Partagé ou caché?

I am writing.
It is not analyzing, or meditating, or a monologue, it is writing.
It is living in terms of immediate phraseology,
with great excitement as before, a discovery of appropriate words,
and anxiety to capture, retain, to be precise, felicitous.
It comes on unexpectedly, like a fever,
and goes away, like a fever.
It is distinct from all other activities.

Anais Nin

Quiconque a déjà écrit un journal connaît bien la peur qu'il soit un jour découvert. Certains n'osent d'ailleurs même pas écrire, tant cette peur les paralyse! Plusieurs diaristes sont sans cesse à la recherche de nouvelles cachettes pour pouvoir écrire tout son soûl l'esprit tranquille. Dur passe-temps que celui de diariste! On se met sans cesse au front, ces mots écrits, comme autant de preuves, nous rendent bien vulnérable...

Pourtant, plusieurs ne le voient pas de cette façon. Certains partagent parfois leurs écrits, d'autres les affichent carrément au vu et au su du monde entier sur le web! Est-ce que le journal devrait rester secret? Qu'est-ce qui se passe quand on le partage? Et qu'est-ce qui se passe quand ce partage n'est pas votre décision? Comment peut-on faire pour protéger les secrets confiés à notre journal? On ne peut penser à l'écriture du journal intime sans passer par ces questions!


Les mots cachés du journal

De par sa nature même, le journal n'est pas fait pour être lu. Le simple fait qu'on ait choisi, dans la langue française, d'ajouter l'adjectif «intime» au terme «journal» prouve bien que nous sommes au fait de cette distinction. On l'écrit d'abord pour soi, pour se rappeler, pour se parler à soi-même, et pas nécessairement aux autres. On lui dit justement ce qu'on ne peut pas toujours dire aux autres, et c'est souvent quand on ne peut pas parler qu'on écrit. Nos pensées doivent se frayer un chemin vers la surface et en ce qui concerne les diaristes, c'est par le journal qu'elles passent. Lorsqu'elles surgissent, elles sont souvent incomplètes, fragmentées, floues ou carrément fausses. Voulons-nous vraiment les partager? Est-ce une bonne idée?

D'un autre côté, c'est parfois la meilleure façon de dire clairement ce qui se passe en nous, quand la parole nous fait défaut. Ce qu'on a écrit dans le journal est là, livré sans gêne, sans censure, les mots sont clairs et libérateurs; pourquoi ne pas en profiter pour qu'ils expriment aux autres ce qui se passe en nous, quand nous mêmes n'y arrivons plus?

C'est une décision très personnelle, qui dépend de chacun et qui dépend également de la personne à qui on entend faire lire notre journal. On pense souvent à se demander si on a vraiment envie de le partager, sans vraiment nous poser la question inverse: notre conjoint, meilleur ami, parent, collègue, a-t-il vraiment envie de lire ce que l'on a écrit? Est-il prêt, personnellement, à recevoir ces paroles? Nos idées encore floues, nos confessions non-censurées ne sont peut-être pas faites pour lui plaire. Certaines choses ont intérêt à rester dans l'ombre; c'est pourquoi il y a le journal. Il vaut peut-être mieux ne le partager que lorsqu'on est très sûr de soi... et de la personne qui le lira.

D'ailleurs, dans le pire des cas, certains journaux peuvent même servir de preuves contre le diariste, dans des cas de divorce, par exemple.

Protéger ses paroles

Maintenant, en ce qui concerne les yeux étrangers et un peu trop curieux, c'est une autre histoire. Si on préfère que personne ne jette un oeil sur ce que l'on a écrit. Mieux vaut prendre nos précautions, non seulement pour se protéger soi-même mais également pour protéger les autres. On dit parfois des choses que l'on ne pense pas vraiment dans un journal, sous le coup de la colère ou de la peur, par le biais de lettres non-envoyées, par exemple. Tient-on vraiment à les partager...?

A moins que l'on ne tienne un journal à deux mains, partagé avec une autre personne de façon ouverte et régulière, ou que l'on n'ait l'intention de publier notre journal, certaines précautions s'imposent. Sentir que notre journal est vulnérable, que n'importe qui pourrait le surprendre, risque d'empêcher tout diariste d'écrire, aussi bien intentionné fut-il. Le journal doit être un hâvre de paix, où tout peut être dit. Il faut donc s'y sentir en sécurité et il incombe au diariste de se protéger.

Plusieurs moyens peuvent être envisagés. Se trouver une bonne cachette est bien sûr la façon classique de dérober nos écrits à des lecteurs trop curieux. On écrit en secret et on tente de trouver la meilleure cachette possible au précieux cahier -un conseil, évitez de mettre votre journal sous votre matelas, le truc est connu.

