstante ; aux premiers temps de mon journal, je pouvais me contraindre à écrire tous les jours, mais à présent, si cette envie n’est pas présente, je sais que je n’arriverai à rien, même si j’ai déjà un sujet, voire un début de rédaction en tête. Cette envie peut être spontanée, mais elle naît plus généralement lorsque je suis en train de lire, soit un roman, soit un autre journal. Comme elle peut intervenir n’importe quand, je n’ai vraiment pas d’horaires réguliers pour écrire, ça peut m’arriver le matin en me levant aussi bien que le soir, à toute vitesse, avant de me coucher, dans un sursaut consciencieux… Il arrive aussi que je sois poursuivie toute la journée par l’envie d’écrire sans pouvoir la concrétiser (parce que je suis en cours, ou avec ma famille ou mes amis, par exemple), et qu’au moment de m’installer devant mon ordinateur je sois subitement vidée de toute inspiration (particulièrement agaçant). 

Lorsque je me suis décidée à écrire, je viens généralement à bout de mon entrée du jour en un seul jet, même s’il m’arrive d’être interrompue par quelque contrainte extérieure. Mon ordinateur est presque allumé en permanence, je me contente donc de m’asseoir devant et d’ouvrir AOL Press (un logiciel gratuit peu ambitieux mais très pratique). J’ouvre la page de la journée précédente, sans la relire, et je l’utilise comme modèle de présentation. Ensuite, tout dépend si j’ai une idée de départ ou non. C’est assez souvent le cas, puisque je pense très souvent à mon journal dans la journée et que je commence souvent à rédiger mentalement bien avant de me lancer réellement ; il m’arrive aussi, mais plus rarement, de noter quelques lignes ou une idée sur un papier au cours de la journée, pour pouvoir les développer plus tard. Je peux raconter ce qui m’est arrivé récemment si ça me paraît suffisamment intéressant, en essayant de ne pas me contenter d’une plate succession d’événements, mais le plus souvent je pars d’un élément de ma vie pour parler de moi en général, ou exprimer mon opinion sur un sujet quelconque. Plus rarement, j’évoque plusieurs sujets dans une même page.

Une fois que j’ai l’idée, j’attache une grande importance au style. Je ne le retravaille pas pendant des heures, mais si je sens que je n’arrive pas à obtenir une écriture harmonieuse, je finis parfois par effacer rageusement les lignes déjà écrites et priver mes lecteurs de chronique. Malheureusement, mon style est aussi lunatique que mon envie d’écrire (ils sont très liés, de toute façon) ; parfois il me vient naturellement, parfois il reste de marbre face à mes supplications. Il m’arrive aussi, lorsque je viens de passer un certain temps plongée dans un roman ou dans les archives d’un autre journal, de perdre mon style propre au profit de celui de l’auteur de ma lecture ; il me faut alors un certain temps pour arriver à écrire de nouveau normalement. Mais quand je suis lancée, je m’interromps rarement, sauf parfois, quand je peine un peu à avancer, pour grignoter un biscuit et relire dubitativement ce que j’ai déjà écrit.

Lorsque la rédaction est terminée – mes entrées ne sont jamais très longues, par paresse ou par crainte de lasser le lecteur -, je relis soigneusement (plusieurs fois lorsque je suis particulièrement satisfaite de mon texte ou, plus rarement, lorsque je veux le peaufiner), j’ajuste les liens et je mets le tout en ligne ; avant de prévenir la CEV de l’actualisation, je vérifie que tout est bien passé. Je retourne ensuite, plus sereine, à mes occupations habituelles.
 



Ailleurs: Weblog et services de publication

En complément à l'article paru dans le J.mag n°2.

L'autre terme utilisé est le blog (diminutif venant du jeu de mots I blog We blog). En théorie, les deux mots sont strictement synonymes. J'ai remarqué tout de même que blog est souvent employé par ceux qui s'en servent comme d'un bloc-notes.
Il existe des services spécialisés permettant d'automatiser les mises à jour, de relier et stocker les pages accumulées. Ils s'appellent blogger, scribble, weblog, diaryland ou pitas. Inconvénient : ils sont tous en anglais. Il n'est guère question de petites fleurs et d'originalité graphique ici. L'interface est souvent simple pour s'adapter à tous les publics. Le temps de construire une page sommaire, une table de liens et place à la rédaction !

Le weblog n'est pas un journal d'opinion.
Le journal d'opinion est déjà difficile à définir. C'est l'expression retenue par la CEV pour tous ceux qui ne voulaient pas classer leur journal dans la catégorie intime. Difficile également de vouloir faire rentrer les weblogs sous une bannière commune. Il y a le blog répertoriant les humeurs et les anecdotes, offrant peu de ressources extérieures, se rapprochant ainsi du journal intime. Et il peut y avoir un weblog guère mieux étoffé qu'un listing, où le lien plus son commentaire ne dépasse pas la ligne.

