Le journal (une gazette) est un support fragile et vite vieux.
Tandis que le journal (comme genre littéraire) est d'autant plus durable.
Plus, peut-être, que les mémoires
qui sont toujours des arrangements et des postures.
Un journal aussi, peut-être, mais enfin
il laisse plus de place à la vérité.
Les meilleurs journaux sont des témoignages et des archives.
A une époque aussi éclatée et aussi jetable que la nôtre,
ils sont des repères.
Le Frère Untel
L'idée des archives autobiographiques me trotte dans la tête depuis un bon petit bout de temps. Evidemment, à vue de nez, l'idée a quelque chose de farfelu. Déposer des écrits privées là où tout le monde pourrait les lire? Eh bien oui, pourquoi pas? Il faut avouer que l'autobiographie n'est plus ce qu'elle était. Les journaux qui étaient autrefois intimes ont maintenant leur place sur le web, quand ils ne sont pas carrément publiés. Ils ne sont plus qu'un processus, mais deviennent une fin en soi. Leur intérêt pour les générations futures est évident, qu'il s'agisse d'un intérêt historique, sociologique, littéraire, artistique ou tout simplement humain.
Ceux qui désireraient tout simplement connaître quelques trucs de conservation des archives autobiographiques sans nécessairement déposer leurs écrits peuvent se diriger vers les quelques conseils suivants.
Ce qui n'était au départ qu'un rêve a récemment pris une toute autre dimension avec un travail de recherche dans le cadre de ma maîtrise en bibliothéconomie et sciences de l'information. Par ailleurs, j'ai récemment découvert que de telles archives existaient bel et bien. À ce jour, j'ai découvert trois centres d'archives autobiographiques en Europe. Mes recherches du côté nord-américain n'ont toujours pas porté fruit. Dommage, mais les trois associations dénichées à ce jour valent le détour, croyez-moi, car leur mission est fort bien remplie, et fort honorable. Comment ne pas admirer ceux qui se dévouent à la conservation de petits bouts d'âme humaine?
A quand de telles initiatives de ce côté de l'Atlantique?
Les archives autobiographiques sont constituées de documents bien particuliers. Précisons tout de suite que par archives autobiographiques, on désigne les journaux personnels de toutes sortes (rédigés au jour le jour, sur le coup) et tout genre de récits de vie (rédigés de façon linéaire, après coup). Les correspondances ne font pas partie de cette catégorie de par leur intention; elles sont destinés à un lecteur connu, différent de l'auteur lui-même. Au contraire, les écrits autobiographiques sont souvent écrits pour l'auteur et personne d'autre, ce qui en modifie la nature.
Si la plupart des chercheurs, les historiens par exemple, ne négligent pas les documents d'archives dans leurs recherches, les archives autobiographiques font parfois défaut, par exemple parce qu'on tend à les sous-estimer (certains les croient biaisés, du fait de la perception faussée de celui qui les écrit) ou parce qu'ils ne sont tout simplement pas disponibles. Cette situation est la plus courante, car si la plupart des écrivains, politiciens ou acteurs de toutes les époques ne connaissent pas de problèmes à déposer leurs écrits personnels dans quelque centre d'archives ou bibliothèque, le commun des mortels n'a souvent pas le même honneur. Ces écrits risquent de se perdre, certains archivistes et chercheurs n'y voyant pas d'intérêt justifiant leur conservation, ou les éventuels déposants ne sachant pas comment les déposer ou en prendre soin.
Il y a lieu de souhaiter que ces archives fassent l'objet d'une plus grande considération, tenant compte du fait que les documents historiques "de première main" sont rares. Toutefois, étant donné la difficulté de trouver preneur, l'ignorance de certains face aux ressources possibles ou tout simplement la réticence de déposer certains écrits personnels, les journaux et les textes autobiographiques se perdent, et avec eux des témoignages inestimables sur toute une époque.
Comment renverser la vapeur et permettre à ces vies écrites de survivre et d'être diffusées comme documents historiques? D'abord, il faudra bien sûr se pencher sur les méthodes d'acquisition de ces documents, qui pose problème. Considérant d'abord la nature intime de tels écrits, peut-on s'attendre à ce que les gens les déposent de leur plein gré auprès de centres d'archives? Des implications légales sont à prévoir. Doit-on attendre la mort des auteurs avant de rendre publiques leurs "oeuvres", comme dans le cas de tout document littéraire? Doit-on se contenter d'une formule écrite de la main de l'auteur, autorisant les gens à lire ses écrits? Que se passera-t-il dans le cas d'une mort soudaine? Il arrive également que bien des gens soient tout disposés à voir leurs écrits conservés, sans pour autant consentir à ce qu'ils soient lus. Comment traiter de pareils cas?