Une mère de famille le cachait dans la salle de lavage, là où elle était certaine que personne ne songerait à regarder; cela lui permettait d'ailleurs de pouvoir écrire à l'abri des yeux indiscrets, pendant une brassée. Belle façon de concilier intimité et manque de temps! Certains tiennent sur le web des journaux anonymes, ce qui, paradoxalement, leur assure une certaine discrétion. D'autres écrivent sur logiciel et protègent leurs entrées par mot de passe. Il est plus facile de dissimuler quelques disquettes qu'une pile de cahiers reliés! Tout dépend de vos habitudes et de votre rythme de vie.

Plusieurs journaux intimes vendus sur le marché viennent avec une petite serrure et une clé. Le plus débile des petits frères est capable de n'en faire qu'une bouchée, ne vous y fiez pas. Peut-être que certains, plus évolués, sont maintenant disponibles, mais j'avoue que je n'ai plus tenté l'expérience depuis mes dix ans. Une autre alternative est de conserver votre journal dans un endroit fermé à clé, comme un coffre de sécurité ou une mallette munie d'une serrure par exemple.

Si vous ne disposez pas d'une bonne cachette, peut-être pouvez-vous utiliser votre journal lui-même pour vous protéger. Certains utilisent des codes, afin que personne ne puisse les lire -attention de ne pas perdre la clé! Plusieurs journaux de guerre ont d'ailleurs été écrits de cette façon. D'autres déguisent leur journal, y ajoutant une fausse couverture qui le fait passer pour un simple roman. Quelques uns remplacent des noms, écrivent à la troisième personne, mélagent réalité et fiction afin de brouiller les cartes. Anaïs Nin tenait a, à une certaine époque de sa vie, tenu deux journaux; un pour son mari, et un, confidentiel, où elle consignait les détails de ses aventures! Soyez créatif!

Et quand on y sera plus?

Ce n'est pas parce qu'on est mort qu'on se fout de ce qui arrive à notre journal! Plusieurs ne pensent pas à ce qui arrivera à leur journaux après leur départ. Ceux qui me connaissent savent que j'ai déjà une réponse toute prête: les archives autobiographiques. Il est en effet possible de léguer notre journal à un centre d'archives qui pourra alors le mettre sous clé aussi longtemps que vous le désirez (moyennant des exigences raisonnables, bien sûr!) et ne le diffusera que lorsque tous les gens mentionnés auront également disparu, par exemple.

Mais certains ne se sentiront tout à fait rassurés que lorsque leurs journaux auront complètement disparu; quelques diaristes détruisent leurs écrits au fur et à mesure, d'autres souhtaient être enterrés avec eux. Une façon comme une autre de s'assurer que personne n'y jette un oeil indésirable!

Même si en ce qui me concerne, c'est un pur gâchis... Mais ça vous regarde...

Trop tard! On a lu votre journal!

Bien des diaristes ne s'en remettent pas et cessent complètement d'écrire après que leur journal ait été violé. Je me rappelle de l'exemple d'une petite fille dont la mère avait trouvé le journal; cette dernière avait été tellement choquée de découvrir les pensées de sa fille sur telle ou telle personne qu'elle lui avait interdit de se remettre à écrire et avait jeté son journal à la poubelle! Inutile de dire que la petite fille en question n'a plus touché à un journal intime pendant plusieurs années.

Sans que toutes les expériences du genre soient aussi radicales, le diariste, après que son journal ait été surpris, se sent bien souvent vulnérable. Soudainement, on est mis à nu, sans défense, et nos pensées les plus personnelles sont livrées au monde sans autre forme de procès. Il n'en faut pas plus pour ne plus être capable d'écrire. Comment réagir dans de pareilles occasions?

Tout dépend d'abord des circonstances. Qui a lu votre journal? Etait-ce accidentel? Quelle fut sa réaction? Qu'a-t-il lu exactement? Même si cela semble catastrophique au départ, peut-être que cet événement peut avoir un côté positif. Peut-être que ce qui fut lu aidera la personne à mieux vous comprendre; peut-être comprendra-t-il qu'il a violé votre intimité et ne répetera pas l'incident. Bien souvent, quand de telles choses arrivent, c'est qu'il y a un manque de communication entre deux personnes; on se sentira plus appelé à lire le journal de notre conjoint quand nous n'arrivons plus à lui parler, ou que lui-même se tait irrémédiablement depuis des semaines. Même si ce qui est lu peut faire mal, peut-être que cela contribuera à rétablir la communication. Peut-être pourrez-vous enfin avouer quelque chose qui vous troublait et dont vous n'osiez parler, par crainte de la réaction de la personne concernée; peut-être aurez-vous l'occasion de constater qu'elle est plus ouverte que vous ne le pensiez....

Dans tous les cas, il sera préférable de s'expliquer. Faites-voir à la personne dans quel contexte l'entrée qu'il ou elle a lu a été écrite. Ammenez-la à écrire elle aussi, peut-être comprendra-t-elle mieux ce que vous ressentez face à son intrusion. Et surtout, ne vous tracassez pas; aussi désagréable que ce soit, reprennez le crayon, et profitez-en pour vous défouler!


Et vous, qu'en pensez-vous? Avez-vous déjà partagé un journal? Comment est-ce que ça s'est passé? Le referiez-vous?