Autre tendance.
Autant que les diaristes, les webloggers sont exposés au risque du navel gazing (contemplation du nombril). Comme l'avouait l'un d'entre eux, à force de se citer les uns les autres, cela finit par ressembler à une ronde incestueuse. C'est le prix à payer pour l'enthousiasme et la curiosité.
Un étudiant s'est amusé à représenter une liste de weblogs et leurs connexions sur un graphe en forme de rosace. Lien : A Picture of Weblogs (attention, l'image est une applet java : le temps de chargement peut varier suivant les machines).
 



Ailleurs: Images

Un petit dessin vaut mieux qu'un long discours, dit l'adage. La photo aussi, semblent dire les diaristes : ils n'ont pas été les derniers à utiliser des appareils photos numériques. En raison de son prix prohibitif (du moins en France), l'usage de la caméra numérique est rarissime. Qu'en est-il ailleurs ?
L'objet de cet article ne traite pas des journaux tout en photos. A ce sujet, vous trouverez des adresses de sites dans les Cercle des Jours Ecrits et Imagés.

Commençons par le plus simple des équipements : la webcam. J'ai longtemps été rebuté par l'aspect gadget du bidule. Si le cadrage est souvent limité à la tête du sujet, rien n'empêche de transformer le matériau. Le rêveur (même la raison peut perdre sa raison d'être) a montré quelques captures retouchées par ses soins. C'est sur le même principe que Clio (the Clio Chronicles) publie un photo's diary en parallèle de son journal.

Fatalement, le journal intime appelle l'autoportrait. Et l'avantage manifeste de la caméra numérique, c'est l'autoportrait en rafale. Voyez par exemple le journal de Rachel (Rachel's Daily Diary) qui publie régulièrement des séries (groupes ou autoportraits1). Même chose pour Soignée (Soignée), qui affiche une série de portraits, retouchés ou non, en parallèle à chacune de ses entrées.

L'outil numérique permet de renouveler le stock des illustrations quotidiennes. Heather dans more than this, les utilise sous forme de vignettes. Elles lui permettent de ponctuer et aérer le texte. Catherine J. (Flux Redux) gère un vivier, un stock d'images permanent dans laquelle elle puise pour assembler une histoire en vignettes avec quelques légendes. Le fil des images se détache parfois de l'entrée purement texte pour devenir autonome, devenir une petite histoire dans la marge. A l'heure où j'écris (juin 2000), la majeure partie des archives ont été retirées du site. Et quand l'image s'agrandit ? Jusqu'à devenir le point d'ancrage du texte. Werewolf (13), se sert d'une image comme point de départ et rebondit sur les suivantes. Les transitions sont plus faciles à aborder. Catherine J. (Flux Redux) a adopté également cette présentation : une grande image en première illustration, éventuellement quelques images en fin de texte ou pour illustrer un deuxième sujet. Portraits, paysages, montages sont rassemblés dans des galleries thématiques. Notez au passage le goût prononcé de l'auteur pour la macrophotographie. Certains séries de fleurs sont des explosions de couleurs. D'autres objets qu'ils soient pris dans la nature ou à domicile, sont agrandis et passés aux filtres de Photoshop. Jusqu'à prendre un aspect irréel.

(1) voir par exemple les 03/06, 30/05, 01/04 et 28/03.
 



Boîte aux lettres

Les mails en rapport avec J.mag et les articles doivent être envoyés à l'adresse suivante: jmag@mongolo.org.
 



Les participants

Frannie: Frannie tient son journal depuis Avril 2000 et peut être lue ici: http://frannie.citeweb.net

Philippe Lejeune: Philippe Lejeune s'intéresse de près à l'écriture autobiographique en général et aux journaux en particulier. Ils s'occupe de l'association Autopacte qui répertorie des journaux et les informations qui leur sont rattachées.

MöngôlO: MöngôlO est l'auteur de MöngôlO's Diary depuis plus de 3 ans. Il est joignable à l'adresse suivante: mongolo@mongolo.org.

Réal: Réal a tenu deux journaux depuis quelques années. L'un est fini et est maintenant hébergé à l'Orphelinat, l'autre est toujours en cours d'élaboration à l'adresse suivante: http://w3.arobas.net/~ameriq/ameriq.html

Strophe: Strophe écrit son journal, l'Apostrophe depuis Mai 1999. Elle est aussi la fondatrice de la CEV.

Tehu: Tehu est un lecteur régulier de journaux depuis longtemps et peut etre joint a l'adresse suivante: tehu@coronal.com.

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