Des problèmes d'évaluation se poseront également. Les écrits autobiographiques sont-ils tous d'égale importance et d'égale valeur? Valent-ils tous la peine d'être conservés. L'archiviste aura probablement quelque scrupules ou quelque regret à écarter un document autobiographique. Quels principes doivent être mis en place?
Toutes les questions de diffusion elles-mêmes se posent également. Comme on l'a vu plus haut, ils constituent une source inestimable de témoignages de première main, au niveau historique, sociologique, psychologique, et dans bien d'autres domaines que j'oublie sûrement. Mais leur nature même, dont on pourrait croire qu'elle les confinerait à un secret inévitable, rend l'utilisation de tels documents complexe. Les auteurs seraient-ils d'accord à partager leurs écrits? Et dans quelles conditions? On peut s'attendre à ce que les proches, qui craignent peut-être des révélations indésirables par le biais des récits de vie, s'opposent à quelque diffusion que ce soit. Ont-ils légalement le droit de s'y opposer?
L'Association pour l'autobiographie fut fondée en 1992 et est basée à Ambérieu en Bugey, en France. Elle est d'abord vouée à la diffusion d'informations sur tous les genres autobiographiques, que ce soit le bon vieux journal intime tel que nous le connaissons, les mémoires ou encore d'autres genres éclectiques non découverts à ce jour... L'APA vise également à favoriser la conservation et la lecture des journaux intimes et des divers écrits biographiques par le biais d'archives conservées à la Médiathèque municipale d'Ambérieu en Bugey. Ces archives sont accessibles au public et aux chercheurs, et chaque texte est inscrit à l'inventaire. Les écrits déposés peuvent être lus et commentés par certains des membres de l'association, et les impressions de lecture sont par la suite réunies en un recueil, afin que ceux qui n'ont pas accès aux textes eux-mêmes puissent tout de même en saisir quelques échos.
Vous pouvez également consulter le site de l'association.
L'aventure a débuté en 1974, alors qu'un aumônier dans un lycée a remarqué l'aisance avec laquelle les jeunes qu'il côtoyait s'exprimaient par écrit, dès que l'écriture était issue de leur initiative et non dirigée. Il réalisa avec eux un livre, dans lequel il se propose lui-même comme le correspondant de tout jeune qui a envie de s'exprimer.
Dès le départ, les écrits intimes des adolescents qui acceptèrent de se prêter au jeu furent publiés, par extraits, ou parfois en totalité. Il s'agit surtout ici de favoriser les échanges entre les diaristes et leurs lecteurs. Les écrits déposés font l'objet, si désiré, d'une lecture et d'interactions entre les intéressés. Les écrits reçus ne sont pas aussi importants que les correspondances échangées, et le volume des lettres qui vont et viennent entre les lecteurs et les écrivains atteint des proportions gigantesques. Aujourd'hui, le mouvement continue de prendre de l'ampleur, avec plusieurs jeunes qui ne cessent de s'y intéresser, des ateliers d'écriture qui leur sont offerts, et une correspondance qui n'est pas prêt de s'arrêter.
Chaque année, le concours attire une foule d'autobiographes et de journalistes et compte sur une armée de volontaires pour mener à bien les diverses tâches reliées à l'association. L'association reçoit annuellement environ deux cents à trois cents documents autobiographiques. Au départ, ces oeuvres provenaient toutes sans exception, des soumissions au concours, mais depuis 1992, le dépôt hors-compétition est également permis.
Évidemment, certains s'interrogent sur la pertinence d'un tel concours. Un prix public pour des écrits privés? Voilà qui peut paraître en effet bien étrange... Et que dire de la cruauté de la défaite, face à un travail si monumental et si cher à l'auteur? Malgré ces réserves, l'Archivio est une institution dans la petite ville qui l'héberge et elle connaît un très grand succès.
Je vous invite à consulter le site de l'association - si vous parlez italien!
Que pensez-vous des ces archives de l'intime? Les journaux méritent-ils d'être conservés?